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05/07/2022 | FRANCE | N°19VE01848

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 05 juillet 2022, 19VE01848


Vu les procédures suivantes :

I. Procédure contentieuse antérieure :

La société Pierre Fabre Médicament a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 32 159 000 euros en réparation du préjudice résultant, d'une part, de la radiation illégale de sa spécialité Javlor de la liste " en sus " par arrêté du 21 février 2012 et, d'autre part, du délai pris par l'Etat pour exécuter la décision rendue par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015.

Par un jugement n° 1802571 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Cergy-P

ontoise, à qui le tribunal administratif de Paris a transmis le dossier de la société ...

Vu les procédures suivantes :

I. Procédure contentieuse antérieure :

La société Pierre Fabre Médicament a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 32 159 000 euros en réparation du préjudice résultant, d'une part, de la radiation illégale de sa spécialité Javlor de la liste " en sus " par arrêté du 21 février 2012 et, d'autre part, du délai pris par l'Etat pour exécuter la décision rendue par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015.

Par un jugement n° 1802571 du 19 mars 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à qui le tribunal administratif de Paris a transmis le dossier de la société Pierre Fabre Médicament en application des articles R. 221-3, R. 312-14 et R. 351-3 du code de justice administrative, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête n° 19VE01848 enregistrée le 20 mai 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 3 décembre 2019, la société Pierre Fabre Médicament, représentée par Me de Belenet, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) de désigner avant dire droit un expert ayant des compétences en matière comptable et financière en lui confiant la mission de déterminer la perte de marge globale subie, sur la période comprise entre le 1er mars 2012 et le 31 juillet 2016 du fait, d'une part, de la radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration de se conformer à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015 en distinguant, le cas échéant, le préjudice spécialement imputable à cette seconde faute ;

3°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 32 159 000 euros au titre du préjudice subi en raison, d'une part, de l'illégalité de la décision de radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " en date du 21 février 2012 et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, augmentée des intérêts moratoires calculés au taux légal en vigueur, à compter du 23 janvier 2017, soit 30 jours après la réception de sa réclamation indemnitaire ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 824 000 euros au titre du préjudice subi en raison spécifiquement du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, augmentée des intérêts moratoires calculés au taux légal en vigueur, à compter du 23 janvier 2017, soit 30 jours après la réception de sa réclamation indemnitaire ;

5°) d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1154 du code civil ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en raison de son insuffisance de motivation ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des illégalités entachant l'arrêté de radiation du 21 février 2012 ; elle est également engagée en raison du refus de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur et de la méconnaissance de la chose jugée ;

- contrairement à ce que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé, il existe un lien de causalité direct entre les fautes commises par l'Etat et le préjudice subi par elle ; il n'existait pas en effet, avant le décret du 24 mars 2016, de base légale permettant de prendre une décision légale de radiation de la spécialité Javlor ; en tout état de cause il existe un préjudice en lien direct avec la seconde faute commise par l'Etat résultant de son refus délibéré d'appliquer la réglementation en vigueur découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015 ;

- si elle présente deux méthodologies différentes de calcul financier pour établir la réalité et le quantum du préjudice qu'elle a subi, il apparaît utile, afin de disposer d'une analyse impartiale et indépendante des parties, que soit désigné avant dire droit un expert judiciaire indépendant qui aura pour mission de déterminer la perte de marge globale subie, sur la période comprise entre le 1er mars 2012 et le 31 juillet 2016 du fait, d'une part, de la radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration de se conformer à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015 en distinguant, le cas échéant, le préjudice spécialement imputable à cette seconde faute ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à demander l'indemnisation du préjudice résultant de la seule violation délibérée par l'Etat de la réglementation en vigueur découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, qui constitue une faute distincte de celle résultant de l'illégalité de la décision de radiation du 21 février 2012.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2019, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête de la société Pierre Fabre Médicament.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

II. Procédure contentieuse antérieure :

La société Pierre Fabre Médicament Production a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 343 000 euros en réparation du préjudice résultant, d'une part, de la radiation illégale de sa spécialité Javlor de la liste " en sus " par arrêté du 21 février 2012 et, d'autre part, du délai pris par l'Etat pour exécuter la décision rendue par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015.

Par un jugement n° 1813700 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête n° 22VE00319 enregistrée le 14 février 2022, la société Pierre Fabre Médicament Production, représentée par Me de Belenet, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) de désigner avant dire droit un expert ayant des compétences en matière comptable et financière en lui confiant la mission de déterminer la perte de marge globale subie, sur la période comprise entre le 1er mars 2012 et le 31 juillet 2016 du fait, d'une part, de la radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration de se conformer à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015 en distinguant, le cas échéant, le préjudice spécialement imputable à cette seconde faute ;

3°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 343 000 euros au titre du préjudice subi en raison, d'une part, de l'illégalité de la décision de radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " en date du 21 février 2012 et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, augmentée des intérêts moratoires calculés au taux légal en vigueur, à compter du 28 novembre 2018, soit 30 jours après la réception de sa réclamation indemnitaire ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 26 816 euros au titre du préjudice subi en raison spécifiquement du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, augmentée des intérêts moratoires calculés au taux légal en vigueur, à compter du 28 novembre 2018, soit 30 jours après la réception de sa réclamation indemnitaire ;

5°) d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1154 du code civil ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en raison de son insuffisance de motivation ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des illégalités entachant l'arrêté de radiation du 21 février 2012 ; elle est également engagée en raison du refus de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur et de la méconnaissance de la chose jugée ;

- contrairement à ce que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé, il existe un lien de causalité direct entre les fautes commises par l'Etat et le préjudice subi par elle ; il n'existait pas en effet, avant le décret du 24 mars 2016, de base légale permettant de prendre une décision légale de radiation de la spécialité Javlor ; en tout état de cause il existe un préjudice en lien direct avec la seconde faute commise par l'Etat résultant de son refus délibéré d'appliquer la réglementation en vigueur découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015 ;

- si elle présente une méthodologie de calcul financier pour établir la réalité et le quantum du préjudice qu'elle a subi, il apparaît utile, afin de disposer d'une analyse impartiale et indépendante des parties, que soit désigné avant dire droit un expert judiciaire indépendant qui aura pour mission de déterminer la perte de marge globale subie, sur la période comprise entre le 1er mars 2012 et le 31 juillet 2016 du fait, d'une part, de la radiation de la spécialité Javlor de la liste " en sus " et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration de se conformer à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015 en distinguant, le cas échéant, le préjudice spécialement imputable à cette seconde faute ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à demander l'indemnisation du préjudice résultant de la seule violation délibérée par l'Etat de la réglementation en vigueur découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015, qui constitue une faute distincte de celle résultant de l'illégalité de la décision de radiation du 21 février 2012.

La procédure a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas présenté d'observations.

Par ordonnance du président de la chambre du 24 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2022 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Belenet pour les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production.

Considérant ce qui suit :

1. La société Pierre Fabre Médicament exploite, sous la dénomination commerciale Javlor, une spécialité pharmaceutique de la classe des antinéoplasiques et immunomodulateurs, produite par la société Pierre Fabre Médicament Production. Le 21 septembre 2009, la société Pierre Fabre Médicament a obtenu pour cette spécialité une autorisation de mise sur le marché pour le traitement des patients adultes atteints de carcinome urothélial à cellules transitionnelles avancé ou métastatique, après échec d'un traitement préalable à base de platine. Par arrêté du 19 avril 2010, la spécialité Javlor a été inscrite sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation, fixée par arrêté du 4 avril 2005. Toutefois, conformément à une recommandation du conseil de l'hospitalisation, le ministre chargé de la santé et le ministre chargé du budget ont, par un arrêté du 21 février 2012, radié la spécialité Javlor de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation. Par une décision du 17 juin 2015, le Conseil d'Etat a annulé pour excès de pouvoir cet arrêté du 21 février 2012. Par ailleurs, par une décision du 20 avril 2016, le Conseil d'Etat a enjoint au ministre des affaires sociales et de la santé de diffuser aux agences régionales de santé une information rectificative relative à la prise en charge de la spécialité Javlor en sus des prestations d'hospitalisation, afin que cette information soit répercutée aux établissements de santé. L'Etat s'est conformé à cette injonction en diffusant aux agences régionales de santé une note datée du 11 mai 2016. Enfin, par un arrêté du 28 juillet 2016, la spécialité Javlor a de nouveau été radiée de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation à compter du 1er août 2016.

2. Par réclamation préalable datée du 16 décembre 2016, la société Pierre Fabre Médicament a demandé l'indemnisation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi à raison, d'une part, de la radiation illégale de la spécialité Javlor de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation par l'arrêté du 21 février 2012 et, d'autre part, du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015. Cette demande a été implicitement rejetée. La société Pierre Fabre Médicament relève appel, sous le n° 19VE01848, du jugement du 19 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 32 159 000 euros en réparation de son préjudice.

3. Par réclamation préalable datée du 17 octobre 2018, la société Pierre Fabre Médicament Production a également demandé l'indemnisation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi à raison de ces mêmes fautes. Cette demande a été implicitement rejetée. La société Pierre Fabre Médicament Production relève appel, sous le n° 22VE00319, du jugement du 14 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 343 000 euros en réparation de son préjudice.

Sur la jonction :

4. Les requêtes susvisées n° 19VE01848 et n° 22VE00319, présentées pour les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués :

5. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

6. D'une part, il résulte du jugement n° 1802571 du 19 mars 2019 que, pour rejeter la demande indemnitaire de la société Pierre Fabre Médicament, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé, au terme d'un raisonnement suffisamment motivé, que le préjudice de la société, tenant à la chute et à la stagnation des ventes de Javlor à compter du 1er mars 2012, ne présentait pas un lien de causalité direct avec les illégalités dont était entaché l'arrêté du 21 février 2012 et le non-respect par les autorités nationales de la chose jugée par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015. Ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges n'auraient pas motivé leur décision quant au lien de causalité entre le préjudice allégué et le refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015. Si la société Pierre Fabre Médicament soutient également que le raisonnement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est critiquable en ce qu'il assimile les deux séries de fautes commises par l'Etat, une telle critique relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du 19 mars 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise doit être écarté.

7. D'autre part, contrairement à ce que soutient la société Pierre Fabre Médicament Production, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suffisamment motivé son jugement n° 1813700 du 14 décembre 2021 pour rejeter sa demande subsidiaire tendant à la réparation du préjudice résultant du refus délibéré de l'administration d'appliquer la réglementation en vigueur à la situation découlant de l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 juin 2015. La circonstance que les premiers juges auraient, ce faisant, inexactement apprécié les éléments apportés par la société pour justifier du bien-fondé de ses prétentions sur ce point est sans incidence sur la régularité de leur jugement. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du 14 décembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise doit également être écarté.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

En ce qui concerne les fautes commises par l'Etat :

8. En cause d'appel, le ministre des solidarités et de la santé ne conteste pas, ainsi que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a jugé, que, d'une part, les illégalités entachant l'arrêté du 21 février 2012 par lequel la spécialité Javlor a été radiée de la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale constituent des fautes, susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat, et que, d'autre part, le comportement adopté par l'Etat à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 17 juin 2015 au sujet des modalités de prise en charge de la spécialité Javlor, qui l'a conduit à méconnaître pendant près d'un an la chose jugée en ne permettant pas la facturation de Javlor en sus des prestations d'hospitalisation, était également constitutif d'une faute, susceptible d'engager sa responsabilité.

En ce qui concerne l'existence d'un lien de causalité entre les fautes commises par l'Etat et le préjudice financier invoqué par les sociétés requérantes :

9. Si l'illégalité dont est entachée une décision administrative constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, elle n'est de nature à ouvrir droit à réparation que dans la mesure où son application a entraîné un préjudice direct et certain.

10. Le Conseil d'Etat, par sa décision du 17 juin 2015, a annulé pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 février 2012 en tant qu'il a radié la spécialité Javlor de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation au motif qu'il a été pris en méconnaissance de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 dès lors notamment que les critères sur lesquels les ministres chargés de la santé et du budget se fondent pour décider de radier une spécialité de la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale n'avaient fait l'objet ni d'une publication, ni d'une communication à la Commission, avant l'adoption de l'arrêté du 21 février 2012. Ainsi, à défaut de toute publication préalable des critères pouvant motiver une radiation de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation et de leur communication à la Commission, qui n'est intervenue qu'avec la publication du décret n° 2016-349 du 24 mars 2016, l'autorité administrative ne disposait d'aucun fondement lui permettant de prendre légalement la mesure de radiation en cause. Il suit de là que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le préjudice financier allégué par les sociétés requérantes ne présentait pas un lien de causalité direct avec les fautes commises par l'Etat au motif que la radiation de la spécialité Javlor de la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale était justifiée au fond en raison de l'absence d'amélioration du service médical rendu.

11. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, ainsi que le soutiennent les sociétés requérantes, que la décision de radiation du 21 février 2012 a été concomitante à une chute des ventes de Javlor. La circonstance avancée par le ministre en défense que cette spécialité demeurait prise en charge par l'assurance maladie dans le cadre des forfaits des groupes homogènes de séjour (GHS) est insuffisante pour écarter l'existence d'un lien entre l'intervention de l'arrêté du 21 février 2012 et la chute des ventes constatée dès lors qu'à supposer même que les forfaits GHS aient été modifiés pour tenir compte de cette radiation, ce changement des modalités de prise en charge du Javlor, qui induit des conditions de remboursement moins favorables pour les établissements, a pu conduire à une moindre prescription de la spécialité en cause. Si le ministre fait également valoir que la diminution des prescriptions de Javlor résulterait du développement d'alternatives thérapeutiques, il n'apporte aucune justification au soutien de cette allégation, contestée par les requérantes.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Pierre Fabre Médicament et la société Pierre Fabre Médicament Production sont fondées à soutenir que le préjudice financier résultant de la chute des ventes de la spécialité Javlor est en lien direct avec l'illégalité de l'arrêté du 21 février 2012. Par ailleurs, le préjudice allégué par les sociétés requérantes au titre de la période du 17 juin 2015 au 11 mai 2016, date à laquelle le ministre des affaires sociales et de la santé a diffusé aux agences régionales de santé une information rectificative relative à la prise en charge de la spécialité Javlor en sus des prestations d'hospitalisation, est en lien direct avec la méconnaissance par l'administration de la chose jugée par le Conseil d'Etat en ne permettant pas la facturation de la spécialité Javlor en sus des prestations d'hospitalisation. En revanche, au titre de la période du 12 mai au 31 juillet 2016, les sociétés requérantes ne justifient pas de l'existence d'un préjudice en lien direct avec les fautes énoncées au point 8.

En ce qui concerne les préjudices invoqués par les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production :

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 11, contrairement à ce que soutient le ministre des solidarités et de la santé en défense, que les sociétés requérantes justifient suffisamment du caractère certain dans son principe du préjudice financier dont elles demandent l'indemnisation. En revanche, les éléments produits aux débats tant en première instance qu'en appel par les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production ne permettent pas de déterminer avec une précision suffisante le montant du préjudice subi dès lors notamment que, d'une part, les sociétés déterminent la perte de chiffre d'affaires résultant de la décision de radiation de la spécialité Javlor de la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale en se fondant sur les ventes prévisionnelles déclarées en début de commercialisation alors que ces données présentent un caractère hypothétique et sont du reste contredites par le taux de croissance des ventes de la spécialité Javlor constaté dans trois autres pays de l'Union européenne par l'expert-comptable mandaté par la société Pierre Fabre Médicament et que, d'autre part, le rapport de M. B..., expert-comptable, n'a pas été établi contradictoirement. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise afin de déterminer le préjudice subi par les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production à raison des fautes commises par l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions présentées par les sociétés Pierre Fabre Médicament et Pierre Fabre Médicament Production, procédé à une expertise en vue d'éclairer la cour sur le préjudice économique subi par ces sociétés, au titre de la période du 1er mars 2012 au 11 mai 2016, du fait, d'une part, des illégalités entachant l'arrêté du 21 février 2012 par lequel la spécialité Javlor a été radiée de la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale et, d'autre part, de l'abstention de l'Etat à se conformer à la décision n° 363164 du 17 juin 2015 du Conseil d'Etat en ne permettant pas la facturation de la spécialité Javlor en sus des prestations d'hospitalisation.

Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 3 : L'expert aura pour mission :

1°) de se faire communiquer tous documents relatifs à l'objet des litiges ; de prendre connaissance du rapport établi le 18 septembre 2017 ; de convoquer et entendre les parties et, le cas échéant, tous sachants ;

2°) sur la base de ces éléments, de déterminer quelle a été la perte financière totale subie par la société Pierre Fabre Médicament, d'une part, et par la société Pierre Fabre Médicament Production, d'autre part.

Article 4 : L'expertise sera menée contradictoirement entre la société Pierre Fabre Médicament, la société Pierre Fabre Médicament Production et le ministre des solidarités et de la santé.

Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pierre Fabre Médicament, à la société Pierre Fabre Médicament Production et à la ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

M. Coudert, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.

Le rapporteur,

B. A...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N°s 19VE01848-22VE00319 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01848
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SELARL LEXCASE SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-07-05;19ve01848 ?
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