Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société François investissement construction et promotion (Ficop) a demandé au tribunal administratif de Versailles, à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question que lui a posée le Conseil d'Etat, le 25 juin 2020, dans sa décision n° 416727 " Société Icade promotion Logement " et, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2015.
Par un jugement n° 1804252 du 18 décembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2021 et le 19 avril 2021, la société Ficop, représenté par Me Labetoule, avocat, demande à la cour :
1° à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se prononce sur la question que lui a posée le Conseil d'Etat, le 25 juin 2020, dans sa décision n° 416727 " Société Icade promotion Logement " ;
2° à titre subsidiaire, d'annuler le jugement attaqué et de prononcer la décharge des rappels de TVA mis à sa charge au titre des exercices 2012, 2013, 2014 et 2015 ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article L. 57 du livre des procédures fiscales a été méconnu, dès lors qu'elle n'a pas reçu de réponse motivée aux observations qu'elle avait formulées par courrier du 15 février 2016 à l'encontre de la proposition de rectification du 18 décembre 2015 ;
- l'article L. 59 du livre des procédures fiscales a été méconnu, dès lors qu'elle a été privée de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui était bien compétente ;
- l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales a été méconnu, dès lors qu'elle n'a pas eu communication des actes d'acquisition sur lesquels l'administration a fondé les rectifications litigieuses, malgré sa demande en ce sens ;
- l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales a été méconnu, dès lors que l'avis de mise en recouvrement vise à tort l'avis de la commission départementale des impôts du 12 octobre 2016 ;
- c'est à tort que l'administration fiscale lui a refusé le bénéfice du régime de la TVA sur la marge, alors que l'article 268 du code général des impôts ne pose aucune condition relative à l'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 mars 2021 et le 4 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans la présente affaire, dès lors que la demande d'avis adressée par le Conseil d'Etat concerne une situation différente de celle des faits de l'espèce ;
- les moyens soulevés par la société Ficop ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 février 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère,
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société François Invest Construction Promotion (Ficop) exerce l'activité de marchand de biens. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle deux propositions de rectification en date des 18 décembre 2015 et 18 mai 2016 lui ont été notifiées, portant sur des rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur la période courant du 30 septembre 2011 au 30 septembre 2012 pour la première de ces propositions de rectification, puis du 30 septembre 2012 au 30 septembre 2015 pour la seconde. Ces suppléments d'impôt ont été mis en recouvrement le 16 octobre 2017. Suite à la réclamation de la société Ficop, l'administration a prononcé la décharge partielle de ces impositions supplémentaires par décision du 30 avril 2018. La société Ficop relève appel du jugement n° 1804252 du 18 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires restant à sa charge.
Sur les conclusions tendant au sursis à statuer :
2. Par décision du 30 septembre 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a statué sur la demande d'avis du Conseil d'Etat concernant l'interprétation de l'article 392 de la directive 2006/112/CE dont l'article 268 du code général des impôts constitue la transposition. Par suite, il n'y a plus lieu de faire droit aux conclusions de la société Ficop tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée. ". La société Ficop invoque la méconnaissance de ces dispositions au motif qu'elle n'aurait pas reçu de réponse aux observations qu'elle a formulées par courrier du 15 février 2016 à l'encontre de la proposition de rectification du 18 décembre 2015 concernant les rappels de TVA notifiés pour la période allant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012. Toutefois, l'administration produit une copie de la réponse aux observations du contribuable en date du 15 avril 2016 qu'elle soutient avoir notifiée à la société requérante et une attestation postale concernant la distribution d'un pli le 18 avril 2016. Au vu de la concordance des dates et dès lors que la société FICOP n'a pas démontré, ni même allégué, qu'un autre pli lui aurait été distribué le 18 avril 2016, il y a lieu de tenir pour établi que la distribution du 18 avril 2016 concernait la réponse aux observations du contribuable du 15 avril 2016. Par suite, le moyen avancé doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I - La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; (...) 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code. / II. - Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. ". La remise en cause du régime de la TVA sur la marge dans lequel une entreprise s'est placée a trait au principe même de l'imposition de ces opérations et non au montant du chiffre d'affaires mentionné à l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales. Une telle question ne relève dès lors pas de la compétence de la commission départementale alors même que sa solution dépendait de l'appréciation de questions de fait. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le défaut de saisine de la commission par l'administration était constitutif d'une irrégularité de procédure de nature à entraîner la décharge des impositions en cause.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". S'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et à tout moment avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour établir les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander, avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent, que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition, cette obligation ne s'étend pas aux informations nécessairement détenues par les différents services de l'administration fiscale en application de dispositions législatives ou réglementaires, qui sont mis à disposition des parties ou leur sont expédiés à leur demande et sont librement accessibles au public en vertu d'une obligation légale. La société Ficop invoque la méconnaissance de ces dispositions en ce que, malgré ses demandes en ce sens, l'administration ne lui a pas communiqué les actes d'acquisition sur lesquels elle avait fondé les rappels de TVA litigieux.
6. Toutefois, l'administration soutient, sans être contredite, que ces actes d'acquisition ont été spontanément transmis au service de la publicité foncière par le notaire dans le cadre de la formalité de l'enregistrement, sans qu'elle ait exercé son droit de communication. Or, les informations contenues dans le fichier immobilier, qui proviennent des actes déposés au service des impôts en application des prescriptions de l'article 860 du code général des impôts, sont librement accessibles au public et se situent donc hors du champ d'application de l'article L 76 B du livre des procédures fiscales. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité (...) ". Aux termes du 1 de l'article R. 256 du même livre : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis./ Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ". En l'espèce, la société Ficop soutient que ces dispositions ont été méconnues dès lors que les avis de mise en recouvrement du 16 octobre 2017 qui lui ont été adressés mentionnent l'avis de la commission départementale des impôts du 12 octobre 2016, qui n'existe pas, et non le dernier acte de procédure ayant modifié le montant des rectifications. Toutefois, les rectifications litigieuses ont été en dernier lieu modifiées par le courrier du 12 octobre 2016 faisant suite à l'entretien avec le supérieur hiérarchique. Or, il est constant que ce courrier a été notifié à la société Ficop et que le montant des rectifications figurant dans ce courrier est le même que celui figurant sur les avis de mise en recouvrement. Ainsi, l'erreur matérielle portée sur les avis de mise en recouvrement, qui mentionnaient à tort l'avis de la commission départementale des impôts du 12 octobre 2016 au lieu du courrier du 12 octobre 2016, n'a pu induire la société Ficop en erreur, ni l'empêcher d'exercer utilement son droit de recours. La société requérante n'ayant été ainsi privée d'aucune garantie, cette simple erreur matérielle n'est pas de nature à entraîner la décharge des rappels de TVA litigieux.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
8. Aux termes de l'article 268 du code général des impôts : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir, ou d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a. soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble (...) ". L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ".
9. Il résulte de l'article 268 précité, lu à la lumière des dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 dont il a pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu'il prévoit s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur. La décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021, Icade Promotion SAS, aff. 299/20 ne contredit pas ces principes dès lors qu'elle dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration a retenu à tort le critère de l'identité de qualification juridique pour l'application du régime de TVA sur la marge.
10. Il n'est pas contesté que les rappels de TVA concernaient la vente, après division parcellaire des ensembles immobiliers achetés, de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti. Par suite, en l'absence d'identité juridique entre les biens achetés et les biens revendus, l'administration était fondée à refuser à la société Ficop le bénéfice du régime de la TVA sur la marge pour ces cessions.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ficop n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Ficop tendant à ce qu'il soit sursis à statuer.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Ficop est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ficop et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.
La rapporteure,
C. PHAM Le président,
P. BEAUJARD
La greffière,
C. FAJARDIE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 21VE00316