Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Accor a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits, majoration et intérêts de retard, de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison de revenus réputés distribués à sa filiale brésilienne Hotelaria Accor Brasil, pour un montant total fixé, dans le dernier état de ses écritures, à 2 815 153 euros.
Par un jugement n° 1807991 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement de 47 769 euros d'intérêts de retard intervenu en cours d'instance, prononcé la décharge partielle des retenues à la source mises à la charge la société Accor à hauteur de 1 209 796 euros de droits, 120 979 euros de majorations et 169 371 euros d'intérêts de retard au titre de l'exercice 2010, et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 octobre 2020, 4 mars et 23 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de remettre à la charge de la société Accor les impositions dont elle a été déchargée par le tribunal.
Le ministre soutient que :
- la société Accor n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 2351 de l'instruction du 8 décembre 1972 publiée au BOI n° 14 B-17-72 qui étend aux revenus réputés distribués le taux conventionnel de la retenue à la source prévu par l'article 10 de la convention fiscale franco-brésilienne relatif aux dividendes, dès lors que cette instruction a été rapportée sur ce point par une instruction du 2 juillet 1991 ; c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il n'était pas établi que l'instruction du 2 juillet 1991 était opposable, alors qu'elle a été publiée au BOI n° 4 J-2-91 du 11 juillet 1991 ; à supposer même que cette instruction n'ait pas été publiée, ses dispositions ont été intégralement reprises, y compris le tableau figurant en annexe, par la documentation de base relative aux capitaux mobiliers référencée DB n° 4 J-1334 mise à jour au 1er novembre 1995 et publiée au BOI 4 J-3-96 du 25 mars 1996 ; la doctrine en vigueur à la date de l'année d'imposition en litige est au demeurant contenue dans les instructions référencées 14 B-3-03 du 22 mai 2003 commentant la convention fiscale franco-algérienne, dont le paragraphe 2 précise qu'elle est applicable aux autres conventions signées par la France dont la rédaction est identique, et 14 B-3-20014 du 24 février 2004 (§ 43) relative à la convention fiscale conclue entre la France et le Botswana ;
- sur l'appel incident, les dividendes versés par la filiale brésilienne en 2011 à sa société mère ne peuvent constituer la contrepartie de la renonciation à recettes consentie en sa faveur par cette dernière en 2010, dès lors que la distribution de dividendes constitue une décision des organes compétents de cette filiale destinée à rémunérer ses actionnaires.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 février et 1er juin 2021, la société Accor, représentée par Me Meier, conclut au rejet de la requête du ministre, à titre incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande de décharge, à la décharge de l'intégralité des impositions supplémentaires, majorations et intérêts mis à sa charge en matière de retenue à la source au titre de l'exercice 2010, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'appel du ministre n'est pas fondé ; elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales du taux conventionnel de 15 % de retenue à la source prévu par l'article 10 de la convention fiscale franco-brésilienne telle qu'interprétée par la doctrine référencée BOI n° 14-B-17-72 du 15 décembre 1972, qui n'a pas été rapportée par l'administration ; l'instruction du 2 juillet 1991 applicable de manière générale aux dividendes n'a pas rapporté l'interprétation du BOI 14 B-17-72 du 15 décembre 1972 interprétant spécifiquement la convention franco-brésilienne, qui figure au nombre des références administratives en vigueur au 1er janvier 2010, et a d'ailleurs été reprise de manière littérale par la doctrine postérieure au paragraphe 120 du BOI-INT-CVB-BRA du 12 septembre 2012 et au paragraphe 150 du BOI-INT-CVB-BRA du 12 août 2015 ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas prononcé une décharge totale, dès lors que les sommes en litige ne constituent pas des revenus distribués soumis à retenue à la source ; en effet, si la société Hotelaria Accor Brasil ne lui a pas versé de redevance en 2010, l'augmentation du résultat qui en est résulté pour cette filiale a été appréhendé par le groupe Accor en France, à hauteur de 5 791 143 euros, dans le cadre d'une distribution de dividendes décidée au titre des résultats de l'année 2010.
Par une ordonnance du 16 février 2022, l'instruction a été close au 16 mars 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention du 10 septembre 1971 entre la République française et la République fédérale du Brésil tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public ,
- et les observations de Me Torlet, pour la société Accor.
Considérant ce qui suit :
1. La société Accor a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant notamment sur l'exercice 2010 au cours de laquelle le service a constaté qu'elle n'avait pas facturé la redevance d'usage de ses marques contractuellement due par sa filiale brésilienne Hotelaria Accor Brasil. Le service a évalué à 8 839 047 euros le montant des bénéfices ainsi transférés à l'étranger et mis à sa charge la retenue à la source prévue au 2° de l'article 119 bis du code général des impôts, au taux de droit commun de 25 %, sur ces revenus regardés comme distribués à sa filiale. Par un jugement du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement de 47 769 euros d'intérêts de retard, partiellement déchargé la société Accor de la retenue à la source, de la majoration et des intérêts de retard correspondants, à concurrence de l'application du taux réduit conventionnel de 15 %, et rejeté le surplus de la demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé une décharge partielle. La société Accor conclut au rejet de l'appel du ministre et demande, à titre incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il n'a fait intégralement droit à sa demande de décharge.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Constitue une telle pratique la renonciation, par une entreprise établie en France, à sa rémunération due par sa filiale établie hors de France. Les transferts de bénéfices à l'étranger visés à l'article 57 du code général des impôts, réputés distribués en application des articles 109 à 111 du même code, sont soumis à la retenue à la source prévue au 2° de l'article 119 bis de ce code.
3. Il est constant que la société Accor n'a pas perçu, au cours de l'année 2010, les redevances qui lui étaient contractuellement dues par sa filiale brésilienne Hotelaria Accor Brasil, société qu'elle détient directement à 0,09 % par la société Accor SA et indirectement à 99,91 % à travers sa filiale française Chammans, membre du groupe d'intégration fiscale dont elle est la mère intégrante, et qu'une telle renonciation à recettes, ayant pour effet la mise à disposition à titre gratuit des marques dont elle est propriétaire et dont elle supporte les frais de développement, relève par nature d'une gestion anormale. La circonstance que la société Hotelaria Accor Brasil aurait procédé à une distribution de dividendes de 5 791 143 euros au groupe Accor au titre de l'année 2010 n'est pas de nature à établir que la filiale brésilienne n'a pas réellement bénéficié de ces revenus, dès lors qu'en décidant d'allouer des dividendes aux actionnaires, les organes compétents de la filiale ont disposé librement du produit de l'avantage qui lui a été consenti. Il s'ensuit que la société Accor n'est pas fondée à soutenir qu'elle devait être déchargée de l'intégralité de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie.
Sur l'application de la convention fiscale franco-brésilienne :
4. Aux termes de l'article 10 de la convention fiscale conclue entre la République française et la République fédérative du Brésil le 10 septembre 1971 : " 1. Les dividendes payés par une société qui est résidente d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. Toutefois, les dividendes peuvent être imposés dans l'Etat sur le territoire duquel la société qui paie les dividendes a son domicile fiscal et selon la législation de cet Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 p. cent du montant brut des dividendes. / (...) 5. a) Le terme " dividende " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateurs ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus d'autres parts sociales assimilés aux revenus d'actions par la législation fiscale de l'Etat dont la société distributrice est résidente. (...) ".
5. Il résulte de ces stipulations que les dividendes mentionnés à l'article 10 de la convention franco-brésilienne doivent être définis comme les produits distribués par une société à ses associés en vertu d'une décision prise par l'assemblée générale de ses actionnaires ou porteurs de parts dans les conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales, lesquels n'incluent pas les revenus réputés distribués au sens du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Ni ces stipulations, ni aucune autre clause de la convention franco-brésilienne, ne font obstacle à l'imposition en France des revenus regardés comme distribués à la société Hotelaria Accor Brasil par la société Accor, selon la loi fiscale française, au taux de droit commun fixé, à la date de l'imposition en litige, à 25 % de ces revenus par l'article 187 du code général des impôts.
Sur l'interprétation administrative de la convention fiscale franco-brésilienne :
6. La société Accor se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction du 8 décembre 1972 référencée BOI n° 14-B-17-72 relative à la convention fiscale conclue entre le France et le Brésil le 10 septembre 1971, qui prévoit que : " Selon le paragraphe 5 de l'article 10, le terme dividendes désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateurs ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances et d'une façon générale, les revenus assimilés aux revenus d'actions par la législation fiscale de l'État dont la société distributrice est résidente. / Cette définition couvre, du côté français, tous les produits considérés comme revenus distribués au sens du Code général des Impôts (art. 10, paragraphe 5b). " Toutefois, cette interprétation a été rapportée par une instruction référencée 4 J-2-91 du 2 juillet 1991, publiée au Bulletin officiel des impôts n° 133 du 11 juillet 1991, relative à l'incidence des conventions internationales sur la retenue à la source applicable aux revenus distribués hors de France, selon laquelle : " les avantages qui profitent [aux associés et aux personnes ayant des liens étroits avec les associés] et qui sont considérés comme des revenus distribués en droit interne conservent ce caractère en droit conventionnel lorsque la convention applicable vise les dividendes et en donne une définition semblable à celle du modèle OCDE. En revanche, lorsqu'ils profitent à des personnes autres que les associés, ces avantages relèvent des dispositions conventionnelles relatives aux revenus "non dénommés", c'est-à-dire aux revenus qui n'entrent dans aucune des catégories expressément définies par la convention applicable ". L'annexe 1 à cette instruction précise spécifiquement, s'agissant du Brésil, que les revenus payés à un bénéficiaire non associé de la société distributrice sont passibles de la retenue à la source au taux de droit commun de 25 %. Ces énonciations doivent être regardées comme ayant rapporté, sur ce point particulier, l'interprétation administrative figurant au paragraphe 2351 de l'instruction du 8 décembre 1972. Est à cet égard sans incidence la circonstance que l'instruction du 8 décembre 1972 a été intégralement reprise et publiée par le BOFIP le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-INT-CVB-BRA, postérieurement à l'année d'imposition en litige. Il s'ensuit que la société Accor ne peut revendiquer le bénéfice du taux réduit conventionnel d'imposition.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement déchargé la société Accor de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010. Il y a lieu de remettre à sa charge les impositions dont elle a été déchargée par le tribunal.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la société Accor soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : La retenue à la source dont la société Accor a été déchargée par le tribunal administratif de Montreuil au titre de l'année 2010, à hauteur de 1 209 796 euros de droits, 120 979 euros de majoration et 169 371 euros d'intérêts de retard, est remise à sa charge.
Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 3 : Les conclusions d'appel incident de la société Accor et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Accor.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2022 à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022.
La rapporteure,
O. A...Le président,
P. BEAUJARDLa greffière,
C. FAJARDIE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 20VE02607 2