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17/06/2022 | FRANCE | N°20VE03069

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 juin 2022, 20VE03069


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Keolis Vélizy a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite née le 18 décembre 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision du 18 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Yvelines de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-

de-France l'a autorisée, sous condition de mise en place d'un livret de condu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Keolis Vélizy a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite née le 18 décembre 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision du 18 septembre 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Yvelines de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France l'a autorisée, sous condition de mise en place d'un livret de conduite, à déroger à l'amplitude horaire de travail pour la période du 21 août 2017 au 15 juillet 2018.

Par un jugement n° 1801208 du 8 octobre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 novembre 2020, la société Keolis Vélizy, représentée par Me Geoffrion, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles ;

2°) d'annuler la décision implicite née le 18 décembre 2017 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique et l'article 2 de la décision du 18 septembre 2017 de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée par la ministre du travail, alors que l'article 2 de la décision du 18 septembre 2017 éclairé par le courrier du même jour de l'inspecteur du travail, lui fait grief ;

- la décision implicite rejetant son recours gracieux est entachée d'un défaut de motivation ;

- la décision du 18 septembre 2017 est illégale dès lors qu'elle impose la détention d'un livret individuel de contrôle qui n'est prévue par aucune disposition légale applicable à son activité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la décision du 18 septembre 2017 ne fait pas grief à la société requérante ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,

- et les observations de Me Arnail pour la société Keolis Vélizy.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 2 août 2017, la société Keolis Vélizy a sollicité l'autorisation de déroger à l'amplitude journalière maximale de travail pour la période du 21 août 2017 au 15 juillet 2018. Par une décision du 18 septembre 2017, l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Yvelines de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a autorisé la dérogation sollicitée tout en précisant à l'article 2 de sa décision que cette autorisation " pourra être à tout moment retirée si les éléments d'information présentés se révèlent inexacts ou se trouvent modifiés ou encore s'il est constaté que le décompte du temps de travail du personnel roulant n'est pas effectué ". Le 17 octobre 2017, la société Keolis Vélizy a formé un recours hiérarchique contre cette décision, qui a été implicitement rejeté par la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. La société Keolis Vélizy relève appel du jugement du 8 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 septembre 2017, ensemble la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur son recours hiérarchique.

Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Versailles :

2. Le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Keolis Vélizy au motif que les décisions attaquées ne lui faisaient pas grief.

3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'article 2 de la décision du 18 septembre 2017, seul contesté par la société requérante, indique que " la présente décision d'autorisation pourra être à tout moment retirée si les éléments d'information présentés se révèlent inexacts ou se trouvent modifiés ou encore s'il est constaté que le décompte du temps de travail du personnel roulant n'est pas effectué ". En outre le courrier du même jour accompagnant cette décision appelle spécifiquement l'attention de la société requérante sur les termes de cet article de la décision, expose la réglementation applicable en matière de décompte du temps de travail en soulignant la nécessité de faire établir par les chauffeurs, y compris s'agissant du personnel roulant intérimaire, un livret individuel de contrôle et, enfin, indique à la société qu'il réalisera un contrôle " dans les prochains mois afin de vérifier que l'ensemble de ces obligations réglementaires sont bien respectées ". Ainsi, eu égard aux termes de l'article 2 de la décision du 18 septembre 2017 et du courrier de l'inspecteur du travail qui l'accompagne, la société Keolis Vélizy est fondée à soutenir que l'inspecteur du travail, alors même qu'il lui accordait la dérogation sollicitée, entendait lui imposer le respect de certaines obligations en matière de décompte du temps de travail. Dans cette mesure, la décision du 18 septembre 2017 fait grief à la société.

4. Il suit de là que la société Keolis Vélizy est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté pour irrecevabilité sa demande et que, par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et qu'il doit être en conséquence annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Keolis Vélizy devant le tribunal administratif de Versailles.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

6. Il ressort des termes de la décision du 18 septembre 2017 et du courrier l'accompagnant que l'inspecteur du travail a demandé à la société Keolis Vélizy de faire remplir par ses personnels roulants un livret individuel de contrôle. Ainsi qu'il a été dit, la requérante est recevable à contester dans cette mesure cette décision.

7. Aux termes de l'article R. 3312-19 du code des transports, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " La durée du travail des personnels roulants assurant des transports routiers non soumis aux règlements (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route et (CEE) n° 3821/85 du Conseil du 20 décembre 1985 concernant l'appareil de contrôle dans le domaine des transports par route est enregistrée, attestée et contrôlée au moyen : / 1° De l'horaire de service, pour les services de transports interurbains de voyageurs à horaire fixe et ramenant chaque jour les salariés intéressés à leur établissement d'attache ; / 2° Dans les autres cas, d'un livret individuel de contrôle dont les feuillets doivent être remplis quotidiennement par les intéressés pour y faire mention de la durée des différents travaux. La durée du travail ainsi enregistrée au moyen des feuillets quotidiens du livret individuel de contrôle fait l'objet, pour chaque salarié concerné, d'un récapitulatif hebdomadaire et mensuel établi par l'employeur. ".

8. Il est constant que les lignes de bus exploitées par la société Keolis Vélizy et concernées par la demande de prolongation de l'amplitude horaire maximale du personnel roulant constituent des services de transports interurbains de voyageurs dont l'administration ne conteste pas qu'elles ne dépassent pas 50 km. Il ressort en outre des pièces du dossier que les services de transports en cause sont des services réguliers et sont donc bien, contrairement à ce que fait valoir la ministre en défense, des services " à horaire fixe " au sens des dispositions précitées du 1° de l'article R. 3312-19 du code des transports. En effet, il résulte de la lettre même de cet article que cette condition d'horaire fixe s'applique aux services de transports eux-mêmes et non aux horaires de travail des personnels roulants. En outre, il ressort des pièces du dossier, ainsi que le soutient la société requérante, que l'horaire de service des chauffeurs inclut l'ensemble des tâches qu'ils doivent accomplir entre leur prise de service au dépôt et la fin de leur service ainsi que l'interruption de service obligatoire. Dans ces conditions la ministre n'est pas davantage fondée à soutenir que l'horaire de service visé par le 1° de l'article R. 3312-19 ne permettrait pas de rendre compte des heures travaillées par les conducteurs des bus. Enfin, la circonstance relevée en défense que les aléas de circulation et de matériel conduiraient à des dépassements des horaires prévus est sans incidence sur la qualification de services à horaire fixe au sens et pour l'application de dispositions en cause du code du travail. Il suit de là que la société Keolis Vélizy est fondée à soutenir que les services de transports visés par sa demande entraient dans les prévisions du 1° de l'article R. 3312-19 du code des transports et ne relevaient donc pas des dispositions du 2° de ce même article.

9. Dès lors que la société requérante satisfait aux conditions d'application des dispositions particulières du code des transports, la ministre du travail n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions générales du code du travail.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Keolis Vélizy est fondée à soutenir que l'inspecteur du travail, en lui demandant de mettre en place un livret individuel de contrôle a méconnu les dispositions précitées de l'article R. 3312-19 du code des transports et, par suite, à demander, dans cette mesure, l'annulation de la décision du 18 septembre 2017, ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique.

Sur les dépens :

11. L'instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Keolis Vélizy présentées à ce titre.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Keolis Vélizy d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1801208 du 8 octobre 2020 du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : La décision du 18 septembre 2017 de l'inspecteur du travail est annulée en tant qu'elle demande à la société Keolis Vélizy de mettre en place un livret individuel de contrôle, ensemble la décision implicite par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique.

Article 3 : L'Etat versera à la société Keolis Vélizy une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Keolis Vélizy et de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Versailles est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Keolis Vélizy et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

M. Coudert, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2022.

Le rapporteur,

B. A...Le président,

S. BROTONS La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20VE03069 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE03069
Date de la décision : 17/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SELARL PG AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-06-17;20ve03069 ?
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