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16/06/2022 | FRANCE | N°18VE03825

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 16 juin 2022, 18VE03825


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite, née le 15 août 2015, par laquelle le recteur de l'académie de Versailles a rejeté sa réclamation indemnitaire préalable du 11 juin 2015, ainsi que la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a proposé de lui verser une indemnité totale de 140 000 euros, sous déduction de la somme de 132 510 euros correspondant au montant to

tal des pensions de retraite déjà rappelées, de condamner l'Etat à lui verse...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite, née le 15 août 2015, par laquelle le recteur de l'académie de Versailles a rejeté sa réclamation indemnitaire préalable du 11 juin 2015, ainsi que la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a proposé de lui verser une indemnité totale de 140 000 euros, sous déduction de la somme de 132 510 euros correspondant au montant total des pensions de retraite déjà rappelées, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 1 010 386,17 euros ou, à défaut, une indemnité globale et forfaitaire de 500 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, d'enjoindre à l'Etat, d'une part, de compenser la dette relative au rappel de ses pensions de retraite avec sa créance indemnitaire et, d'autre part, de reconstituer sa carrière et ses droits à pension, en prenant à sa charge leurs parts patronale et salariale, et de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rochefort de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1506076 du 4 juin 2018, ce tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 20 novembre 2018 et 31 mai 2021, Mme B..., représentée par Me Rochefort, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 1 010 386,17 euros ou, à défaut, une indemnité globale et forfaitaire de 500 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation ;

4°) d'enjoindre à l'Etat, d'une part, de compenser la dette relative au rappel de ses pensions de retraite avec sa créance indemnitaire et, d'autre part, de reconstituer sa carrière et ses droits à pension, en prenant à sa charge leurs parts patronale et salariale ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rochefort de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors, d'une part, qu'il ne lui permet pas de comprendre pour quels motifs le tribunal administratif a rejeté toutes ses demandes et, d'autre part, qu'il ne cite pas les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision contestée du 8 juillet 2015 ;

- le tribunal administratif a omis de statuer, d'une part, sur les conclusions et moyens dirigés contre la décision contestée du 8 juillet 2015 et, d'autre part, sur l'ensemble des conclusions indemnitaires qu'elle avait présentées ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, ses conclusions à fin d'annulation de la décision contestée du 8 juillet 2015 étaient recevables dès lors qu'elles étaient assorties de moyens, conformément à l'article R. 411-1 du code de justice administrative, tirés de ce que l'indemnisation proposée par le ministre est insuffisante au regard de l'ensemble des demandes indemnitaires présentées dans sa réclamation préalable ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement n° 1205122 du 7 avril 2016, par lequel le tribunal administratif de Versailles a uniquement statué sur sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices moral et financier subis, jusqu'en 2012 seulement, à raison de l'illégalité de la décision du 8 février 2007 l'ayant placée en retraite d'office pour invalidité à compter du 24 septembre 2007, ne faisait pas obstacle à l'examen de la présente demande, qui tend également à l'indemnisation des préjudices moral et financier subis à raison de l'illégalité de la décision du 3 avril 2013 l'ayant de nouveau placée en retraite d'office pour invalidité à compter du 24 septembre 2007, de l'illégalité de la décision du 4 décembre 2014 l'ayant radiée des cadres pour abandon de poste et de l'illégalité des conditions dans lesquelles était, dans l'intervalle, intervenue sa réintégration, sans que l'administration ne lui ait proposé un poste adapté ni invité à présenter une demande de reclassement ;

- l'illégalité fautive des décisions susmentionnées des 8 février 2007 et 3 avril 2013, qui ont été annulées, engage la responsabilité de l'Etat ;

- par ailleurs, en s'abstenant, lors de sa réintégration en 2014, de lui proposer un emploi adapté, compte tenu de ce que son domicile se trouvait désormais en Ariège, ou de l'inviter à présenter une demande de reclassement, l'Etat a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- enfin, la décision du 4 décembre 2014 l'ayant radiée des cadres pour abandon de poste est également entachée d'une illégalité fautive dès lors, d'une part, qu'elle ne peut être regardée comme ayant manifesté son intention de rompre tout lien avec le service, d'autre part, que le délai qui lui avait été imparti par la mise en demeure de reprendre ses fonctions était insuffisant et, enfin, que le signataire de la décision du 4 décembre 2014 ne disposait pas d'une délégation de signature régulière ;

- ces fautes lui ont causé des préjudices moral et financier, évalués à un montant total de 1 010 386,17 euros.

Par une décision du 28 septembre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles a accordé à Mme B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 31 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juillet 2021.

Mme B... a présenté un nouveau mémoire, enregistré le 19 mai 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rochefort, pour Mme B..., et celles de Mme B....

Une note en délibéré, enregistrée le 15 juin 2022, a été présentée par Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 8 février 2007, le recteur de l'académie de Versailles a admis Mme B..., professeure certifiée titulaire, à la retraite d'office pour invalidité à compter du 24 septembre 2007. Après que cette décision a été annulée par un arrêt de la cour n° 10VE01442 du 2 février 2012, le recteur a réitéré sa décision, par arrêté du 3 avril 2013. Par un jugement n° 1303877 du 10 février 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Versailles a annulé cet arrêté et enjoint au recteur de réintégrer rétroactivement Mme B..., en reconstituant sa carrière, à compter du 24 septembre 2007. En exécution de ce jugement, le recteur de l'académie de Versailles a, par arrêté du 23 avril 2014, réintégré rétroactivement l'intéressée à compter de cette dernière date, puis, par décision du 13 octobre 2014, l'a affectée dans un collège en Essonne. Par un arrêté du 4 décembre 2014, ce recteur a prononcé la radiation des cadres de Mme B... pour abandon de poste. Entre-temps, Mme B... avait demandé au tribunal administratif de Versailles, le 10 août 2012, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 433 945,95 euros en réparation des préjudices moral et financier qu'elle estimait avoir subis à raison de l'illégalité de la décision du 8 février 2007 l'ayant admise à la retraite pour invalidité. Par jugement n° 1205122 du 7 avril 2016, devenu définitif, ce tribunal, après avoir constaté l'illégalité fautive de cette décision, a, d'une part, condamné l'Etat à verser à Mme B... une indemnité de 1 500 euros au titre de son préjudice moral et, d'autre part, renvoyé l'intéressée devant l'administration pour qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de l'indemnité due en réparation des pertes de rémunérations subies au cours de la période durant laquelle elle avait ainsi été illégalement évincée du service. Par ailleurs, par lettre datée du 11 juin 2015 et reçue le 15 juin suivant, Mme B... a adressé au recteur de l'académie de Versailles, une réclamation préalable tendant à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices moral et financier qu'elle estimait avoir subis à raison de l'illégalité des décisions des 8 février 2007 et 3 avril 2013 l'ayant placée en retraite d'office pour invalidité à compter du 24 septembre 2007, de l'illégalité des conditions dans lesquelles était, après annulation de celles-ci, intervenue sa réintégration, sans que l'administration ne lui ait proposé un poste adapté ni invité à présenter une demande de reclassement, et de l'illégalité de la décision du 4 décembre 2014 l'ayant radiée des cadres pour abandon de poste. Cette réclamation a été implicitement rejetée par le recteur, par décision née le 15 août 2015. Cependant, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a, par décision du 8 juillet 2015, proposé à Mme B... de lui verser une indemnité totale de 140 000 euros, sous réserve que l'intéressée accepte de signer un protocole transactionnel. N'ayant pas accepté cette proposition, Mme B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite du 15 août 2015, ainsi que la décision susmentionnée du 8 juillet 2015, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité totale de 1 010 386,17 euros ou, à défaut, une indemnité globale et forfaitaire de 500 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, et, enfin, d'enjoindre à l'Etat, d'une part, de compenser la dette relative au rappel de ses pensions de retraite avec sa créance indemnitaire et, d'autre part, de reconstituer sa carrière et ses droits à pension, en prenant à sa charge leurs parts patronale et salariale. Par un jugement du 4 juin 2018, dont Mme B... relève appel, ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la décision du 15 août 2015 par laquelle le recteur a implicitement rejeté la réclamation indemnitaire préalable présentée par Mme B... et la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre a partiellement refusé d'y faire droit, ont eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de la requérante qui, en formulant les conclusions sus-analysées, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont seraient, le cas échéant, entachées les décisions qui ont ainsi lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, la circonstance, invoquée par Mme B..., que le tribunal administratif aurait, d'une part, rejeté à tort pour irrecevabilité et sans motivation suffisante ses conclusions à fin d'annulation de la décision expresse du 8 juillet 2015 et, d'autre part, omis d'examiner ses conclusions à fin d'annulation de la décision implicite du 15 août 2015, ainsi que les moyens qu'elle développait à l'encontre de ces deux décisions, est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

3. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient Mme B..., le tribunal administratif a statué sur l'ensemble des conclusions indemnitaires que celle-ci avait présentées, pour le quantum total de 1 010 386,17 euros. Si la requérante fait, à cet égard, également valoir que ce tribunal aurait rejeté ces conclusions à tort, en opposant l'autorité de chose jugée qui s'attachait à son précédent jugement n° 1205122 du 7 avril 2016 alors que celui-ci n'avait statué que sur sa demande d'indemnisation des préjudices moral et financier subis à raison de l'illégalité de la décision susmentionnée du 8 février 2007, ce moyen, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges, n'est pas de nature à affecter la régularité du jugement attaqué.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices causés par l'illégalité de la décision du 8 février 2007 :

5. Aux termes de l'article 1351 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur et dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1355 du même code : " L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ".

6. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 1, par le jugement n° 1205122 du 7 avril 2016, devenu définitif, le tribunal administratif de Versailles, statuant sur la demande de Mme B... tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 433 945,95 euros en réparation des préjudices moral et financier qu'elle estimait avoir subis à raison de l'illégalité de la décision du 8 février 2007 l'ayant admise à la retraite pour invalidité à compter du 24 septembre 2007, a constaté l'illégalité fautive de cette décision, annulée par la cour dans son arrêt n° 10VE01442 du 2 février 2012, a condamné l'Etat à verser à Mme B... une indemnité de 1 500 euros au titre de son préjudice moral et a renvoyé l'intéressée devant l'administration pour qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de l'indemnité due en réparation des pertes de rémunérations subies au cours de la période durant laquelle elle avait été illégalement évincée du service du fait de la décision illégale ici en cause, soit du 24 février 2007 au 2 février 2012. L'autorité de la chose jugée qui s'attache à ce jugement s'opposait ainsi à ce qu'il soit de nouveau statué sur les conclusions de Mme B... tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices moral et financier résultant de l'illégalité de la décision du 8 février 2007. La requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a, pour ce motif, rejeté ses conclusions indemnitaires en tant qu'elles avaient pour objet la réparation réclamée en raison de l'illégalité fautive de cette dernière décision.

En ce qui concerne le surplus des conclusions indemnitaires :

7. Le jugement n° 1205122 du 7 avril 2016 mentionné au point 6 n'a, en revanche, pas pour objet de statuer sur les conclusions, présentées par Mme B... à l'occasion de la présente instance, et tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices moral et financier résultant de l'illégalité de la décision du 3 avril 2013 l'ayant, de nouveau, placée en retraite d'office pour invalidité à compter du 24 septembre 2007, de l'illégalité des conditions dans lesquelles, après annulation de celle-ci, est intervenue sa réintégration, et de l'illégalité de la décision du 4 décembre 2014 l'ayant radiée des cadres pour abandon de poste. Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du 7 avril 2016 ne s'opposait pas à ce qu'il soit statué sur le surplus des conclusions indemnitaires présentées par l'intéressée. Dès lors, il appartient à la cour de statuer sur le surplus de ces conclusions dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat :

8. En premier lieu, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.

9. Il résulte de l'instruction que, par un jugement n° 1303877 du 10 février 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 3 avril 2013 par lequel le recteur de l'académie de Versailles avait, de nouveau, admis Mme B... à la retraite d'office pour invalidité rétroactivement à compter du 24 septembre 2007, au motif que cette décision était entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté du 3 avril 2013 est entaché d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'alors que le recteur de l'académie de Versailles, en exécution du jugement du 10 février 2014 mentionné au point 9, avait, par arrêté du 23 avril 2014, réintégré rétroactivement Mme B... dans ses fonctions à compter du 24 septembre 2007 et, par arrêté du 3 mars 2014, affectée celle-ci, à compter de cette dernière date, sur un emploi de professeur en technologie dans un collège situé à Vigneux-sur-Seine, l'intéressée a concomitamment sollicité et obtenu, par arrêté du 7 avril 2014, son placement en disponibilité pour convenances personnelles, au titre de la période du 3 mars au 31 août 2014. A l'issue de cette période de disponibilité, le recteur a, par arrêté du 24 septembre 2014, affecté Mme B... sur un emploi de professeur en technologie dans un collège situé à Orsay (Essonne). Si la requérante soutient que ces mesures de réintégration effective dans des fonctions d'enseignement seraient entachées d'illégalité, faute pour l'administration de lui avoir proposé un poste adapté ou, à défaut, de l'avoir invitée à présenter une demande de reclassement, ainsi que l'avait relevé le jugement susmentionné du 10 février 2014 pour annuler l'arrêté du 3 avril 2013, il ressort des motifs de ce jugement que Mme B..., compte tenu de son état de santé, avait été déclarée, d'un côté, définitivement inapte uniquement à l'exercice des fonctions qu'elle avait précédemment occupées, par voie de détachement, en tant que directrice du centre départemental de documentation pédagogique de l'Ariège mais, de l'autre, apte à l'exercice de fonctions d'enseignement en tant que professeur de technologie, emploi qu'elle occupait antérieurement à ce détachement et dans lequel elle avait, d'ailleurs, sollicité sa réintégration à plusieurs reprises au cours des années 2012 et 2013. Compte tenu de son aptitude à exercer ces dernières fonctions, au demeurant non contestée à l'occasion de la présente instance, la requérante ne saurait sérieusement soutenir, au seul motif qu'elle avait entre-temps transféré son domicile en Ariège, que le recteur de l'académie de Versailles aurait, à l'occasion de sa réintégration effective, illégalement omis de lui proposer un emploi adapté à son état physique ou de l'inviter à présenter une demande de reclassement. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires présentées, à ce titre, par Mme B... ne peuvent qu'être rejetées.

11. En dernier lieu, Mme B... soutient que l'arrêté du 4 décembre 2014 l'ayant radiée des cadres pour abandon de poste serait, d'une part, entaché d'incompétence. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cet arrêté a été signé par M. Philippe Diaz, secrétaire général adjoint et directeur des ressources humaines de l'académie de Versailles. Or M. A... bénéficiait d'une délégation de signature lui ayant été consentie par arrêté rectoral du 2 janvier 2013, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la région Ile-de-France. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté du 4 décembre 2014 doit être écarté. D'autre part, si la requérante prétend également qu'elle n'aurait pas bénéficié d'un délai suffisant pour rejoindre son poste et qu'elle n'avait pas l'intention de rompre tout lien avec le service, l'intéressée, à l'occasion de la présente instance, n'assortit pas ces moyens de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé. Dans ces conditions, Mme B... n'établit pas que cette décision serait entachée d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, les conclusions indemnitaires qu'elle a présentées, à ce titre, doivent également être rejetées.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à engager la responsabilité de l'Etat à raison de l'illégalité fautive de l'arrêté du 3 avril 2013 et pour la période d'éviction supplémentaire en ayant directement résulté, à savoir du 2 février 2012, date à laquelle a été prononcée l'annulation de la décision du 8 février 2007 par l'arrêt mentionné au point 6, au 3 mars 2014, date à laquelle la requérante a été réintégrée dans ses fonctions d'enseignement dans les conditions rappelées au point 10.

S'agissant des préjudices et du lien de causalité :

13. En premier lieu, Mme B... est en droit, en application des principes rappelés au point 8, d'être indemnisée pour la perte des rémunérations qu'elle aurait dû percevoir au cours de la période d'éviction demeurant en litige, soit du 2 février 2012 au 3 mars 2014, sous déduction des pensions de retraite qu'elle a perçues au titre de la même période mais à l'exception de celles dont elle a déjà effectivement remboursé le montant en exécution des titres de perception émis à cet effet par l'administration. Toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer exactement, pour cette seule période, le montant de l'indemnité due à la requérante à raison de cette perte de rémunérations, ni davantage celui des pensions de retraite perçues mais non remboursées devant en être ainsi déduit, et, par suite, de chiffrer la somme différentielle qui devrait lui être versée. Par suite, il y a lieu de renvoyer l'intéressée devant l'administration pour qu'il soit procédé au calcul et à la liquidation de cette indemnité.

14. En second lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme B... du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 avril 2013, durant la période d'éviction en ayant directement résulté et indiquée au point 12, en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 5 000 euros.

S'agissant des intérêts et de leur capitalisation :

15. Mme B... a droit, sur les sommes mentionnées aux points 13 et 14, aux intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2015, date à laquelle l'administration a reçu sa réclamation préalable, ainsi qu'à la capitalisation de ces intérêts au 15 juin 2016, date à laquelle ceux-ci étaient alors dus pour au moins une année entière, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la réparation réclamée en raison de l'illégalité fautive de l'arrêté du 3 avril 2013.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. L'exécution du présent arrêt, qui se borne à faire partiellement droit aux conclusions indemnitaires de Mme B..., n'appelle aucune des mesures sollicitées par l'intéressée. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rochefort, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Rochefort de la somme de 2 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressée du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 avril 2013.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... l'indemnité représentative du préjudice financier subi par l'intéressée du fait de l'illégalité de l'arrêté du 3 avril 2013, telle que définie dans les motifs du présent arrêt.

Article 3 : Mme B... est renvoyée devant l'administration pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité mentionnée à l'article 2.

Article 4 : Les indemnités mentionnées aux articles 1er et 2 porteront intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2015. Les intérêts échus le 15 juin 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 1506076 du 4 juin 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : L'Etat versera à Me Rochefort la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Rochefort renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mme B... est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, au recteur de l'académie de Versailles et à Me Magali Rochefort.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président-assesseur,

M. Toutain, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.

Le rapporteur,

E. C...La présidente,

C. SIGNERIN-ICRELa greffière,

C. YARDELa République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 18VE03825 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03825
Date de la décision : 16/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Eric TOUTAIN
Rapporteur public ?: Mme SAUVAGEOT
Avocat(s) : ROCHEFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-06-16;18ve03825 ?
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