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09/06/2022 | FRANCE | N°19VE03130

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 09 juin 2022, 19VE03130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer le remboursement de l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés payés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 pour un montant de 1 659 684 euros et le report d'un déficit de groupe d'un montant de 3 943 044 euros, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

d'une question préjudicielle, et enfin de mettre à la charge de l'Etat la somm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer le remboursement de l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés payés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015 pour un montant de 1 659 684 euros et le report d'un déficit de groupe d'un montant de 3 943 044 euros, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle, et enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Par un jugement n° 1803472 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit aux conclusions principales de la demande, mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 4 septembre 2019, et 30 janvier et 28 octobre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de la SCA Financière SPIE Batignolles les impositions dont la décharge a été ordonnée à tort par les premiers juges pour un montant de 1 659 684 euros et d'annuler le report d'un déficit de groupe d'un montant de 3 943 044 euros.

Il soutient que les premiers juges ont à tort, estimé que la société FSB était fondée à solliciter l'imputation sur le résultat fiscal de la société SBTPCI de l'exercice clos le 31 décembre 2015 des déficits en report constatés lors de la liquidation de la succursale alors qu'aucune perte définitive ne pouvait être prise en compte en France dans la mesure où la succursale luxembourgeoise n'était pas déficitaire lors de l'exercice de liquidation et où la société n'établit pas qu'il lui était impossible de valoriser ces pertes en cédant sa succursale ; la solution du tribunal conduit d'ailleurs à prendre en compte pour la détermination du résultat intégré les déficits de la succursale antérieurs à l'intégration fiscale de la société SBTPCI, de sorte qu'une succursale étrangère est plus favorablement traitée qu'une succursale française.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 22 novembre 2019 et 19 août 2020, la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB), représentée par Me Rocchi, avocat, conclut au rejet de la requête, à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le moyen soulevé par le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention signée le 1er avril 1958 entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-446/03 de la Cour de justice de l'Union européenne du 13 décembre 2005 ;

- l'arrêt C-650/16 de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 juin 2018 ;

- l'arrêt C-608/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 juin 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Rocchi, avocat de la SCA Financière SPIE Batignolles.

Considérant ce qui suit :

1. La société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) est, depuis le 1er janvier 2008, la société mère d'un groupe fiscalement intégré et seule redevable de l'impôt dû par ce groupe au sens des articles 223 A et suivants du code général des impôts. Par courrier du 22 décembre 2016, elle a sollicité, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015, l'imputation de la perte définitive d'une succursale luxembourgeoise sur le résultat de l'une de ses filiales, la société fiscale intégrée SPIE Batignolles Génie Civil (SBGC), anciennement dénommée SPIE Batignolles TPCI (SBTPCI). Cette succursale luxembourgeoise, dénommée SPIE Batignolles TP (SBTP), en tant que participante à l'Association momentanée du tunnel de Gousselerbierg (AMTG) en charge de la construction de ce dernier, avait en effet, à compter de 2002, appréhendé l'ensemble des pertes réalisées au niveau de cette association dans la mesure où elles résultaient exclusivement des travaux souterrains menés par la succursale et cessé son activité le 22 avril 2015, puis été radiée du registre du commerce luxembourgeois le 11 décembre suivant, à la suite de l'achèvement du tunnel et de la dissolution de l'AMTG le 7 février 2013. Le service a rejeté cette réclamation tendant à l'imputation d'un total de pertes de 8 376 892 euros sur les résultats de la filiale SBGC au titre de l'exercice clos 2015. Le ministre de l'action et des comptes publics fait appel du jugement du 9 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a, à l'inverse, fait droit à la demande de la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB).

2. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. (...) ". Il n'est pas contesté que la succursale luxembourgeoise SBTP constituait un établissement stable en application de la convention entre la France et le Grand-Duché de sorte que les résultats de cette succursale étaient imposables au Luxembourg et que l'administration a refusé, à la société requérante, à la suite de sa cessation d'activité le 22 avril 2015 et de sa radiation du registre du commerce luxembourgeois le 11 décembre 2015, l'imputation des pertes de cette dernière sur le résultat de la société SBGC, en application du principe de territorialité prévu par l'article 209 du code général des impôts précité.

3. Toutefois, dans son arrêt A/S Bevola, Jens W. Trock ApS contre Skatteministeriet (aff. C-650/16) du 12 juin 2018, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre qui exclut la possibilité, pour une société résidente n'ayant pas opté pour un régime d'intégration fiscale internationale tel que celui en cause au principal, de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies par un établissement stable situé dans un autre État membre, alors que, d'une part, cette société a épuisé toutes les possibilités de déduction de ces pertes que lui offre le droit de l'État membre où est situé cet établissement et que, d'autre part, elle a cessé de percevoir de ce dernier une quelconque recette, de sorte qu'il n'existe plus aucune possibilité pour que ces pertes puissent être prises en compte dans cet État membre, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier. En effet, ainsi que le précise la Cour au point 60. de son arrêt, la déduction de telles pertes ne saurait être admise qu'à la seule condition que la société résidente apporte la preuve du caractère définitif des pertes dont elle demande l'imputation sur son résultat.

4. En premier lieu, pour refuser de faire droit à la réclamation de la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB), le ministre de l'action et des comptes publics fait valoir, devant le juge d'appel, que les pertes de la succursale luxembourgeoise dont l'imputation est demandée ne revêtirait pas un caractère définitif, faute pour la société requérante d'établir qu'il lui était impossible de valoriser ces pertes en cédant sa succursale. Ce faisant, il se réfère à la condition posée au point 55. de l'arrêt Marks et Spencer (aff. C-446/03) du 13 décembre 2005 de la Cour de justice des communautés européennes selon laquelle le caractère définitif des pertes d'une filiale est conditionné à l'impossibilité de leur prise en compte au titre des exercices futurs par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci, et explicité au point 37. de l'arrêt Skatteverket c. Holmen AB (aff. C-608/17) du 19 juin 2019 selon lequel ces pertes ne sauraient être qualifiées de définitives s'il reste possible de les faire valoir économiquement en les transférant à un tiers avant la clôture de la liquidation.

5. Toutefois, si une telle impossibilité conditionne nécessairement le caractère définitif d'une perte d'une filiale dans la mesure où une cession de celle-ci à un tiers vise l'entreprise dans son ensemble, à savoir en tenant compte de l'actif et du passif (Share Deal), et donne ainsi lieu au transfert des pertes, tel ne saurait être le cas s'agissant de pertes d'une simple succursale dont la cession ne peut porter, en principe et sauf stipulations contraires du contrat de cession, que sur les éléments d'actifs dont elle est constituée (Asset Deal), la Cour de justice s'étant d'ailleurs bornée, dans son arrêt susmentionné C-650/16 du 12 juin 2018, à conditionner l'imputation par une société mère des pertes subies par un établissement stable situé dans un autre État membre aux seules deux conditions rappelées au point 3. du présent arrêt.

6. En deuxième lieu, le ministre de l'action et des comptes publics fait valoir que les pertes litigieuses ne sauraient être regardées comme définitives, étant des pertes accumulées au titre des exercices clos de 2000 à 2006 et 2008, alors que seules les pertes de l'exercice au cours duquel le caractère définitif est matérialisé sont susceptibles de faire l'objet d'une imputation, et que la société SBTP n'était pas déficitaire lors de l'exercice de liquidation. Toutefois, la circonstance que les pertes constatées lors de la liquidation de la succursale trouveraient leur origine dans des exercices antérieurs est sans incidence sur leur caractère définitif ou non à cette date, pour l'application de l'application de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et ce quand bien même elles n'auraient pas été regardées comme définitives pour une année, ainsi que l'a d'ailleurs implicitement admis la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-608/17 du 19 juin 2019 en estimant qu'était sans incidence, aux fins d'apprécier le caractère définitif de pertes, la mesure dans laquelle la société déficitaire a été limitée dans ses possibilités de report en avant des pertes, ou celle dans laquelle d'autres entités du même groupe également situées dans l'État de résidence de la filiale déficitaire auraient pu être limitées dans leurs possibilité de se voir transférer des pertes de la filiale.

7. En dernier lieu, est, également et enfin, inopérante la circonstance, invoquée par le ministre, que l'imputation de ces pertes définitives sur les résultats de la société SBGC conduirait à prendre en compte, pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe dont la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB) est la société-mère intégrante, des déficits nés antérieurement à l'intégration de la société SBTPCI devenue SBGC, au 1er janvier 2008, en méconnaissance des règles découlant des articles 223 A et suivants du code général des impôts régissant l'intégration fiscale en droit interne et faisant interdiction de prendre en compte, durant la période d'intégration, des déficits nés antérieurement à cette intégration. En effet, la législation nationale en cause ne saurait faire obstacle à l'application du principe de primauté du droit communautaire sur les législations nationales, et donc à la possibilité reconnue par la jurisprudence ci-dessus rappelée d'imputer les pertes définitives provenant d'un établissement stable installé dans un autre Etat membre. Au surplus, en l'espèce, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les pertes en cause n'ont acquis un caractère définitif permettant leur imputation qu'en 2015 à l'occasion de la liquidation de la succursale, c'est-à-dire durant la période d'intégration de la filiale dénommée société SBGC dont dépendait cette succursale. Enfin, le ministre ne saurait utilement faire valoir, à cet égard, que la situation d'une succursale étrangère serait alors plus favorablement traitée que celle d'une succursale française dès lors qu'une éventuelle discrimination à rebours, qui caractérise une situation purement interne d'un Etat membre, est sans incidence sur l'application des dispositions du traité en matière de liberté d'établissement.

8. Dans ces conditions et dès lors qu'il n'est pas contesté que la société SBGC avait épuisé toutes les possibilités de déduction des pertes de sa succursale que lui offrait le droit luxembourgeois et qu'elle avait cessé de percevoir de celle-ci une quelconque recette, la succursale SBTP ayant cessé toute activité au 22 avril 2015 et été radiée du registre du commerce luxembourgeois le 11 décembre suivant, la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB) était fondée à solliciter le bénéfice de l'imputation demandée au titre de l'exercice clos en 2015, au vu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rappelée ci-dessus.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB). Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB) au titre des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, en l'absence de dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB) une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCA Financière SPIE Batignolles (FSB) est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société en commandite par actions (SCA) Financière SPIE Batignolles (FSB) et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bresse, président de chambre,

Mme Danielian, présidente assesseure,

Mme Deroc, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.

La rapporteure,

M. DerocLe président,

P. BresseLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

2

N° 19VE03130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE03130
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Bénéfices industriels et commerciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : CABINET ARSENE TAXAND

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-06-09;19ve03130 ?
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