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14/04/2022 | FRANCE | N°19VE03912

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 14 avril 2022, 19VE03912


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des cotisations à l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt auxquels elle a été assujettie, à hauteur d'un montant de 388 226 euros au titre de l'exercice clos en 2011, de 442 089 euros au titre de l'exercice clos en 2012, de 564 541 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et de 211 989 euros au titre de l'exercice clos en 2

014, et de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des cotisations à l'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt auxquels elle a été assujettie, à hauteur d'un montant de 388 226 euros au titre de l'exercice clos en 2011, de 442 089 euros au titre de l'exercice clos en 2012, de 564 541 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et de 211 989 euros au titre de l'exercice clos en 2014, et de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1802950 du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 25 novembre 2019, 23 septembre et 29 octobre 2021, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, représentée par Mes Cassan-Meier et Fleurier, avocates, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la restitution sollicitée pour les seuls exercices clos en 2012, 2013 et 2014 à concurrence de, respectivement, 442 089, 564 541 et 211 989 euros.

3° de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit et entaché son jugement d'une contradiction de motifs ;

- la différence de traitement entre sociétés mères françaises selon qu'elles perçoivent des dividendes de filiales établies dans un pays tiers ou de filiales établies en France ou dans un autre État membre de l'Union européenne, s'agissant de la réintégration de la quote-part de frais et charges, traduit une discrimination incompatible avec les stipulations combinées des articles 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et 14 de cette convention ; en effet, la neutralisation de la réintégration de cette quote-part est par nature sans rapport avec le régime d'intégration fiscale, lequel ne peut donc justifier la différence de traitement identifiée ; il en va de même du critère de localisation géographique de la filiale distributrice ;

- l'ancien alinéa 2 de l'article 223 B du code général des impôts est incompatible avec la libre circulation des capitaux, tel qu'interprété à l'issue d'un examen de compatibilité avec la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents et le principe d'égalité du droit de l'Union européenne ; en effet, dès lors que, compte tenu du principe d'égalité inscrit aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le bénéfice de la neutralisation de la réintégration de la quote-part doit être étendu à l'ensemble des dividendes relevant du régime des sociétés mères organisé par les articles 145 et 216 du code général des impôts qui proviennent d'un autre État membre de l'Union européenne, il en résulte une discrimination par ricochet préjudiciable aux dividendes trouvant leur source hors de l'Union, incompatible avec la libre circulation des capitaux et l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 27 avril 2020, et 11 octobre et 18 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les conclusions présentées par la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher au titre de l'exercice clos en 2011 sont irrecevables et que, pour les autres exercices, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-35/11 de la Cour de justice de l'Union européenne du 13 novembre 2012 ;

- l'arrêt C-386/14 de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Deroc,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cassan-Meier, avocate de la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher.

Considérant ce qui suit :

1. La SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher est la société mère d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts, auquel appartiennent notamment la SARL Yves Rocher International, la SARL Stanhome International et SAS Petit Bateau. Au titre des exercices clos en 2011, 2012, 2013 et 2014, ces trois sociétés intégrées ont perçu de leurs filiales détenues à plus de 95% établies dans des États situés hors de l'Union européenne (UE), des dividendes placés sous le régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145, 146 et 216 du code général des impôts. Conformément à ce dernier article, ces dividendes ont été retranchés du résultat fiscal de la société mère sous déduction d'une quote-part de frais et charges. Cette quote-part, dès lors qu'elle était afférente aux dividendes perçus de filiales établies hors UE, n'a pas été déduite du résultat fiscal d'ensemble soumis à l'impôt sur les sociétés et donc neutralisée en application de l'alinéa 2 de l'article 223 B du même code, dans sa version applicable. Par réclamation du 21 décembre 2015, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, en tant que société mère du groupe fiscal, a néanmoins demandé la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt qu'elle a acquittées, correspondant à cette quote-part de frais et charges réintégrée dans ses résultats, pour un montant global de 1 606 845 euros. En l'absence de réponse de l'administration dans un délai de six mois, en application de l'alinéa 2 de l'article R.*199-1 du livre des procédures fiscales, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher a saisi le tribunal administratif de Montreuil. Elle fait appel du jugement du 26 septembre 2019 par lequel les premiers juges ont rejeté sa demande en décharge des impositions en litige.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher fait valoir que les premiers juges auraient entaché leur jugement d'une erreur de droit ainsi que d'une contradiction de motifs. Cependant, à supposer même que de telles critiques puissent être regardées comme des moyens relatifs à la régularité du jugement, elles ont en toute hypothèse trait au bien-fondé du jugement attaqué et sont, par suite, sans influence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé des impositions :

3. Aux termes de l'article 216 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période. ". Aux termes de l'article 223 A du même code : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe (...) / Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues aux articles 214 et 217 bis (...) / Les sociétés du groupe et, sous réserve de la réglementation étrangère qui leur est applicable, les sociétés intermédiaires doivent ouvrir et clore leurs exercices aux mêmes dates (...) " et aux termes de son article 223 B, dans sa rédaction applicable : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun (...) / Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa. (...) ".

4. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre (...) " et aux termes de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. / Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif. ".

5. Par son arrêt C-386/14 du 2 septembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société-mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option. Il résulte de cette interprétation que l'administration n'est pas fondée à refuser à une société mère intégrante le bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges, instituée par l'article 223 B du code général des impôts en faveur des groupes fiscalement intégrés, à raison des dividendes qui lui sont distribuées par ses filiales établies dans un autre État membre pour autant que ces filiales, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles au régime d'intégration fiscale, sur option, en vertu de l'article 223 A de ce code.

6. Il résulte par conséquent des dispositions précitées du code général des impôts ainsi que de l'arrêt susmentionné de la Cour de justice de l'Union européenne que la neutralisation de la quote-part de frais et charges pour les dividendes versés par leurs filiales bénéficie non seulement aux groupes fiscalement intégrés dont toutes les filiales sont établies en France, mais aussi à ceux dont certaines filiales sont établies dans un autre État membre de l'Union européenne, sous réserve que ces filiales remplissent les autres conditions d'éligibilité au régime de l'intégration fiscale.

7. En premier lieu, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher soutient que l'absence de neutralisation de la quote-part de frais et charges dans la situation d'espèce qui concerne des dividendes reçus de filiales implantées dans des États tiers, pourtant admise pour des dividendes reçus de filiales intégrées et de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne remplissant les conditions pour être membre d'une intégration fiscale, traduit une discrimination au regard du droit au respect des biens, incompatible avec les articles 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et 14 de cette convention, la neutralisation de la réintégration de cette quote-part étant, par nature, sans rapport avec le régime d'intégration fiscale ou avec la localisation géographique de la filiale distributrice.

8. L'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " et aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

9. Il résulte des dispositions contestées interprétées à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, mentionné au point 5., une différence de traitement, s'agissant de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges, selon que cette opération a été réalisée dans le cadre national ou de l'Union européenne ou qu'elle l'a été en dehors de celle-ci.

10. D'une part, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-699 QPC du 13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France, lors de leur adoption, les dispositions en cause de l'article 223 B du code général des impôts tendaient à définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concernait que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. Ce faisant, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d'intégration et, par suite, poursuivre un objectif d'utilité publique légitime.

11. D'autre part, l'extension du dispositif de neutralisation aux quotes-parts de frais et charges afférentes aux dividendes perçus de filiales établies dans un État membre de l'Union Européenne trouve sa justification dans le nécessaire respect, pour ce qui concerne les situations entrant dans leur champ d'application, des stipulations de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui interdisent les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre et qui, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité C-386/14 du 2 septembre 2015, s'opposent à une législation " en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option ", la Cour de justice ayant pour cela estimé que la neutralisation de la quote-part pour frais et charge n'étant pas un avantage inhérent à l'intégration fiscale faute de lien direct entre cet avantage et un désavantage fiscal résultant de la neutralisation des opérations internes au groupe. En outre, le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles.

12. Par ailleurs, si la loi, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, a pour effet d'exclure du bénéfice de la neutralisation, les quotes-parts pour frais et charges afférentes aux dividendes provenant de filiales établies en dehors de l'Union européenne, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et les buts poursuivis. Dans ces conditions, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable en relation avec les principes fondamentaux régissant le marché intérieur de l'Union européenne. La SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher n'est ainsi pas fondée à se prévaloir, pour solliciter la décharge des impositions en litige, d'une méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel.

13. En second lieu, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher soutient qu'il résulte de l'état du droit tel que rappelé au point 6. du présent arrêt une différence de traitement entre les sociétés-mères françaises selon qu'elles perçoivent des dividendes distribués par des filiales établies dans un État membre de l'Union européenne suivant qu'elles remplissent ou non les autres conditions d'éligibilité au régime de l'intégration fiscale, différence de traitement qui serait incompatible avec la directive du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents appréhendée à l'aune du principe général d'égalité de traitement, codifié aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne interdisant toute discrimination en raison de la nationalité dans le domaine d'application des traités. La société requérante estime que, de ce fait, en l'absence de justification légitime, le bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges doit être étendu à l'ensemble des dividendes distribués par des filiales établies dans un État membre de l'Union européenne relevant du régime des sociétés mères et que, dès lors, la liberté de circulation des capitaux de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne devenant invocable, elle s'opposerait à un traitement différencié des dividendes reçus de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne et hors de celle-ci.

14. Aux termes de l'article 1er de la directive n° 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, et de la directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011 : " 1. Chaque État membre applique la présente directive : / aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d'autres États membres, (...) ". Aux termes du 2 de l'article 4 de la directive n° 90/435/CEE, repris au 3 de l'article 4 de la directive 2011/96/UE : " (...) tout Etat membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5% des bénéfices distribués par la société filiale ".

15. Ainsi qu'il a été rappelé au point 13., le moyen soulevé par la société requérante repose sur la prémisse selon laquelle le fait de réserver le bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges aux seuls dividendes distribués par des filiales établies dans un État membre de l'Union européenne qui remplissent les autres conditions d'éligibilité au régime de l'intégration fiscale, à l'exclusion donc de celles ne les remplissant pas, traduirait une différence de traitement injustifiée au regard du régime des sociétés mères, alors que les conditions d'intégration sont sans rapport avec l'objectif général d'élimination de la double imposition poursuivi par la directive en cause, cette discrimination étant alors contraire aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux. Toutefois et d'une part, le 2 de l'article 4 de la directive 90/435/CEE et le 3 de l'article 4 de la directive 2011/96/UE ne s'opposent pas à ce qu'un État membre mette en œuvre la faculté de réintégration de la quote-part de frais et charges ouverte par ces dispositions tout en en excluant, par un dispositif de neutralisation, les participations de sociétés formant une entité fiscale unique, ainsi que l'a implicitement admis la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-386/14 du 2 septembre 2015 dès lors que le seuil d'éligibilité de 95 % au régime de l'intégration fiscale traite pareillement les participations françaises et étrangères. Ainsi, l'article 216 du code général des impôts, combiné à l'article 223 B, qui n'instaure aucune différence de traitement entre les participations de filiales résidentes et non résidentes détenues à moins de 95'%, met en œuvre à l'égard de ces filiales l'article 4§2 de la directive dans le respect de cet article et également, d'ailleurs, du principe d'égalité de traitement.

16. D'autre part, comme cela a été exposé aux points 10. et 11., l'extension du dispositif de neutralisation aux quotes-parts de frais et charges afférentes aux dividendes perçus de filiales " intégrables " établies dans un État membre de l'Union européenne se justifie par le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne, à savoir en l'espèce la liberté d'établissement, sans que cette extension ait d'ailleurs pour effet de remettre en cause son objectif initial le réservant aux sociétés membres d'un groupe intégré. La différence de traitement en découlant est donc en rapport avec l'objectif légalement admissible ainsi poursuivi et est proportionnée à cet objectif. Par suite, il ne saurait être soutenu que la différence de traitement ainsi constatée serait incompatible avec la directive du 30 novembre 2011 " appréhendée à l'aune du principe général d'égalité, codifié aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ". En conséquence, la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher n'est pas fondée à se prévaloir, pour ce motif, d'une nécessaire extension du bénéfice de la neutralisation de quote-part pour frais et charges aux dividendes distribués par l'ensemble des filiales établies dans un État membre de l'Union européenne et relevant du régime mère-fille.

17. Par voie de conséquence, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que cette absence de neutralisation de la quote-part pour frais et charge afférente aux dividendes reçus de filiales installées en dehors de l'Union et, par nature, insusceptibles d'être intégrées méconnaîtrait la liberté de circulation des capitaux prévue par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux termes duquel : " (...) toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres (...) sont interdites ", de telles stipulations ne pouvant alors être utilement invoquées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme (SA) Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bresse, président de chambre,

Mme Bonfils, première conseillère,

Mme Deroc, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2022.

La rapporteure,

M. DerocLe président,

P. BresseLa greffière,

A. Audrain-Foulon

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

2

N° 19VE03912


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE03912
Date de la décision : 14/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. - Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : PWC SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-04-14;19ve03912 ?
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