Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Mobilbay a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'État à lui verser une somme globale de 17 569 849 euros, augmentée des intérêts moratoires, en réparation des préjudices subis à raison du retard pris dans le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée et de la mise en œuvre de la procédure de solidarité de paiement engagée sur le fondement du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts concernant la société Infolution.
Par un jugement n° 1604318 du 19 février 2019, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 avril 2019 et 29 novembre 2019, la SARL Mobilbay, représenté par Me Pescayre, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'État à lui verser une somme de 17 569 849 euros, augmentée des intérêts moratoires, en réparation des préjudices subis à raison d'une part, du retard pris dans le remboursement, à la société Infolution, de crédits de taxe sur la valeur ajoutée et d'autre part, de la mise en œuvre, à l'égard de celle-ci, de la procédure de solidarité de paiement engagée sur le fondement du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts ;
3°) de mettre à la charge de l'État les dépens et une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une contrariété de motifs en affirmant d'une part, que la société ne pouvait prétendre aux garanties prévues par l'article L. 55 du livre des procédures fiscales et d'autre part, que l'administration aurait le libre choix dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle de procéder à une vérification de comptabilité ;
- en refusant de procéder spontanément au remboursement des crédits de taxe sur la valeur ajoutée de la SAS Infolution d'un montant total de 2 549 500 euros, au titre des mois de décembre 2010, janvier, février et mars 2011, sans information ni fondement légal, et en y procédant avec un retard de plus d'un an, en janvier et février 2012, en dépit la procédure de référé provision et postérieurement à la mise en liquidation judiciaire de la société, l'administration a commis une faute de nature à mettre gravement en danger l'équilibre économique de la société ;
- en mettant en recouvrement, au titre de la solidarité de paiement, une somme de 14 365 502 euros au lieu de 5 975 861 euros ainsi que l'a admis le tribunal administratif de Paris par jugement du 27 décembre 2013, en application du 4 bis de l'article 283 du code général des impôts, l'administration a commis une faute, cette erreur n'ayant été corrigée, à hauteur de plus de 8 millions, par l'émission d'un nouvel avis de mise en recouvrement, que le 26 décembre 2011, puis, à concurrence de 295 828,44 euros par l'émission d'un troisième avis de mise en recouvrement le 8 avril 2014, ce qui a porté atteinte à la réputation de la SAS Infolution, a conduit ses partenaires, notamment la société Hewlett Packard, à ne plus collaborer avec elle et a entraîné son placement en redressement judiciaire par jugement du 1er décembre 2011 et sa liquidation par jugement du 26 janvier 2012 ;
- la SAS Infolution a été privée d'un débat oral et contradictoire à l'occasion de la vérification de sa comptabilité, détournée de son objet, initiée dans le seul but de recueillir des éléments de nature à démontrer l'existence de sa participation à une fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée commise par la société Geha France ;
- les résultats de la vérification de comptabilité n'ont jamais été portés à la connaissance de la SAS Infolution, en méconnaissance de l'article L. 49 du livre des procédures fiscales ;
- la SAS Infolution n'a eu communication des éléments détenus par l'administration et utiles à sa défense qu'en septembre 2014, après ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil ;
- il ressort des commentaires administratifs publiés au BOFiP sous la référence BOI-TVA-DECLA-10-10-30 n° 40 que la solidarité de paiement est subordonnée à l'authentification de la dette fiscale du fournisseur détaillant et que le tiers solidaire peut obtenir communication de tous documents utiles à la contestation de l'impôt en cause, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel des agents des impôts ; à cet égard, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu par l'administration ;
- la SAS Infolution n'a pas été informée des soupçons de fraude dont les sociétés Geha France et Aero Distribution étaient l'objet, ce qui lui aurait évité de continuer à se fournir auprès de la société Aero Distribution elle-même fournie par la société Geha France, en décembre 2010 et au cours des trois premiers mois de 2011 ; ce faisant, l'administration a activement participé à une part importante du préjudice subi par le Trésor du fait de la taxe sur la valeur ajoutée fraudée par la société Geha France ;
- la disparition, du fait de sa liquidation, de la société Infolution, dont elle était l'actionnaire majoritaire, a entraîné la perte de ses titres d'une valeur de 13 500 000 euros, la perte d'une créance en compte courant non remboursée qui s'élève à 1 731 522 euros, la perte de bénéfices non distribués en 2010/2011 qui s'élève à 572 527 euros et la perte d'une chance de participer aux bénéfices futurs qui s'élève à 1 765 800 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'administration fiscale n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
- la liquidation judiciaire de la société Infolution ne présente pas de lien de causalité directe avec les fautes alléguées ;
- le préjudice lié à la perte de bénéfice pour le futur est purement éventuel et n'est donc pas indemnisable ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Infolution, qui exerçait à titre principal une activité de vente de produits informatiques, a réalisé également, à compter du mois de novembre 2009, des opérations d'achat-revente de téléphones et de téléviseurs. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle, estimant qu'elle avait participé, dans le cadre de son activité secondaire, à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée dont elle ne pouvait ignorer l'existence, l'administration a engagé, sur le fondement des dispositions du 4 bis de l'article 283 du code général des impôts, sa responsabilité solidaire au paiement des droits de taxe non reversés par son fournisseur de second rang, la société Geha France, au titre de la période du 3 novembre 2009 au 31 juillet 2010. Concomitamment, la société Infolution a demandé le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée au titre des mois de décembre 2010, janvier 2011, février 2011 et mars 2011, demandes auxquelles l'administration n'a pas immédiatement fait droit. Estimant que la liquidation judiciaire de la société, prononcée le 26 janvier 2012, procédait des fautes commises par l'administration fiscale lors la mise en œuvre de la procédure de solidarité de paiement engagée sur le fondement du 4 bis de l'article 238 du code général des impôts et du retard pris dans le remboursement, en février 2012, de crédits de taxe sur la valeur ajoutée, la SARL Mobilbay, actionnaire majoritaire à hauteur de 90% des parts, a présenté, par lettre du 5 novembre 2015, une demande d'indemnisation des préjudices liés à la perte de ses titres de la société Infolution, à la perte d'une créance en compte courant non remboursée, à la perte liée aux bénéfices non distribués en 2010/2011 et à la perte d'une chance de participer aux bénéfices futurs, à hauteur d'une somme globale de 17 569 849 euros, assortie des intérêts moratoires. La SARL Mobilbay fait appel du jugement du 19 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'indemnisation.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. S'il est soutenu, de manière incidente, que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs, une telle circonstance, à la supposer établie, a trait au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges et est sans incidence sur la régularité du jugement contesté.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin, l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur, comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la procédure de solidarité de paiement :
S'agissant des griefs dirigés contre la régularité des opérations de contrôle :
4. La SARL Mobilbay reprend en appel, les moyens dirigés contre la régularité des opérations de contrôle dont la SAS Infolution a fait l'objet et tenant, en substance, à la privation des garanties attachées à la procédure de redressement contradictoire, sans toutefois apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation motivée portée par les premiers juges, alors, au demeurant, que l'intégralité de ces moyens a déjà été examiné et écarté par le juge de l'impôt dans le cadre des instances en décharge introduites par la SAS Infolution, sous les n°1217498, 14PA00930 et 396896 respectivement devant le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'État, ayant confirmé la régularité de la mise en œuvre de la procédure de solidarité de paiement. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ces moyens par adoption des motifs réitérés et retenus à bon droit par les premiers juges aux points 3, 4, 6, 7, 8, 11 et 12 du jugement attaqué.
S'agissant des griefs dirigés contre le montant mis en recouvrement au titre de la solidarité de paiement :
5. Si la mise en recouvrement, au titre de la solidarité de paiement, effectuée dans un premier temps, le 19 octobre 2011, à hauteur d'une somme de 14 365 502 euros, est constitutive d'une faute de l'administration fiscale, dès lors qu'il a été définitivement jugé que la SAS Infolution n'était redevable que de la somme de 5 975 861 euros, il résulte toutefois de l'instruction que le montant de cet avis a, sans attendre l'issue de la procédure contentieuse, été ramené, dès le 26 décembre 2011, soit un mois avant le jugement prononçant la liquidation judiciaire, à 6 271 689 euros, ne laissant plus subsister, à la date du jugement de liquidation, ayant nécessairement pris en compte cette correction, qu'une erreur d'environ 300 000 euros. Si l'erreur initiale, d'un montant substantiel de 8 millions d'euros, a certes pu conduire les commissaires aux comptes à lancer une procédure d'alerte le 10 novembre 2011 et a pu contribuer à l'ouverture de la procédure collective le 1er décembre suivant, il n'est pas établi que l'erreur résiduelle de 300 000 euros, seule susceptible d'être prise en compte, soit la cause de la mise en liquidation judiciaire de la société. Il résulte en effet de l'instruction qu'à cette date, la SAS Infolution accusait un passif de 11 millions d'euros et venait de perdre, à la suite d'un protocole transactionnel conclu avec Hewlett Packard (HP) le 18 novembre 2011 prenant effet au 31 décembre, le contrat CPS signé avec cette dernière qui lui garantissait des remises sur des consommables destinés à certains clients finaux, et lui assurait depuis 2010, au moins 50 millions d'euros de chiffre d'affaires. De fait, et ainsi qu'elle le reconnaît elle-même, la société Infolution a enregistré une baisse de chiffre d'affaire de 44 % entre les années civiles 2010 et 2011, ce qui ne pouvait qu'obérer sa rentabilité, son bénéfice net passant de 2,3 millions d'euros pour l'exercice clos au 30 juin 2009, à 636 000 euros à la clôture de l'exercice 2010, son modèle économique reposant sur des volumes élevés au détriment de marges faibles, ainsi qu'il résulte du rapport d'évaluation du cabinet FB Conseil d'octobre 2013. Il n'est pas davantage établi que cette erreur dans le montant de l'avis de mise en recouvrement aurait contribué à dissuader d'éventuels repreneurs de participer au redressement de l'entreprise. Il ressort à cet égard du rapport de l'administrateur judiciaire et du jugement du tribunal de commerce du 26 janvier 2012 que le redressement de la société Infolution était manifestement impossible faute de dégager une rentabilité suffisante pour rembourser ses créanciers compte tenu de la perte importante de son chiffre d'affaires. Enfin, s'il est par ailleurs soutenu que sa prétendue implication dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée aurait porté atteinte à sa réputation et conduit ses partenaires notamment la société Hewlett Packard, à ne plus collaborer avec elle, il résulte de l'instruction que la participation consciente de la société à un tel circuit de fraude a été reconnue comme avérée par le juge de l'impôt. En tout état de cause, il résulte du protocole transactionnel avec la société Hewlett Packard que la rupture des accords commerciaux procède non pas de la mise en œuvre de la procédure de solidarité de paiement, mais de manquements multiples et répétés de la SAS Infolution à ses obligations contractuelles. Par suite, l'erreur de 300 000 euros maintenue dans l'avis de mise en recouvrement rectificatif du 26 décembre 2011 ne saurait avoir, même pour partie, concouru à l'atteinte portée à sa réputation, à la rupture de son partenariat avec ses partenaires, notamment la société Hewlett Packard, et, par voie de conséquence, à la mise en liquidation de la société et ce, d'autant qu'aucune mesure de recouvrement forcé n'avait alors été entreprise en raison du sursis de paiement dont elle bénéficiait. La SARL Mobilbay n'est dès lors pas fondée à mettre en jeu la responsabilité de l'État à ce titre.
En ce qui concerne le remboursement tardif des crédits de taxe sur la valeur ajoutée :
6. Il résulte de l'instruction que par quatre demandes formulées en janvier, février mars et avril 2011, la société Infolution a sollicité le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total de 2 549 500 euros, dus au titre des mois de décembre 2010, janvier, février et mars 2011. La SARL Mobilbay fait valoir qu'en refusant d'y procéder immédiatement et spontanément, mais seulement en janvier et février 2012, avec un retard de plus d'un an, et en dépit la procédure de référé provision et postérieurement à la mise en liquidation judiciaire de la société Infolution, l'administration a commis une faute de nature à mettre gravement en danger l'équilibre économique de la société.
7. Toutefois, et ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée fait obstacle à ce qu'une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée soit acceptée lorsque la taxe n'est plus exigible. Le droit au remboursement d'un crédit de taxe doit s'apprécier non à la date à laquelle le contribuable a présenté sa demande de remboursement, mais à celle à laquelle l'administration prend sa décision sur cette demande. En l'espèce, il n'est pas établi eu égard notamment au contexte de soupçons de participation à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée découvert lors du contrôle, soupçons qui se sont d'ailleurs révélés fondés, que la société Infolution pouvait, de manière certaine, prétendre, avant la date à laquelle il est intervenu en janvier et février 2012, au remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée au titre des mois de décembre 2010 et janvier, février et mars 2011. Dans ces circonstances et compte tenu de l'importance des crédits de taxe dont se prévalait la société, il ne saurait être reproché au service d'avoir prolongé l'instruction de sa demande afin de s'assurer de l'existence et de l'étendue exacte de son droit à remboursement. Ainsi, l'existence d'une faute à raison du retard avec lequel l'administration fiscale aurait procédé au remboursement de ces sommes n'est pas établie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Mobilbay, actionnaire de la SAS Infolution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'au paiement des dépens ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Mobilbay est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Mobilbay et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bresse, président,
Mme Danielian, présidente-assesseure,
Mme Deroc, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2022.
La rapporteure,
I. DanielianLe président,
P. Bresse
La greffière,
A. Audrain-Foulon
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
N° 19VE01395 2