Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 3 juin 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 janvier 2016 et a autorisé son licenciement pour inaptitude.
Par un jugement n° 1605676 du 15 novembre 2018, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 17 janvier et le 26 avril 2019, le 30 novembre 2020 et le 14 janvier 2022, M. B..., représenté par Me Hocquet, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 3 juin 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a autorisé son licenciement pour inaptitude.
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le comité d'entreprise n'a pas été informé régulièrement sur le projet de licenciement et les possibilités de reclassement, ne disposant pas de l'information relative au périmètre du groupe ;
- l'inspecteur du travail ne disposait pas non plus de l'information relative au périmètre du groupe ;
- l'employeur a méconnu son obligation de reclassement ; le courriel produit par l'employeur le 20 mai 2016 pour justifier d'une démarche auprès des sociétés du groupe, dont l'authenticité est douteuse et qui a été constitué pour les besoins de la cause, doit être écarté ; il existait des possibilités de permutabilité au sein du groupe car le tribunal d'instance de Montpellier a jugé le 23 juin 2016 qu'il existait une unité économique et sociale avec la SAS HGS, la SAS Onis développement, la SAS FT développement et SARL 2ASL, justifiant la mise en place d'un comité d'entreprise commun ; une recherche auprès de Onis développement et de HGS était possible, mêmes si elles n'employaient pas en apparence de salariés ; il existait des emplois dissimulés dans ces sociétés ;
- les observations portées sur ce courriel le 31 mai n'ont pas été prises en compte ;
- le licenciement est en lien avec ses mandats et activités syndicales, en particulier en raison de la dégradation de son état de santé en lien avec les obstacles mis à l'exercice de ses fonctions représentatives et la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ; il a fait l'objet de plusieurs tentatives de licenciement et son syndrome anxio-dépressif a été reconnu par son médecin comme en lien direct et par le médecin du travail avec le travail ; deux demandes de licenciement pour motif disciplinaire ont été précédemment rejetées, notamment au motif qu'elle était en lien avec le mandat syndical ; il a fait l'objet de tentatives de déstabilisation en raison de son action pour dénoncer le fonctionnement de la société ; la ministre a aussi méconnu sa compétence en ne s'interrogeant pas sur le lien entre son état de santé et le mandat électif ;
- le licenciement aurait dû être refusé pour des motifs tenant à l'intérêt général et la décision est de ce fait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses compétences et de l'intérêt de son maintien pour les autres élus et du maintien de la paix sociale ;
- le licenciement méconnaît le principe de proportionnalité.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mauny,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hoquet, représentant M. B..., et de Me Avinée, représentant Me Pernaud et Me Aussel, liquidateurs judiciaires de la SASU Vortex.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été embauché le 5 janvier 2009 par la SASU Vortex, spécialisée dans le transport scolaire d'enfants handicapés, en qualité de conducteur en période scolaire. Il est devenu délégué syndical de la confédération française démocratique du travail le 25 avril 2012, a été désigné représentant syndical élu au comité d'entreprise le 11 juillet 2014 et en est devenu membre titulaire le 18 juin 2015. Il a rejoint la confédération générale du travail en 2016. Il a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises à compter du 6 mars 2013. Par un avis médical du médecin du travail du 27 août 2015, rendu à l'occasion d'une visite de reprise, M. B... a été reconnu inapte à tous les postes dans l'entreprise après un examen unique selon la procédure d'urgence prévue à l'article R. 4624-31 du code du travail, pour danger immédiat. La société a proposé 6 postes à des fins de reclassement à M. B..., que ce dernier a refusés par courrier daté du 24 septembre 2015 invitant la société à mettre un terme aux recherches de reclassement au regard de l'avis du médecin du travail. Après un avis négatif du comité d'entreprise, la société Vortex a demandé le 17 novembre 2015 l'autorisation de licencier M. B... pour inaptitude. Après la naissance d'une décision implicite de rejet, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de l'Essonne a rejeté le 27 janvier 2016 cette demande d'autorisation de licenciement. Le 3 juin 2016 le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspectrice du travail pour erreur de droit et a autorisé le licenciement de M. B.... Par un jugement du 15 novembre 2018 dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise, et non de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard, de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
3. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. B... a été placé le 6 septembre 2013 en arrêt de travail pour épuisement en rapport avec le travail. Il ressort également du courrier du médecin du travail à la caisse primaire d'assurance maladie du 25 mars 2014 qu'il impute la cause de l'état anxio-dépressif du requérant à un conflit avec son employeur, en faisant état des procédures de licenciement et de l'intervention de la société Vortex auprès de la caisse primaire d'assurance maladie ainsi que des conséquences de cette situation sur l'état de santé du requérant. Il est constant, enfin, que le médecin du travail a estimé que M. B... était inapte à occuper tout poste dans l'entreprise, et que toute possibilité de reclassement était incompatible avec son état, après un examen unique pour cause de danger immédiat. Il suit de là, quand bien même M. B... n'a pas déposé de déclaration de maladie professionnelle, que son inaptitude résulte bien de la dégradation de son état de santé et que cette dernière est en lien direct avec les relations conflictuelles avec la direction de la société Vortex. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la société Vortex a demandé à deux reprises l'autorisation de licencier M. B... pour des motifs disciplinaires et pour faute grave et qu'elle est intervenue auprès de la caisse primaire d'assurance maladie pour lui signaler une activité syndicale rémunérée en période d'arrêt de travail ayant entrainé une notification d'indu et de pénalités financières qui a été annulée par la caisse au regard des pièces que M. B... lui a communiquées. Il ressort également des pièces du dossier que la direction de la société lui a demandé le 26 avril 2012, soit le lendemain de sa désignation en tant que délégué syndical et alors qu'il est salarié par la société depuis 2009, de justifier de la détention de l'attestation lui permettant de transporter des personnes et, après communication de sa carte de taxi par l'intéressé, l'a invité à se rapprocher des services de la préfecture de la Vienne. M. B... a par ailleurs été convoqué, en qualité de délégué syndical, à des réunions fixées à des dates auxquelles la direction ne pouvait pas ignorer qu'il était convoqué à des audiences devant les juridictions judiciaires puisque la société était elle-même partie dans ces affaires. Il ressort en outre d'un entretien accordé par M. D., responsable de la communication de la société Vortex, à un journaliste de l'Humanité qui a enregistré la discussion et en a retranscrit les termes avant de les faire authentifier par un huissier de justice, que ce responsable, s'il réfute toute discrimination syndicale, cite spontanément la situation de M. B... en précisant qu'il leur a " cassé les pieds " et que la société a " essayé de le virer ". Il en ressort également que M. B... a été mis en cause, certes non nominativement, mais en qualité de délégué de la CFDT, dans deux courriers adressés par M. S., président-directeur général, à l'ensemble des salariés de la société le 7 juin 2013 et le 30 janvier 2014, pour les effets de son action, jugés néfastes au fonctionnement et à l'avenir de la société. Il ressort également des pièces du dossier que M. B..., qui était aisément identifiable dans ces courriers, a été postérieurement destinataire de courriels menaçants adressés par des salariés de la société. Enfin, même s'ils sont postérieurs à la décision en litige, les commentaires de M. D. sur sa page de l'application Facebook après l'autorisation de licenciement en litige révèlent également l'attitude hostile de la direction de la société Vortex à l'égard de M. B... à l'époque où elle a demandé l'autorisation de le licencier. Au regard de ces éléments, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé que son licenciement était sans lien avec son mandat et a rejeté sa demande aux fins d'annulation de l'arrêté autorisant son licenciement.
4. La circonstance que le licenciement pour inaptitude de M. B... était également en rapport avec les fonctions représentatives qu'il exerçait faisait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Il suit de là qu'il y a lieu, pour ce motif et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler le jugement du tribunal administratif et la décision du 3 juin 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé le licenciement de M. B....
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que demandent Me Pernaud, liquidateur judiciaire de la SASU Vortex et Me Aussel, co-liquidateur judiciaire, seuls habilités à représenter la société Vortex après sa liquidation judiciaire.
D E C I D E
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles et la décision du ministre du 3 juin 2016 autorisant le licenciement de M. B... pour inaptitude sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par Me Pernaud, liquidateur judiciaire de la SASU Vortex et Me Aussel, co-liquidateur judiciaire tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 19VE00192 2