Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Beneteau a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution d'une créance, d'un montant de 1 232 648 euros, de crédit d'impôt pour dépenses de recherche au titre de l'année 2011 et de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1807286 du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 19 février 2020, et 17 février et 31 mai 2021, la SA Beneteau, représentée par Me Duguet, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la restitution sollicitée ;
3° de mettre à la charge de l'État une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les premiers juges ont, à tort, estimé sa demande irrecevable alors, d'une part et à titre principal, qu'elle n'était pas enfermée dans le délai prévu à l'article R.*196-1 du livre des procédures fiscales et pouvait l'adresser jusqu'au 31 décembre 2019 conformément à la prescription quadriennale de droit commun et en application des dispositions combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole annexé à cette convention et, d'autre part et à titre subsidiaire, qu'elle disposait d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations en application de l'article R.*196-3 du même livre et pouvait donc adresser une réclamation contentieuse jusqu'au 31 décembre 2020.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Deroc,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Duguet, avocat de la SA Beneteau.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Beneteau, société mère d'un groupe fiscal au sens de l'article 223 A du code général des impôts, a déposé auprès de l'administration fiscale, le 19 avril 2018, une demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt pour dépenses de recherche du groupe afférente à des dépenses exposées au cours de l'année 2011, pour un montant de 1 232 648 euros déclaré lors de la liquidation de l'impôt sur les sociétés du groupe au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2012. L'administration a rejeté, par décision du 11 juin 2018, cette demande motif pris de sa tardiveté au regard des dispositions de l'article R.*196-1 du livre des procédures fiscales, ayant été déposée postérieurement au 31 décembre 2017. La SA Beneteau fait appel du jugement du 20 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté comme irrecevable sa demande tendant au remboursement de la créance litigieuse.
2. La SA Beneteau fait valoir, à titre principal, qu'une créance de crédit d'impôt pour dépenses de recherche étant certaine à compter de la souscription de la déclaration spéciale prévue à l'article 49 septies de l'annexe III au code général des impôts, son remboursement à défaut d'imputation n'est soumis à aucune formalité particulière et ne saurait être enfermé que dans le délai de la prescription quadriennale de droit commun.
3. D'une part, aux termes du I. de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) ". En application de l'article 244 quater B de ce code, le crédit d'impôt recherche est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter B, lequel dispose que : " I - Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période (...) ". Aux termes de l'article 49 septies M de l'annexe III audit code : " I. Pour l'application des dispositions des article 199 ter B, 220 B et 244 quater B du code général des impôts, les entreprises souscrivent une déclaration spéciale conforme à un modèle établi par l'administration. / Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés déposent cette déclaration spéciale auprès du service des impôts avec le relevé de solde mentionné à l'article 360 ". Aux termes de l'article 360 de l'annexe III à ce code : " La liquidation de l'impôt sur les sociétés mentionnée au 2 de l'article 1668 du code général des impôts est réalisée par le redevable et détaillée sur un relevé de solde dont le modèle est fourni par l'administration, daté et signé de la partie versante et indiquant la nature du versement, son échéance, les éléments de liquidation, ainsi que la désignation et l'adresse du principal établissement de l'entreprise (...). Les demandes de restitution de créances remboursables sont formulées sur ce relevé ". Aux termes de l'article 360 bis de cette annexe : " (...) Le dépôt du relevé de solde est effectué au plus tard le 15 du quatrième mois qui suit la clôture de l'exercice (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. " et aux termes de l'article R.*196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. (...) ".
5. En premier lieu, ainsi que l'ont estimé les premiers juges et contrairement à ce que soutient la SA Beneteau, il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, pour obtenir le remboursement d'une créance résultant d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche, le contribuable doit présenter à l'administration fiscale une demande expresse en ce sens. Une telle demande visant à bénéficier d'un droit résultant d'une disposition législative constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. La déclaration spéciale modèle n° 2069-A-SD mentionnée à l'article 49 septies M de l'annexe III au code général des impôts, que la SA Beneteau a déposée lors de la liquidation de l'impôt sur les sociétés du groupe au titre de l'exercice ouvert le 1er septembre 2011 et clos le 31 août 2012, demeure une simple formalité administrative, y compris après la réforme issue de la loi du 24 décembre 2007 portant loi de finances pour 2008, de sorte qu'elle n'est pas fondée à soutenir que cette déclaration spéciale devrait être assimilée à une réclamation préalable au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et que sa demande de remboursement du 19 avril 2018 n'en serait qu'un simple renouvellement. Est sans incidence à cet égard la circonstance que l'article L. 172 G du même livre, issu de la même loi du 24 décembre 2007 portant loi de finances pour 2008, prévoit un droit de reprise de l'administration s'exerçant jusqu'à la fin de la troisième année qui suit le dépôt de cette déclaration spéciale.
6. En deuxième lieu, la recevabilité de cette réclamation s'apprécie au regard des seules règles posées par les articles R.*196-1 et suivants du livre des procédures fiscales. Ces règles ont pour effet d'instituer un régime légal de prescription propre aux créances d'origine fiscale dont les contribuables entendent se prévaloir envers l'État. Par suite, il résulte des termes mêmes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, que la prescription quadriennale que cette loi institue, qui n'est applicable que sous réserve des dispositions définissant un régime légal de prescription spéciale à une catégorie déterminée de créances susceptibles d'être invoquées à l'encontre de l'une de ces personnes morales de droit public, n'est pas invocable à l'égard de la créance en litige.
7. En troisième lieu, il ressort de l'article R.*196-1 du livre des procédures fiscales que le point de départ du délai de réclamation est la réalisation de l'événement qui la motive, lequel est, au cas particulier, la naissance du droit à remboursement de la fraction du crédit d'impôt recherche non utilisée à l'expiration de la période triennale prévue à l'article 199 ter B du code général des impôts.
8. En l'espèce, le délai de réclamation contentieuse a commencé à courir, ainsi que le fait valoir le ministre sans être contesté sur ce point, en pratique à compter de la liquidation de l'impôt sur les sociétés du dernier exercice d'imputation intervenant au plus tard le 15 décembre 2015, soit à compter de la date à laquelle la SA Beneteau a eu droit au remboursement de la fraction du crédit d'impôt recherche non utilisée sur les trois années suivant celle au titre de laquelle la créance d'impôt a été constatée, en l'espèce l'année 2011 mais pour un exercice clos en 2012. En application du c) de l'article R.*196-1, la société disposait alors jusqu'au 31 décembre 2017 pour demander le remboursement de cette créance à l'administration. Dès lors, la réclamation déposée le 19 avril 2018 était tardive au regard de ces dispositions.
9. La SA Beneteau fait valoir, à cet égard, que l'édiction de l'article L. 172 G du livre des procédures fiscales, prévoyant donc un droit de reprise de l'administration s'exerçant jusqu'à la fin de la troisième année qui suit le dépôt de cette déclaration spéciale, constituerait une discrimination injustifiée au regard de la combinaison des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole annexé à cette convention ainsi qu'une violation du principe d'égalité devant l'impôt. Toutefois, d'une part, si les stipulations combinées des articles précités de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables, elles sont en revanche sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt. D'autre part, un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de dispositions législatives au regard du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt ne peut être soulevé, pour être recevable, qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-3 du code de justice administrative, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
10. La SA Beneteau fait également valoir qu'en l'absence de remboursement " automatique " de sa créance de crédit d'impôt et du fait de l'application des dispositions de l'article R.*196-1 du livre des procédures fiscales, il serait porté atteinte à l'un de ses biens au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...) ".
11. Il résulte de ces stipulations qu'une ingérence dans le droit de propriété doit respecter le principe de légalité, poursuivre un but légitime et ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits individuels.
12. Le fait de conditionner le remboursement d'une créance de crédit d'impôt pour dépenses de recherche non imputée, telle que déterminée d'ailleurs par l'entreprise intéressée, à la présentation d'une demande en ce sens n'a ni pour objet, ni pour effet, de priver le contribuable qui remplit les conditions d'obtention du crédit d'impôt d'un bien ou, à tout le moins, d'une espérance légitime de percevoir la somme d'argent correspondante. Par ailleurs, le délai de réclamation de deux ans tel qu'il résulte de l'article R.*196-1 du livre des procédures fiscales est suffisant pour permettre aux contribuables de faire valoir utilement leurs droits. Par suite, le moyen soulevé par la SA Beneteau ne peut qu'être écarté dans ses deux branches.
13. La SA Beneteau fait enfin valoir que l'absence de remboursement automatique de sa créance de crédit d'impôt par l'administration constituerait, à son encontre, une discrimination injustifiée par rapport aux sociétés ayant été en mesure d'utiliser l'intégralité de leur créance soit par imputation, soit par mobilisation de leur créance, et ce en méconnaissance des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel. Toutefois, un contribuable en mesure d'imputer une créance d'impôt recherche sur l'impôt dû au titre de l'impôt sur les sociétés pour les exercices suivants ne se trouve pas dans la même situation qu'un contribuable qui en demande le remboursement à l'administration au terme de la période prévue à l'article 199 ter B du livre des procédures fiscales. Par suite, en raison de cette différence de situation, le moyen ainsi soulevé par la société requérante ne peut qu'être écarté.
14. Dès lors, l'ensemble de l'argumentation présentée, à titre principal, par la société requérante ne peut qu'être écarté.
15. La SA Beneteau fait valoir, à titre subsidiaire, qu'elle disposait d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter sa réclamation, conformément à l'article R.*196-3 du livre des procédures fiscales, de sorte que sa demande du 19 avril 2018 n'était pas tardive.
16. Aux termes, d'une part, du I. de l'article 199 ter B du code général des impôts, alors applicable : " Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période ". Aux termes, d'autre part, de l'article R.*196-3 du livre des procédures fiscales : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ". Aux termes, enfin, de l'article 220 B du code général des impôts : " Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter B ". Il résulte de ces dispositions que le contribuable qui fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification au titre d'une année ou d'un exercice peut présenter, dans le délai spécial qu'elles prévoient, une réclamation portant sur le montant des dépenses exposées au cours de cette année ou de cet exercice qui ouvrent droit, selon lui, au crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts.
17. Dans ces conditions, la circonstance que la SA Beneteau a fait l'objet d'un contrôle fiscal portant sur les exercices clos de 2013 à 2015 et que sa filiale, la société SPBI, a fait également l'objet d'un tel contrôle au titre des exercices clos de 2013 à 2016, ne permet pas à la première de présenter, dans le délai spécial prévu à l'article R.*196-3 du livre des procédures fiscales, une réclamation visant le remboursement d'un crédit d'impôt tel que défini à l'article 244 quater B du code général des impôts constitué au titre de l'exercice clos en 2012 à raison de dépenses exposées en 2011 et constituant des charges de cet exercice, alors qu'au surplus la notification régulière à la société mère d'un groupe fiscalement intégré de rehaussements apportés à son propre bénéfice imposable, en tant que société membre de ce groupe, ne lui permet de se prévaloir du délai de réclamation prévu à l'article R.*196-3 que pour les impositions correspondant à ses propres résultats individuels. Dès lors, l'argumentation présentée, à titre subsidiaire, par la société requérante ne peut qu'être également écartée.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Beneteau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête doit, en conséquence, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SA Beneteau est rejetée.
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N° 20VE00581