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28/12/2021 | FRANCE | N°21VE01319

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 28 décembre 2021, 21VE01319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 11 juillet 2020 par laquelle le préfet du Loiret a refusé de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, d'enjoindre au préfet de lui accorder le bénéfice du regroupement familial ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la som

me de 1 800 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 11 juillet 2020 par laquelle le préfet du Loiret a refusé de lui accorder le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, d'enjoindre au préfet de lui accorder le bénéfice du regroupement familial ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003991 du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du 11 juillet 2020, a enjoint au préfet de faire droit à la demande de regroupement familial dans un délai de 2 mois à compter de la notification du jugement et a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 10 mai 2021, le préfet du Loiret, représenté par Me Boullay, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier car il est insuffisamment motivé ; le tribunal n'a pas fait état de la situation de Mme A... et n'a pas cité les dispositions de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les principes s'appliquant en matière de regroupement familial ; il n'a pas précisé que le demandeur devait remplir les conditions de ressources sur les douze mois précédant la demande ; il n'a pas répondu à l'argument tiré de ce que M. B... ne justifiait pas d'une communauté de vie antérieure à 2017 et que la décision n'avait pas pour effet de séparer la cellule familiale s'agissant de l'appréciation à porter sur la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le jugement est mal fondé car :

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, les deux époux étant de nationalité ivoirienne et il n'est pas établi qu'ils n'ont plus d'attache dans leur pays d'origine ; la décision n'a pas pour effet de les séparer ; à la date de la décision attaquée, la vie commune est récente ; le tribunal n'a pas vérifié la réalité d'une communauté de vie avant 2017 ; il n'y a pas d'erreur manifeste d'appréciation ni de méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'intégration de son épouse n'est pas démontrée et le regroupement familial n'est pas un mode de régularisation ; une nouvelle demande peut être formulée ;

- il a commis une erreur de droit en ne statuant pas sur l'application des dispositions de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui sont rendues inopérantes, et le préfet n'était pas tenu de retenir les conditions de ressources plus favorables nées après la décision attaquée ;

- la demande de M. B... devant le tribunal doit être rejetée ; il n'était pas tenu de faire application de l'article L. 411-6 eu égard à la présence de Mme B... sur le territoire français ; M. B... ne dispose pas de ressources stables et suffisantes et la décision ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mauny a été entendu au cours de l'audience publique.

1. M. B..., ressortissant ivoirien né en 1971, a déposé le 30 septembre 2019 une demande de regroupement familial au bénéfice de Mme A..., ressortissante ivoirienne née en 1989 qu'il épousée en Côte-d'Ivoire le 11 mars 2014. Par une décision du 11 juillet 2020, le préfet du Loiret a rejeté sa demande. Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cette décision et enjoint au préfet de lui accorder le bénéfice du regroupement familial. Le préfet relève appel de ce jugement.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président (...) ".

3. Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application de ces dispositions, l'admission provisoire de M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

5. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint (...) ". Aux termes de l'article L. 411-6 de ce code : " Peut être exclu du regroupement familial: / (...) 3º Un membre de la famille résidant en France ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Le bénéfice du regroupement familial ne peut être refusé à un ou plusieurs membres de la famille résidant sur le territoire français dans le cas où l'étranger qui réside régulièrement en France dans les conditions prévues aux articles R. 411-1 et R. 411-2 contracte mariage avec une personne de nationalité étrangère régulièrement autorisée à séjourner sur le territoire national sous couvert d'une carte de séjour temporaire d'une durée de validité d'un an. Le bénéfice du droit au regroupement familial est alors accordé sans recours à la procédure d'introduction (...) ".

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, notamment en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit du demandeur de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou lorsqu'il est porté atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant tel que protégé par les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.

7. Il n'est pas contesté que Mme B..., qui soutient être entrée en France en mars 2017, s'est maintenue sur le territoire, sans titre de séjour, jusqu'à la demande de regroupement familial déposée par son époux. Elle était donc au nombre des personnes pouvant être exclues du bénéfice d'une mesure de regroupement familial en application de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il résulte par ailleurs des pièces du dossier que Mme B... n'est entrée sur le territoire qu'en mars 2017, soit un peu plus de trois ans avant la décision attaquée, et ne justifie pas être dépourvue d'attache familiale en Côte-d'Ivoire, pays dont le requérant a également la nationalité. Si M. et Mme B... se sont mariés le 11 septembre 2014, il est constant, ainsi que le relève le préfet, que l'épouse a vécu en Côte-d'Ivoire jusqu'en mars 2017, selon ses déclarations, et M. B... n'apporte aucun élément sur les liens entretenus avec elle et donc une communauté de vie avant son entrée sur le territoire. A ce titre, la naissance de l'enfant du couple à Fontainebleau en novembre 2017 ne permet pas d'établir l'existence d'une communauté de vie avant l'entrée de Mme B... sur le territoire en mars 2017. Par ailleurs, la décision en litige n'emporte pas éloignement du territoire de Mme B... et n'a pas pour effet de séparer durablement la cellule familiale. Il suit de là que le préfet du Loiret est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que la décision du 11 juillet 2020 méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'a annulée pour ce motif.

9. Il y a donc lieu d'examiner, par l'effet dévolutif de l'appel, les moyens présentés par M. B... devant le tribunal et la cour.

10. Par un arrêté du 28 février 2020, M. Pierrat, secrétaire général adjoint de la préfecture du Loiret, a reçu délégation pour signer tous les actes, correspondances, décisions, arrêtés concernant les domaines suivants : " (...) intégration des populations immigrées (...) ". Il était donc compétent pour signer la décision en litige eu égard à son objet.

11. Si M. B... soutient que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas été saisi par le préfet, il ressort de la décision en litige qu'elle se réfère à l'enquête réalisée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'agissant des activités professionnelles. Par ailleurs, s'il n'est pas contesté que le préfet n'a pas saisi le maire de Malesherbes de la situation de M. B..., le motif retenu par la décision en litige dispensait l'autorité préfectorale de mettre en œuvre la procédure prévue par l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relative à la vérification des conditions de logement et de ressources par le maire de la commune dans laquelle l'étranger réside ou envisage de s'établir. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière.

12. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 5 à 8 que Mme B... se trouvait dans une situation qui permettait au préfet de rejeter la demande de regroupement familial la concernant, en vertu des articles R. 411-4 et R. 421-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas en outre de la décision en litige que le préfet, qui a rappelé la teneur de l'article L. 411-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en précisant qu'il prévoit la possibilité qu'une demande de regroupement familial soit refusée dans le cas où le bénéficiaire serait un membre de la famille résidant en France, qui a écarté la présence de circonstances exceptionnelles et la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui a examiné la situation professionnelle de M. B... ainsi que les ressources perçues sur les 12 derniers mois, se serait cru en situation de compétence liée pour rejeter la demande de M. B....

13. Il ne ressort pas en outre des pièces du dossier que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur de fait en relevant que Mme B... n'avait pas effectué de démarche pour régulariser sa situation avant que la demande de regroupement familial déposée par son époux ne soit déposée et examinée.

14. Enfin, il résulte de ce qui a été exposé au point 8 que la décision du 11 juillet 2020, au regard de son objet et de ses effets, ne méconnaît ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Loiret est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 15 avril 2021. Il y a lieu par ailleurs de rejeter les conclusions présentées par M. B... en appel ainsi que celles présentées en première instance, aux fins d'annulation de la décision du préfet du Loiret du 11 juillet 2020, d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : M. B... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 3 : La demande de M. B... présentée au tribunal administratif d'Orléans ainsi que ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

N° 21VE01319 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01319
Date de la décision : 28/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-01-02 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Textes applicables. - Conventions internationales.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : BOULLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-12-28;21ve01319 ?
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