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02/12/2021 | FRANCE | N°20VE00368

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 02 décembre 2021, 20VE00368


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de la prolongation illégale de son activité, sur la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2015, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugemen

t n° 1610013 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a condamné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de la prolongation illégale de son activité, sur la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2015, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1610013 du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 7 500 euros, en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 février 2020 et 22 octobre 2021, le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, les troubles dans les conditions d'existence allégués par M. B... n'ont pas de lien de causalité direct avec l'illégalité de la décision de prolongation d'activité dès lors que celle-ci avait été accordée à la demande de l'intéressé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 7 500 euros en réparation de troubles dans ses conditions d'existence dès lors que le préjudice ainsi allégué n'était pas établi et était, en tout état de cause, compensé par le bénéfice, au cours de la période de prolongation illégale d'activité, d'une rémunération à plein traitement.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Toutain,

- et les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., maître de conférences à l'université Paris VIII, né le 13 août 1946 et atteint par la limite d'âge de 65 ans le 13 août 2011, a obtenu, compte tenu d'un enfant à charge, un recul de limite d'âge jusqu'au 13 août 2012 par un arrêté du président de cette université en date du 30 septembre 2010. Par un second arrêté du 26 novembre 2010, le président de l'université Paris VIII a également fait droit à la demande de M. B... tendant, par application de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, à être maintenu en fonctions jusqu'au 31 août 2015. Par courrier du 12 novembre 2014, le recteur de l'académie de Créteil a informé M. B... que, cette dernière prolongation d'activité ayant été accordée à tort, la période d'activité du 1er septembre 2012 au 31 août 2015 ne serait pas prise en compte dans le calcul de sa pension. Après son admission à la retraite, le 1er septembre 2015, et vaine réclamation indemnitaire préalable, M. B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis à raison de l'illégalité de sa prolongation d'activité sur la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2015. Par un jugement du 3 décembre 2019, dont le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation relève appel, ce tribunal a condamné l'Etat à verser à l'intéressé une indemnité de 7 500 euros et a rejeté le surplus de sa demande. En défense, M. B... relève appel incident du même jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes de l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " I. La durée des services et bonifications admissibles en liquidation s'exprime en trimestres. Le nombre de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de la pension civile ou militaire est fixé à cent soixante trimestres. (...) ". Aux termes de l'article L. 952-10 du code de l'éducation, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat, la limite d'âge des professeurs de l'enseignement supérieur, des directeurs de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique relevant de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France et des personnels titulaires de l'enseignement supérieur assimilés aux professeurs d'université pour les élections à l'instance nationale mentionnée à l'article L. 952-6 est fixée à soixante-cinq ans. (...) ". Aux termes de l'article 68 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en activité au-delà de la limite d'âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur ". Aux termes de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 : " Sous réserve des droits au recul des limites d'âge reconnus au titre des dispositions de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité. / La prolongation d'activité prévue à l'alinéa précédent ne peut avoir pour effet de maintenir le fonctionnaire concerné en activité au-delà de la durée des services liquidables prévue à l'article L. 13 du même code ni au-delà d'une durée de dix trimestres. / Cette prolongation d'activité est prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension ".

3. En l'espèce, il est constant que M. B... avait déjà acquis une durée de services liquidables de cent-soixante trimestres, seuil nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum de pension en vertu des dispositions précitées de l'article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, au 1er septembre 2012, date à compter de laquelle il a bénéficié d'une prolongation d'activité de trois années par l'arrêté susmentionné du 26 novembre 2010. Cette prolongation a ainsi eu pour effet de maintenir l'intéressé en activité au-delà de la durée de services liquidables de cent-soixante trimestres, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que l'illégalité de cet arrêté, pris par le président de l'université Paris VIII sur délégation du ministre chargé de l'enseignement supérieur en application de l'article L. 951-3 du code de l'éducation, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ce que ne conteste d'ailleurs pas le ministre en cause d'appel.

Sur les préjudices et le lien de causalité :

4. En premier lieu, si le ministre fait valoir que la prolongation d'activité accordée à M. B... par l'arrêté susmentionné du 26 novembre 2010, quoiqu'entachée d'illégalité pour le motif rappelé au point 3, a été prononcée sur demande de l'intéressé, cette circonstance ne dispensait pas l'administration de s'assurer que ce dernier remplissait bien les conditions prévues, pour en bénéficier, par les dispositions précitées de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que M. B... a présenté sa demande de prolongation d'activité précisément après que le bureau des retraites du rectorat de l'académie de Créteil lui a indiqué, par lettre du 6 septembre 2010 à laquelle était jointe une simulation pour fin de carrière, qu'une prolongation d'activité, au-delà du 13 août 2012 et jusqu'au 31 août 2015, serait prise en compte dans le calcul de ses droits à pension, et alors que le caractère erroné de ces informations n'a été ultérieurement porté à sa connaissance par le rectorat que par lettre du 12 novembre 2014. Dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à soutenir que M. B... aurait renoncé en toute connaissance de cause à partir en retraite dès 2012, afin de poursuivre son activité professionnelle jusqu'au 31 août 2015, et, par suite, qu'il n'existerait pas de lien de causalité direct entre l'illégalité de l'arrêté susmentionné du 26 novembre 2010 et les troubles dans les conditions d'existence dont M. B... demande réparation.

5. En second lieu, il n'est pas sérieusement contesté qu'en raison de la prolongation d'activité illégalement accordée à M. B... du 1er septembre 2012 au 31 août 2015, et alors que cette prolongation n'a pas été prise en compte dans le calcul de ses droits à pension, l'intéressé n'a pu bénéficier du repos et du temps libre auxquels il aurait pu prétendre s'il n'avait pas poursuivi ses fonctions durant cette période, en particulier pour consacrer autant de temps qu'il le souhaitait à s'occuper de sa mère âgée. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des troubles ainsi subis par M. B... dans ses conditions d'existence en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 10 000 euros, dont ne saurait être déduit, comme le réclame le ministre, le montant des avantages financiers, au demeurant non chiffrés, que l'intéressé aurait tirés de son maintien en activité durant la période considérée. En revanche, si M. B... soutient que cette prolongation d'activité l'aurait, par ailleurs, contraint à publier de manière bénévole, en 2014, un ouvrage dont il était co-auteur, l'intéressé n'apporte aucun élément permettant de justifier des gains qu'il aurait pu tirer de cette publication et n'explique pas davantage en quoi les règles statutaires auxquelles il était alors soumis auraient nécessairement fait obstacle à leur perception. Dès lors, les conclusions indemnitaires présentées à ce dernier titre par l'intéressé doivent être rejetées.

Sur les intérêts et à la capitalisation des intérêts, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué :

6. En premier lieu, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1231-6 du même code, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la réclamation indemnitaire préalable de M. B... a été reçue par le ministre le 24 août 2016. Par suite, M. B... est en droit de prétendre aux intérêts légaux, sur l'indemnité susmentionnée de 10 000 euros, à compter de cette dernière date.

7. En second lieu, aux termes de l'article 1154 du code civil, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article 1343-2 du même code : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Toutefois, cette demande prend effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Dans l'hypothèse inverse, cette demande ne prend effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Ainsi, et en l'espèce, M. B..., qui a sollicité la capitalisation des intérêts le 19 décembre 2016, est en droit de prétendre à la capitalisation des intérêts à compter du 24 août 2017, date à laquelle ces derniers sont dus pour une année entière, puis à chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.

8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires présentées par M. B... et, d'autre part, que ce dernier est seulement fondé à obtenir la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 24 août 2016, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 24 août 2017 et de chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... d'une somme de 2 000 euros en remboursement des frais qu'il a exposés à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est rejetée.

Article 2 : La somme de 7 500 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par l'article 1er du jugement n° 1610013 du tribunal administratif de Montreuil du 3 décembre 2019 est portée à 10 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du 24 août 2016, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 24 août 2017 et de chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.

Article 3 : Le jugement n° 1610013 du tribunal administratif de Montreuil du 3 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel incident présenté par M. B... est rejeté.

5

N° 20VE00368


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00368
Date de la décision : 02/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Eric TOUTAIN
Rapporteur public ?: Mme SAUVAGEOT
Avocat(s) : SCP THOUVENIN COUDRAY GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-12-02;20ve00368 ?
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