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05/10/2021 | FRANCE | N°20VE00034

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 05 octobre 2021, 20VE00034


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et contributions additionnelles à cet impôt, en principal et intérêts de retard, qu'elle a acquittées au titre des exercices clos au 30 novembre 2011 et 2012 pour un montant de 2 763 336 euros.

Par un jugement n° 1803302 du 12 septembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société B... de la somme de

2 763 336 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et contributions additionnelles à cet impôt, en principal et intérêts de retard, qu'elle a acquittées au titre des exercices clos au 30 novembre 2011 et 2012 pour un montant de 2 763 336 euros.

Par un jugement n° 1803302 du 12 septembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société B... de la somme de 2 763 336 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 janvier 2020, le 3 décembre 2020 et le 16 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de remettre à la charge de la société par actions simplifiée (SAS) A..., venant aux droits de la SNC B..., les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des exercices 2011 et 2012, pour le montant total en droits et pénalités de 2 763 336 euros.

Le ministre fait valoir que :

- le jugement est irrégulier en ce que la décharge de 2 763 336 euros prononcée excède les rehaussements correspondants à la correction en base dont il a admis le bien-fondé ;

- les dommages-intérêts punitifs infligés à la société C... par les tribunaux américains n'étaient pas déductibles des résultats du groupe consolidé, dès lors que ces sommes constituent des sanctions pécuniaires et pénalités infligées à la suite de la méconnaissance d'une obligation légale au sens du 2 de l'article 39 du code général des impôts ; il en est de même de la provision portant sur une charge non déductible, en vertu du 5° du 1 du même article.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion ;

- les conclusions de M. Met, rapporteur public ;

- les observations de Me D..., substituant Me E..., pour la SAS A....

Considérant ce qui suit :

1. La société B..., aux droits de laquelle vient la SAS A..., a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses exercices clos en 2011 et 2012, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment remis en cause, au titre de l'année 2011, la déduction d'une charge de 3 726 338 euros et d'une provision de 3 421 225 euros, correspondant à des " punitives damages " auxquels la société C..., membre du groupe consolidé dont elle est la société-mère, avait été condamnée, dans le cadre d'un litige commercial, par le tribunal fédéral du district du Kansas. Par un jugement du 12 septembre 2012, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société B... de la somme de 2 763 336 euros. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler ce jugement et de remettre cette somme à la charge de la contribuable.

Sur la régularité du jugement :

2. La société B... sollicitait en première instance la décharge de la totalité des impositions mises à sa charge par l'avis de mise en recouvrement du 16 avril 2017 et demandait la restitution de la somme de 2 763 336 euros. Cependant, les motifs de sa contestation portaient sur les seuls rehaussements afférents à la remise en cause de la déductibilité des " punitive damages " pour un montant de 2 736 791 euros et elle ne présentait aucun moyen à l'encontre des autres rectifications de ses impositions au titre des exercices clos en 2011 et 2012. En prononçant la décharge de la somme de 2 763 336 euros, alors que les moyens accueillis ne pouvaient conduire qu'à la décharge de la somme de 2 736 791 euros, le tribunal a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif. Le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé dans cette mesure.

3. Il y a lieu pour la cour de prononcer par la voie de l'évocation sur les conclusions à fin de décharge excédant la somme de 2 736 791 euros et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus de la demande.

Sur la demande de décharge en tant qu'elle excède la somme de 2 763 336 euros :

4. La société B... ne présente aucun moyen relatif aux rehaussements d'imposition dont elle a fait l'objet relatifs à la réintégration des charges " Ratier Maroc ", aux amendes et pénalités non déductibles et à la remise en cause partielle du crédit d'impôt recherche. Sa demande de décharge ne pouvant être accueillie au-delà de la somme de 2 736 791 euros, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander que la différence entre la décharge de 2 763 336 euros prononcée par le tribunal et la somme de 2 736 791 euros, soit 26 545 euros, soit remise à la charge de la SAS F....

Sur le bien-fondé du surplus de la décharge prononcée par le tribunal :

5. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, (...) notamment : / 1° les frais généraux de toute nature (...) / 2. Les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l'impôt. (...) ". Il ne résulte pas de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article 23 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 dont elles sont issues, qui doivent être interprétées strictement, que le législateur ait entendu interdire la déduction du bénéfice imposable des indemnités mises à la charge des entreprises, dans l'exercice de leur activité commerciale normale, à la suite de litiges commerciaux les opposant à leurs cocontractants agissant pour la satisfaction de leurs intérêts privés.

6. Il résulte de l'instruction que SAS B..., aux droits de laquelle vient la SAS A..., est la holding tête du groupe auquel est intégré la société C.... La SAS C..., fabriquant de systèmes d'hélices pour turbopropulseurs civils a été chargée en 2003, par Airbus Military SL de la fourniture d'hélices pour un avion de transport militaire, en lien avec la société G.... Les sociétés C... et G... ont sous-traité la conception du système de dégivrage des hélices à la société américaine H.... En 2005, à la suite d'un changement du design des hélices par Airbus Military SL, la société H... a cessé ses travaux, mais les sociétés C... et G... ont continué à exploiter ses brevets à son insu. Saisi par la société H..., le tribunal fédéral du district du Kansas a condamné la société C... à lui verser une somme de 9 590 600 dollars de " punitive damages " par un jugement du 7 mai 2009. En appel de cette décision, la cour d'appel fédérale du 10ème district l'a infirmée le 29 juillet 2011, a prononcé le plafonnement de ces indemnités à 5 millions de dollars en vertu de la loi du Kansas, et a renvoyé au juge de première instance le soin de déterminer si la société H... pouvait prétendre à une indemnité supérieure, au cas où le profit retiré ou attendu par la société Ratier Figeac de son comportement répréhensible s'avérait supérieur. Pour remettre en cause la charge et la provision enregistrées par la société C... au titre de son exercice clos en 2011, l'administration a considéré que les " punitive damages " auxquels elle a été condamnée par la justice américaine constituaient des sanctions pécuniaires non déductibles de son résultat fiscal.

7. Les " punitive damages " pratiqués par certains pays de common law, qui n'ont pas leur équivalent en droit français, peuvent être versés à la victime lorsque, le dommage ayant été causé par un comportement illégal intentionnel, d'une particulière mauvaise foi ou en méconnaissance d'une obligation de prudence, les dommages-intérêts compensatoires paraissent insuffisants. Ces dommages et intérêts punitifs ou exemplaires sont prononcés dans le cadre de litiges civils ou commerciaux pour la satisfaction d'intérêts privés. Ils ne sont pas perçus au profit d'une autorité publique, mais versés à la victime qui exerce les poursuites dans son seul intérêt. Par suite, ils doivent être regardés comme un complément d'indemnité accordé à la victime au regard des circonstances particulières dans lesquelles le dommage a été commis, notamment lorsque le gain retiré par l'auteur du fait dommageable excède le préjudice subi. La réparation de ce préjudice particulier ne peut dès lors être assimilée à une sanction pécuniaire ou une pénalité au sens du 2 de l'article 39 du code général des impôts. Ainsi, alors même qu'elles résultent de la méconnaissance d'une obligation légale, qu'elles visent pour partie à dissuader la réitération des faits dommageables, qu'elles présentent pour partie un caractère forfaitaire et qu'elles s'ajoutent à des dommages-intérêts compensatoires, les indemnités que la société C... a été condamnée à verser à la société H... dans le cadre du litige commercial les opposant ne pouvaient être exclues du droit à déduction en application du 2 de l'article 39 du code général des impôts.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SAS F... de la somme de 26 545 euros. Pour le surplus, sa requête doit être rejetée.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à la SAS F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 septembre 2019 du tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant que la décharge prononcée à l'article 1er excède la somme de 2 736 791 euros.

Article 2 : La somme de 26 545 euros est remise à la charge de la SAS F....

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la SAS F... au titre des frais d'instance.

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N° 20VE00034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00034
Date de la décision : 05/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-09 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Bénéfices industriels et commerciaux. - Détermination du bénéfice net. - Charges diverses.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-10-05;20ve00034 ?
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