Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Acofi Gestion a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le versement des intérêts moratoires d'un montant de 66 386,45 euros, résultant du remboursement de la créance de crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche dont le fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020 est titulaire.
Par un jugement n° 1807452 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser au fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020, représenté par la société Acofi Gestion, les intérêts moratoires dus au titre de la période du 15 mai 2017 au 20 avril 2018, déduction faite de la somme de 5 418,13 euros, dans la limite de la somme de 66 386,45 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 novembre 2019, 25 mars 2020, 11 mai 2020 et 27 juillet 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1° d'annuler les articles 1 et 2 du jugement attaqué ;
2° d'ordonner la restitution de la somme de 60 968 euros ;
Il soutient que :
- la restitution du crédit d'impôt recherche au titre des dépenses éligibles engagées par la société Machines Dubuit ne relève pas du champ d'application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dès lors que la restitution du crédit d'impôt recherche constitue le versement d'une aide publique et non un élément du résultat imposable ; cette créance ne correspondant ni à un solde d'impôt, ni à un trop versé, l'administration n'a pas procédé à la réformation ou l'annulation d'une imposition antérieure ; au demeurant, aucune disposition du code monétaire et financier ne prévoit de sanctions spécifiques en cas de retard du débiteur cédé à verser la somme due au cessionnaire ;
- le cessionnaire de la créance n'a pas la qualité de contribuable, seul bénéficiaire désigné par les dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts ; en outre, eu égard à sa nature, la créance cédée ne peut pas inclure le montant des intérêts dus en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dès lors que les intérêts moratoires seraient réservés au seul contribuable ;
- seules les dispositions du code civil, relatives aux intérêts au taux légal sont susceptibles de s'appliquer ; la constatation d'un retard est, par suite, seulement susceptible de donner lieu au versement d'intérêts calculés au taux légal, au profit du cessionnaire de la créance - ce qui a été fait, en l'espèce, par le versement de la somme de 5 418 euros ;
- aucun des moyens soulevés en première instance par la société Acofi n'est susceptible de prospérer ; en particulier, les décisions du Conseil d'Etat dont se prévaut la requérante ne peuvent être transposées au cas d'espèce ; quant à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 19 mai 2020, il n'est pas définitif, ayant fait l'objet d'un pourvoi.
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020 a, par acte du 14 décembre 2017, procédé à l'acquisition de la créance fiscale que la société Machines Dubuit détenait sur l'État à raison d'un crédit d'impôt recherche d'un montant estimé à 1 900 000 euros, correspondant à des dépenses de recherche que celle-ci avait exposées au cours de l'année 2016. Le 15 mai 2017, la société Machines Dubuit a sollicité le remboursement de sa créance de crédit d'impôt recherche. Par une décision du 5 avril 2018, l'administration a fait droit à cette demande et versé les sommes correspondantes à Predirec Innovation 2020 le 20 avril suivant. Par un courrier du 18 juin 2018, la société Acofi Gestion, en sa qualité de société de gestion de ce fonds, a en vain demandé à l'administration que ce remboursement soit assorti du versement des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales. Le ministre de l'action et des comptes publics relève régulièrement appel du jugement du 3 octobre 2019, en tant que par ce jugement, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'État à payer à la société Acofi Gestion des intérêts moratoires, dans la limite de la somme de 66 386,45 euros et après déduction de la somme de 5 418,13 euros versée à la société au titre des intérêts au taux légal, ainsi qu'à verser à la société Acofi Gestion la somme de 1 500 euros au titre de ses frais d'instance.
2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année ". Aux termes de l'article 220 B du même code : " Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 199 ter B ". Aux termes du I de l'article 199 ter B de ce code : " Le crédit d'impôt (...) défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période. (...) ". Le II du même article prévoit que ces créances sont immédiatement remboursables lorsqu'elles sont constatées par des entreprises appartenant à certaines catégories, définies notamment au regard de leur taille ou de la qualification de jeune entreprise innovante.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales : " L'administration des impôts ou l'administration des douanes et droits indirects, selon le cas, statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation (...) ". Aux termes de l'article R. 199-1 du même code : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévue à l'article R. 198-10. / Toutefois, le contribuable qui n'a pas reçu de décision de l'administration dans le délai de six mois mentionné au premier alinéa peut saisir le tribunal dès l'expiration de ce délai (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts ".
5. En premier lieu, la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Un remboursement accordé par l'administration à la suite de l'admission d'une telle réclamation, qui tend à obtenir le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou règlementaire, n'ouvre pas droit au versement par l'Etat au contribuable d'intérêts moratoires. En revanche, un remboursement de créance de crédit d'impôt recherche qui intervient postérieurement au rejet, explicite ou né du silence gardé par l'administration au-delà du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la demande formée à cette fin a le caractère d'un dégrèvement contentieux de même nature que celui prononcé par un tribunal au sens des dispositions précitées de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, et ouvre en conséquence droit au versement d'intérêts moratoires à compter de la date de la demande de remboursement.
6. Il résulte de l'instruction que le remboursement de la créance de crédit impôt recherche que la société Machines Dubuit a obtenu par une décision du 5 avril 2018 est intervenu postérieurement au rejet implicite par l'administration de la réclamation que la société avait présentée le 15 mai 2017 en vue de ce remboursement. Il a eu, du fait de ce rejet, le caractère d'un dégrèvement contentieux de la même nature que celui prononcé par un tribunal. La circonstance que ce remboursement ne procéderait pas, à l'origine, d'une erreur commise par l'administration dans l'assiette ou le calcul de l'imposition est dès lors sans incidence. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Montreuil a jugé que ce remboursement devait donner lieu au paiement d'intérêts moratoires sur la somme de 1 747 012 euros correspondant au montant de la créance de crédit d'impôt recherche détenue initialement par la société Machines Dubuit.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'acte de cession à la société Predirec Innovation 2020, le 14 décembre 2017, de la créance fiscale sur le Trésor détenue par la société Machines Dubuit du fait du crédit d'impôt recherche au titre de dépenses de recherche engagées en 2016, que cette cession portait sur le montant de cette créance en principal, " augmenté le cas échéant de tous intérêts y afférents ". L'acte de cession stipulait également que la cession entrainait de plein droit le transfert de la créance cédée et de tous ses accessoires. Cette cession portait, par voie de conséquence, sur les intérêts moratoires associés à la créance de crédit d'impôt dont la société Machines Dubuit était titulaire, et donnait qualité à la société cessionnaire, substituée dans les droits du contribuable au versement de ces intérêts moratoires, pour demander à l'Etat que le remboursement du crédit d'impôt recherche soit assorti des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.
8. En troisième lieu, les dispositions de l'article 1231-6 du code civil ne trouvent à s'appliquer, en cas de retard pris par une personne publique dans le paiement d'une somme d'argent, qu'à défaut de dispositions législatives spéciales. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5, le remboursement de créance de crédit d'impôt recherche qui intervient postérieurement au rejet, explicite ou né du silence gardé par l'administration au-delà du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales, de la demande formée à cette fin a le caractère d'un dégrèvement contentieux et ouvre droit au versement d'intérêts moratoires sur le fondement des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la société requérante pouvait demander le versement d'intérêts moratoires sur le seul fondement de l'article 1231-6 du code civil.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser au fonds commun de titrisation Predirec Innovation 2020, représenté par la société Acofi Gestion, une somme de 60 968 euros au titre des intérêts moratoires, ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de ses frais d'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la société Acofi Gestion sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la société Acofi Gestion une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2
N° 19VE03886