Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL T4 a demandé au tribunal administratif de Versailles l'annulation de la décision du 11 avril 2016 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 7 040 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que la décision du 21 juillet 2016 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1606625 en date du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2018, la SARL T4, représentée par Me Ilanko, avocat, doit être regardée comme demandant à la cour :
1° à titre principal, d'annuler le jugement n° 1606625 en date du 14 décembre 2017 du tribunal administratif de Versailles ;
2° d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à sa charge la somme de 7 040 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la décision du 21 juillet 2016 rejetant son recours gracieux ;
3° à titre subsidiaire, de réduire les amendes dans la proportion d'un tiers du montant des sommes mises à sa charge ;
4° en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu avant toute décision qui affecte sensiblement et durablement les intérêts de son destinataire ;
- les décisions attaquées méconnaissent le principe d'unicité de l'instance et portent atteinte à ses droits de la défense ;
- elles sont intervenues en méconnaissance de son droit à être entendu ;
- elles méconnaissent le principe non bis in idem et le principe prohibant la double sanction posé par l'article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales repris à l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'alinéa III de l'article R. 8253-2 du code du travail ;
- elles sont entachées d'erreur d'appréciation en tant qu'elles lui refusent une remise gracieuse alors que c'était la première fois qu'elle commettait une infraction de cette nature et que les contributions demandées obèreraient de façon drastique ses modestes finances en l'acculant progressivement à la cessation de paiement ou à l'ouverture d'une procédure collective ; elle sollicite la réduction des amendes dans la mesure d'un tiers.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me Schegin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SARL T4 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle effectué le 18 novembre 2015 dans les locaux de l'établissement " ET MARCHE " implanté sur le territoire de la commune d'Evry (91) et exploité par la SARL T4, les policiers de la direction départementale de la police aux frontières (DDPAF) de l'Essonne ont constaté la présence d'un ressortissant sri-lankais en situation de travail, dépourvu d'autorisation de travail et de titre séjour. Par une décision du 11 avril 2016, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société T4 la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail à hauteur de 7 040 euros et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 309 euros. La SARL T4 a formé un recours gracieux en date du 31 mai 2016, réceptionné le 1er juin suivant, à l'encontre de cette décision, lequel a été rejeté par une décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en date du 21 juillet 2016. La SARL T4 a demandé l'annulation de ces décisions au tribunal administratif de Versailles qui, par jugement n° 1606625 en date du 14 décembre 2017, a rejeté sa demande. La SARL T4 relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.
3. Il résulte de ce qui précède que les premiers juges pouvaient, sans entacher leur jugement d'omission à statuer, ne pas répondre au moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de la méconnaissance de son droit à être entendu invoqué par la société pour la première fois postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue le 10 mai 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation et de décharge :
4. En premier lieu et en tout état de cause, la SARL T4 ne peut utilement se prévaloir du principe d'unicité de l'instance qui ne régit pas le présent litige auquel s'applique le principe d'indépendance ces procédures pénale et administrative. Or, en vertu de ce principe, les procédures pénale et administrative n'ont pas être menées concomitamment. En tout état de cause, la SARL T4 n'établit pas que la circonstance que les procédures pénale et administrative n'aient pas été menées simultanément et qu'elle ait choisi la proposition de composition pénale aurait été de nature à préjudicier à ses droits dans le cadre de la procédure administrative devant l'OFII dès lors que l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français et que l'élément intentionnel est en principe, en lui-même, sans influence sur son bien-fondé. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté ce premier moyen.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le courrier en date du 18 février 2016 par lequel l'OFII a informé la SARL T4 de son intention de lui appliquer les contributions spéciale et forfaitaire faisait référence au procès-verbal dressé à l'issue du contrôle mené le 18 novembre 2015. Ce courrier faisait référence aux dispositions des articles du code du travail et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile susceptibles de fonder l'application des contributions spéciale et forfaitaire et comportait le rappel des modalités de calcul de ces contributions. La circonstance qu'à ce stade ce courrier, qui invitait la société à réagir au principe même de l'application à sa situation des contributions spéciale et forfaitaire, ne comportait pas un calcul exact du montant de ces sanctions, n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance du droit à être entendu tel que consacré par les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou des droits de la défense de la société requérante.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. (...) ". Aux termes de l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. " Ces stipulations ne trouvent toutefois à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit ainsi pas le prononcé de sanctions administratives parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif. La contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail ne vise pas à sanctionner un délit et ne présente pas un caractère pénal. Par suite, le moyen invoqué tiré, sur le fondement des stipulations précitées, de la méconnaissance de la règle du non bis in idem ne peut qu'être écarté.
7. En quatrième lieu, la société se prévaut, comme en première instance, d'une " erreur d'appréciation " entachant les décisions attaquées en tant qu'elles lui refusent une remise gracieuse alors, ainsi qu'elle le soutient, que c'était la " première fois qu'elle commettait une infraction de cette nature " et que les sanctions infligées auront pour effet d'obérer de façon drastique ses finances au risque de la conduire à la cessation de paiement ou à l'ouverture d'une procédure collective. Toutefois, ainsi qu'il a été rappelé au point 4 du présent arrêt, l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail étant constituée du seul fait de l'emploi d'un travailleur étranger démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, l'élément intentionnel est en principe, en lui-même, sans influence sur le bien-fondé de la contribution spéciale mise à la charge de l'employeur qui a contrevenu à ces dispositions ainsi que sur l'application complémentaire des dispositions de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prescrivant une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la bonne foi de la requérante doit dès lors être écarté comme inopérant. Il en va de même de celui tiré des effets allégués des décisions attaquées sur sa situation financière.
8. En dernier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 8253-2 du code du travail : " I. -Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II. -Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. /".
9. Contrairement à ce que soutient la société T4, il résulte du procès-verbal d'infraction qu'elle ne s'est pas rendue coupable d'une seule infraction mais d'un cumul d'infractions, à savoir l'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié et l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France. Par suite, la sanction ne relevait d'aucun des deux taux réduits prévus par le II et le III de l'article R. 8252-2 du code du travail, qui prévoient que le montant de la contribution spéciale peut être réduit à 2 000 ou 1 000 fois le taux du minimum garanti lorsque le procès-verbal de constatation d'infraction ne mentionne que l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail ou lorsque l'employeur s'est acquitté envers son employé, dans le délai de 30 jours prévu par l'article L. 8252-4 du code du travail, de l'intégralité des salaires et indemnités prévus par l'article L. 8252-2 du même code, ce qui n'est pas établi, ni même allégué en l'espèce.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL T4 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation des décisions attaquées et, à titre subsidiaire, à la décharge partielle des sommes mises à sa charge.
Sur les dépens :
11. La présente instance n'ayant pas entraîné de frais susceptibles d'être inclus dans les dépens, les conclusions présentées à ce titre par la requérante ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la SARL T4 et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la SARL T4, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration dans la présente instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL T4 est rejetée.
Article 2 : La SARL T4 versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL T4 et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2021 à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
M. Coudert, premier conseiller,
Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 29 juin 2021.
La rapporteure,
H. A...Le président,
S. BROTONSLa greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N°18VE00300 2