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24/06/2021 | FRANCE | N°19VE02750

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 24 juin 2021, 19VE02750


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Francilienne de bâtiment a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer, à titre principal, la récusation ou, à titre subsidiaire, le remplacement de M. A... C..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du 26 mars 2018, de rejeter les conclusions reconventionnelles de l'office public de l'habitat du territoire Vallée Sud Grand Paris " Clamart Habitat " (OPH Clamart Habitat) tendant au retrait des passages prétendument diffamatoires et outrageants de sa requêt

e et de son mémoire en réplique, de rejeter les conclusions reconventionnelle...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Francilienne de bâtiment a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer, à titre principal, la récusation ou, à titre subsidiaire, le remplacement de M. A... C..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du 26 mars 2018, de rejeter les conclusions reconventionnelles de l'office public de l'habitat du territoire Vallée Sud Grand Paris " Clamart Habitat " (OPH Clamart Habitat) tendant au retrait des passages prétendument diffamatoires et outrageants de sa requête et de son mémoire en réplique, de rejeter les conclusions reconventionnelles de la commune de Clamart tendant aux mêmes fins et à sa condamnation à un euro de dommages et intérêts et de mettre à la charge de l'OPH Clamart Habitat et de la commune de Clamart, in solidum, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903749 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 30 juillet 2019, 11 décembre 2019, 24 janvier 2020, 25 mars 2020 (trois mémoires) et 29 juin 2020, la société Francilienne de bâtiment, représentée par Me B..., avocat, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et d'ordonner la récusation de l'expert désigné par l'ordonnance du 26 mars 2018 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il a déclaré irrecevables ses conclusions subsidiaires tendant au remplacement de l'expert désigné par l'ordonnance du 26 mars 2018 et d'ordonner le remplacement de cet expert ou, à défaut, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

3°) de mettre à la charge de l'OPH Clamart Habitat et de la commune de Clamart la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête n'est pas tardive dès lors qu'elle a été introduite dix jours après la communication du document de synthèse de l'expert révélant son défaut d'impartialité ;

- sa requête contient l'exposé des moyens et ces moyens sont intelligibles ;

- le tribunal n'a pas répondu aux observations qu'elle a produites en réponse au moyen d'ordre public communiqué par la juridiction ;

- le tribunal n'a pas apporté de réponse sur la citation tronquée de l'avis du bureau de contrôle et sur la réponse surréaliste donnée par l'expert à ce sujet ;

- ses conclusions subsidiaires tendant au remplacement de l'expert étaient recevables, en vertu du principe de plénitude de juridiction consacré à l'article R. 312-3 du code de justice administrative ;

- ses conclusions à fin de remplacement de l'expert devaient, le cas échéant, faire l'objet d'une invitation à régulariser par la présentation de requêtes distinctes ;

- la partialité de l'expert ne s'apprécie pas uniquement au regard des liens qu'il pourrait avoir avec l'une des parties mais également au regard du parti pris qui peut se dégager de ses propos ou écrits ; à ce titre, le contenu du pré-rapport de l'expert est de nature à révéler un manque d'impartialité ;

- l'expert désigné a fait preuve de partialité dès lors qu'il a tenu des propos tendancieux à son égard et à l'égard de son conseil technique, qu'il a rendu un avis péremptoire alors que les opérations d'expertise n'étaient pas achevées et recouru à des méthodes d'analyse trompeuses, en tronquant notamment l'avis du bureau de contrôle et en y apportant une justification abracadabrante, qu'il a refusé d'examiner les préjudices qu'elle a subis mais a examiné ceux allégués par la commune, s'est prononcé sur une question de droit, en méconnaissance du champ de sa mission et a refusé d'organiser un débat contradictoire à la suite du jugement attaqué ;

- il existe un lien indivisible entre la demande de récusation et les conclusions subsidiaires tendant au remplacement de l'expert ; ce dernier a refusé d'examiner les préjudices qu'elle a subis mais a examiné ceux allégués par la commune ;

- subsidiairement, les conclusions à fin de remplacement doivent être renvoyées au président du tribunal ;

- les termes de sa requête ne sont pas diffamatoires ;

- sa requête n'est pas abusive.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,

- les observations de Me B..., pour la société Francilienne de bâtiment, les observations de Me E..., pour l'OPH Clamart Habitat, et celles de Me D..., pour la commune de Clamart.

Considérant ce qui suit :

1. La société Francilienne de bâtiment, sous-traitante de la société Dumez Ile-de-France dans le cadre d'un marché de conception-réalisation conclu avec l'OPH Clamart Habitat, relève appel du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la récusation de l'expert désigné par ordonnance du 26 mars 2018 ou, à défaut, au remplacement de cet expert.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-4 du code de justice administrative : " Dans le cas où l'expert n'accepte pas la mission qui lui a été confiée, il en est désigné un autre à sa place. / L'expert qui, après avoir accepté sa mission, ne la remplit pas ou celui qui ne dépose pas son rapport dans le délai fixé par la décision peut, après avoir été invité par le président de la juridiction à présenter ses observations, être remplacé par une décision de ce dernier. Il peut, en outre, être condamné par la juridiction, sur demande d'une partie, et au terme d'une procédure contradictoire, à tous les frais frustratoires et à des dommages-intérêts. "

3. Si une partie peut demander à la juridiction qui a ordonné l'expertise de récuser l'expert désigné conformément aux dispositions de l'article R. 621-6-1 du code de justice administrative, elle ne peut présenter dans la même demande des conclusions tendant à ce que l'expert soit remplacé, de telles conclusions ne pouvant être portées que devant le président de la juridiction statuant dans les conditions prévues par l'article R. 621-4 du code de justice administrative.

4. Par suite, lorsque le tribunal administratif, saisi d'une demande de récusation d'un expert, est simultanément saisi de conclusions tendant à la récusation de cet expert, il lui appartient, en application de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, d'inviter son auteur à les régulariser en les présentant par une requête distincte.

5. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions à fin de remplacement de l'expert, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens tirés de son irrégularité.

6. En second lieu, si la société Francilienne de bâtiment soutient que le tribunal n'a pas répondu ni à ses allégations selon lesquelles l'expert a recouru à une citation tronquée et a apporté des explications surréalistes sur ce point, ni à ses " observations en réponse au moyen d'ordre public relevé d'office par le tribunal ", le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité en ce qui concerne les conclusions tendant à la récusation de l'expert.

7. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement, par voie d'évocation sur les conclusions subsidiaires de la société Francilienne de bâtiment tendant au remplacement de l'expert et, pour le surplus, de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions principales tendant à la récusation de l'expert :

8. Aux termes de l'article R. 621-6 du code de justice administrative : " Les experts ou sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. (...) " Et aux termes de l'article L. 721-1 de ce même code : " La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. "

9. En premier lieu, si certains des termes employés par l'expert dans son document de synthèse et dans ses écritures de première instance que la société requérante qualifie de " tendancieux " manifestent l'humeur de l'expert, ils ne témoignent pas de sa partialité alors, notamment, que l'expert a précisé dans ses écritures devant le tribunal administratif qu'il n'avait pas entendu utiliser l'adjectif " spécieux " au sens de " fallacieux ", que, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'expert n'a pas pu obtenir la communication des pièces qu'il a à plusieurs reprises réclamées et que la tonalité générale du pré-rapport, constitué principalement de développements factuels à but démonstratif, ne tend pas à faire naître un doute sur la partialité de son auteur.

10. En deuxième lieu, si la société requérante fait valoir que l'expert a émis dans son document de synthèse un avis péremptoire, plusieurs des passages qu'elle met en évidence à ce titre sont de l'ordre du constat et l'avis émis par l'expert dans ce document ne saurait être considéré comme excluant toute discussion dès lors qu'aussi bien ce document que la note aux parties n° 2 du 4 juillet 2018 prévoient la possibilité pour l'expert de réviser son avis en fonction des observations qui suivront de la part des parties. Elle se prévaut en outre de l'avis de l'expert précédemment désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise dans le cadre d'une expertise préventive et de l'avis de l'expert qu'elle a elle-même requis afin de démontrer que les conclusions de M. C... sont fausses. Toutefois, ces considérations, relatives au bien-fondé du pré-rapport, ne peuvent être utilement invoquées dans le cadre d'une demande de récusation dès lors qu'elles ne révèlent pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, un acharnement à son encontre.

11. En troisième lieu, la société requérante reproche à l'expert d'avoir recouru à des méthodes trompeuses et d'apporter sur ce point des explications " abracadabrantes ". Toutefois, la critique de la méthode d'analyse de l'expert s'agissant des largeurs de passe au regard de l'analyse faite par son propre expert, tout comme la critique du choix allégué de l'expert de recourir à une citation tronquée pour faire réagir les parties, ont trait à la méthode d'investigation de l'expert et ne sont pas de nature à révéler une cause de récusation. En outre, si l'expert a reconnu avoir tronqué une citation de l'avis du bureau de contrôle pour provoquer un échange entre les parties, ce procédé ne suffit nullement à mettre en doute son impartialité, eu égard à l'ensemble des développements contenus dans son document de synthèse du 12 mars 2019. Enfin, si l'expert n'a pas donné suite à une proposition de débat contradictoire entre les parties à la suite du jugement attaqué, les dispositions de l'article R. 621-6-2 du code de justice administrative lui imposent en tout état de cause de s'abstenir de toute opération jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de récusation.

12. En quatrième lieu et dernier lieu, si la société Francilienne de bâtiment fait valoir que l'expert s'est prononcé sur des questions de droit, qu'il a outrepassé le champ de sa mission et qu'il a refusé de se prononcer sur les préjudices qu'elles estiment avoir subis, le document de synthèse sur lequel elle fonde sa demande n'est pas le rapport définitif d'expertise. En tout état de cause, ces circonstances ne caractérisent nullement un manquement au devoir d'impartialité.

13. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir invoquées par l'OPH Clamart Habitat et la commune de Clamart, que les faits rapportés par la société requérante ne permettent pas d'établir qu'il existe une raison sérieuse de mettre en doute l'impartialité de l'expert.

En ce qui concerne les conclusions subsidiaires tendant au remplacement de l'expert :

14. La société Francilienne de bâtiment demande à titre subsidiaire qu'il soit procédé au remplacement de l'expert. Toutefois les dispositions précitées de l'article R. 621-4 du code de justice administrative ne prévoient un tel remplacement que si l'expert ne remplit pas sa mission ou ne dépose pas son rapport dans le délai fixé par la décision. Alors même que l'expert, dans son document de synthèse, ne se prononce pas sur les préjudices de la société Francilienne de bâtiment mais envisage d'examiner ceux de la commune de Clamart, cette circonstance ne suffit pas à établir que l'expert ne remplit pas sa mission au sens des dispositions précitées. Ainsi, les conclusions subsidiaires tendant au remplacement de l'expert doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à la suppression des passages injurieux, outrageants ou diffamatoires de la requête et au versement de dommages et intérêts :

15. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : / " (...) Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts (...) ".

16. Les passages des écritures de la société requérante dont la suppression est demandée n'excèdent pas le droit à la libre discussion et ne présentent pas un caractère injurieux. Les conclusions tendant à leur suppression doivent par suite être rejetées ainsi, par voie de conséquence, que les conclusions tendant au versement à la commune de Clamart d'un euro à titre de dommages et intérêts.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de la société requérante pour requête abusive :

17. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros. "

18. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner la société Francilienne de bâtiment au paiement d'une telle amende.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'OPH de Clamart et de la commune de Clamart, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de l'OPH de Clamart et de la commune, sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1903749 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il rejette les conclusions subsidiaires de la société Francilienne de bâtiment tendant au remplacement de l'expert.

Article 2 : Les conclusions subsidiaires de la société Francilienne de bâtiment et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.

N° 19VE02750 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02750
Date de la décision : 24/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-05-02 Procédure. Incidents. Récusation.


Composition du Tribunal
Président : M. CAMENEN
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: M. CLOT
Avocat(s) : DESSALCES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-06-24;19ve02750 ?
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