Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Laboratoire Seni a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge en droits, pénalités et intérêts, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été réclamées au titre de l'exercice 2010.
Par un jugement no 1805770 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2019, la SAS Laboratoire Seni, représentée par Me Guillot, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge de ces cotisations ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 2 413 euros, à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Laboratoire Seni soutient que :
- les dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;
- la garantie liée au débat oral et contradictoire n'a pas été respectée ;
- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;
- la Sarl AMS Studio lui a réellement fourni des prestations de sous-traitance et elle s'est elle-même dotée des moyens nécessaires à son activité de fabrication, de sorte que le crédit d'impôt recherche dont elle a bénéficié à bon droit lui a été repris à tort ;
- les pénalités pour manoeuvres frauduleuses dont elle a fait l'objet ne sont ni suffisamment motivées ni fondées, l'administration n'apportant pas la preuve dont la charge lui incombe de la réalité des manoeuvres alléguées.
........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... ;
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Laboratoire Seni, créée le 14 décembre 2010, a pour objet la fabrication de parfums et de produits pour la toilette. Elle a conclu, le jour de sa création, un contrat de collaboration avec la société AMS Studio, titulaire de l'agrément " bureau de style " délivré par le ministère de l'enseignement et de la recherche, dans le secteur " textile- habillement - cuir ". La relation d'affaires entre les deux sociétés avait pour objet la réalisation, pour la collection 2011, de modèles de contenants de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle. Un contrat de licence de fabrication et de distribution a parallèlement été conclu, le 28 décembre 2010, avec la Sarl Body One pour fabriquer et commercialiser ses modèles sous la marque " Body One ". La requérante a obtenu, par une décision du 17 mai 2011, le bénéfice d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 200 000 euros au titre de l'exercice 2010. Elle a ensuite fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, par une proposition de rectification du 28 janvier 2013, a remis en cause le crédit d'impôt recherche dont elle avait bénéficié et procédé à la rectification correspondante en matière d'impôt sur les sociétés. Cette rectification a été a assortie d'une majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I.- Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) / II.- Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) / 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que la vérification de la comptabilité de la société requérante s'est déroulée sur place du 9 novembre 2011 au 27 janvier 2012, soit dans le délai de trois mois prévu par les dispositions susvisées. Dans le seul cadre de ces opérations, l'administration a pu constater qu'au cours de la période vérifiée, la SAS Laboratoire Seni ne fabriquait pas de marchandise, ni n'en réceptionnait ou n'en vendait, qu'elle n'exerçait aucune activité qui lui soit propre et qu'aucun flux financier n'avait été inscrit en comptabilité à l'exception du crédit d'impôt recherche qui lui a été alloué, de telle sorte que la réalité de l'activité de la SAS Laboratoire Seni n'était pas davantage établie que la réalité des prestations que la Sarl AMS Studio lui aurait fournies. A cet égard, l'administration a constaté que la facture émise par la Sarl AMS Studio à raison des prestations prétendument fournies à la requérante, d'un montant de 400 000 euros, peu détaillée et jamais acquittée par la SAS Laboratoire Seni, était dépourvue de toute contrepartie. L'administration a ainsi établi que cette facture présentait un caractère fictif et servait un schéma frauduleux destiné à justifier la déductibilité de charges fictives et, par voie de conséquence, du remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche injustifié.
4. Il suit de là, d'une part, que c'est à juste titre que l'administration a relevé dans sa
proposition de rectification que la comptabilité de la société requérante était dépourvue de toute valeur probante. Par suite, l'administration disposait du délai de six mois prévu par les dispositions précitées pour contrôler sur place les éléments comptables de la requérante, sans que, en tout état de cause, l'administration n'ait à l'avertir de ce que la durée de cette vérification ne se limiterait pas à trois mois, ni à justifier avoir pu déterminer à l'intérieur des trois premiers mois que la comptabilité n'était pas probante.
5. D'autre part, le service bénéficiant, à l'issue des opérations de contrôle sur place de la comptabilité de la requérante, de l'ensemble des éléments relatifs aux conditions d'exploitation de l'activité dont il a déduit le caractère fictif de la facture mentionnée, il s'est borné, dans le cadre des opérations de vérification diligentées sur la comptabilité de la Sarl AMS Studio, à examiner ces dernières factures sans procéder à une investigation destinée à l'examen des documents comptables de la requérante. La vérification de la comptabilité de la requérante n'a ainsi pas été prolongée par la vérification de la comptabilité de la Sarl AMS Studio. La circonstance que les opérations de vérification de la comptabilité de la Sarl AMS Studio se sont déroulées plus de six mois après le début de celles diligentées sur la comptabilité de la requérante n'entraîne donc pas de méconnaissance du délai prescrit par les dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, pas plus, au demeurant, que ne constitue une méconnaissance de l'obligation de débat oral et contradictoire la circonstance que n'ont pas été communiqués à la requérante les éléments recueillis dans le cadre de la vérification de la comptabilité de la Sarl AMS Studio, qui d'une part ne sont donc pas des éléments de sa propre comptabilité et d'autre part n'ont pas servi à fonder les rectifications.
6. Enfin, la SAS Laboratoire Seni soutient que la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet aurait eu une durée supérieure à trois mois, et même à six mois, en raison de la visite domiciliaire opérée dans ses locaux le 19 avril 2012, à la suite de quoi des documents ont été saisis qui ne lui ont été restitués que le 13 juin 2012, ainsi que de visites domiciliaires dans les locaux des entreprises AMS Studio et Body One, avec lesquelles elle est en relation. Toutefois, aucune disposition légale ou réglementaire, ni aucun principe général du droit n'interdisait à l'administration de procéder à une visite domiciliaire par application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales postérieurement à la vérification de comptabilité. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait utilisé des informations recueillies au cours de ces visites domiciliaires pour fonder la reprise du crédit d'impôt accordé à la société requérante, de telle sorte que, au demeurant, la SAS Laboratoire Seni n'est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu du fait que des informations obtenues dans le cadre des visites domiciliaires auraient été utilisées pour fonder les rectifications sans donner lieu à un débat oral avec le vérificateur.
7. Il résulte de ce qui précède que le délai de six mois dont disposait l'administration pour effectuer ses opérations de contrôle sur place n'a pas été méconnu et que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales doit être écarté en toutes ses branches.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales :
" L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Ces dispositions mettent à la charge de l'administration une obligation d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers en vue de fonder l'imposition, et une obligation de lui communiquer, à sa demande, ces renseignements afin de le mettre à même d'en discuter l'authenticité et la teneur.
9. D'une part, s'agissant de l'obligation d'information, il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification adressée à la société requérante qu'elle a été clairement informée de l'origine et de la teneur des informations obtenues de tiers par l'indication des informations susceptibles de lui être opposées. D'autre part, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que l'administration aurait refusé de lui communiquer, malgré la demande qu'elle a faite en ce sens, les documents obtenus dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, pour soutenir que les dispositions de l'article L.76 B ont été méconnues, la communication des documents obtenus dans le cadre d'une visite domiciliaire ne relevant pas du droit de communication de pièces obtenues de tiers. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit ainsi être écarté en ses deux branches.
10. En troisième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la doctrine administrative qu'elle invoque pour contester la régularité de la procédure d'établissement des impositions supplémentaires en litige.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
11. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies , 44 duodecies, 44 terdecies et 44 quaterdecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. / Le taux de 30 % mentionné au premier alinéa est porté à 50 % et 40 % au titre respectivement de la première et de la deuxième année qui suivent l'expiration d'une période de cinq années consécutives au titre desquelles l'entreprise n'a pas bénéficié du crédit d'impôt et à condition qu'il n'existe aucun lien de dépendance au sens du 12 de l'article 39 entre cette entreprise et une autre entreprise ayant bénéficié du crédit d'impôt au cours de la même période de cinq années. (...) ".
12. La requérante a sollicité le 5 mai 2011 et obtenu le 17 mai suivant, au titre de l'année 2010, le remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 200 000 euros pour des dépenses de " conception et de design ", exclusivement fondées sur la facture établie par la SARL AMS Studio. D'une part, ces dépenses de " conception et de design ", au demeurant sans lien avec le secteur " textile - habillement - cuir " dont relève l'activité agréée de la Sarl AMS Studio, ne correspondent pas à des frais de recherche ou de développement expérimental au sens des dispositions citées au point précédent. D'autre part et surtout, ces dépenses présentent un caractère fictif, comme exposé au point 3 ci-dessus, circonstance faisant à elle seule obstacle à ce que la société requérante puisse prétendre au crédit d'impôt pour dépenses de recherche sollicité. Par suite, l'administration était fondée à en réclamer la restitution à la SAS Laboratoire Seni.
Sur les pénalités :
13. D'une part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. ".
14. Il résulte des termes de la proposition de rectification que l'application de cette pénalité est suffisamment motivée par l'existence d'un schéma frauduleux dont a fait usage la société requérante pour justifier du remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche injustifié. Au demeurant, il résulte des éléments rappelés ci-dessus que l'administration a suffisamment démontré l'existence de ce schéma frauduleux. Dès lors, la société requérante, qui ne soutient valablement ni que les pénalités querellées ne sont pas suffisamment motivées ni qu'elles ne sont pas justifiées, n'est pas fondée à en demander la décharge.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Laboratoire Seni est rejetée.
2
N° 19VE02981