Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Danone et la SA Compagnie Gervais Danone ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement du déficit reportable du groupe d'intégration fiscale auquel elles appartiennent, à hauteur de 30 308 649 euros, au titre de l'exercice clos en 2011.
Par un jugement n° 1800845 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2019 et le 28 février 2020, la SAS Danone et la SA Compagnie Gervais Danone, représentées par Me Rutschmann, avocat, demandent à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de rétablir le déficit constaté au niveau du groupe au titre de l'exercice clos en 2011 ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la subvention versée par la SA Compagnie Gervais Danone à sa filiale turque Danone Tikvesli ne constitue pas un acte anormal de gestion dès lors que, nonobstant sa participation minoritaire, seule la SA Compagnie Gervais Danone, tête de pont de la division " produits laitiers frais " du groupe Danone, avait intérêt à verser cette subvention à sa filiale avec laquelle elle est liée par un contrat de licence exclusive de production et commercialisation de produits laitiers sous sa marque en Turquie ; la SA Compagnie Gervais Danone avait intérêt à venir en aide à sa filiale pour garantir ses redevances, la valeur de ses droits incorporels et l'image de la marque, tandis que l'actionnaire majoritaire, qui dépend de la division " eaux " du groupe, n'entretient aucune relation opérationnelle avec la société Danone Tikvesli ; c'est à tort que le tribunal a considéré que la subvention en litige présentait un caractère financier alors qu'elle était justifiée par l'intérêt commercial propre de la SA Compagnie Gervais Danone ;
- l'aide consentie constitue une charge déductible dès lors qu'elle est justifiée par des contreparties, eu égard, d'une part, à l'importance stratégique du marché turc, à son fort potentiel de développement, à l'obligation pour une marque de renommée internationale d'être présente sur ce marché et à l'impératif de préservation du renom de la marque, d'autre part, à la nécessité d'assurer la pérennité de ses flux de redevances dans un contexte de forte croissance ;
- en estimant que l'administration établissait l'existence d'un acte anormal de gestion alors qu'elle se bornait à critiquer par des affirmations générales ces justifications précises et circonstanciées, les premiers juges ont inversé la charge de la preuve.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... ;
- les conclusions de M. Met, rapporteur public ;
- les observations de Me B..., pour la SAS Danone et la SA Compagnie Gervais Danone.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Compagnie Gervais Danone a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment remis en cause la déduction d'une subvention de 88 millions de livres turques (39 148 346 euros) consentie à la société turque Danone Tikvesli, dans laquelle elle détient une participation minoritaire. L'interlocuteur départemental a ramené à 30 308 649 euros la part non déductible de cette subvention, admise à concurrence du pourcentage de participation de la SA Compagnie Gervais Danone dans le capital de la société Danone Tikvesli. La SA Compagnie Gervais Danone et la SAS Danone, tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la SA Compagnie Gervais Danone, relèvent appel du jugement du 9 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande de rétablissement, à hauteur de cette somme, du déficit reportable constaté au titre de l'exercice clos en 2011 au niveau du groupe.
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les abandons de créances et subventions accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créance consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion. Toutefois, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
3. En l'espèce, la SA Compagnie Gervais Danone a porté en comptabilité au titre de l'exercice clos en 2011 une subvention enregistrée sous la dénomination " loss compensation Danone Tikvesli ", versée à sa filiale turque confrontée à des difficultés financières caractérisées par une situation nette négative de près de 40 millions d'euros au 31 décembre 2010, situation déficitaire incompatible avec la règlementation turque. La déductibilité en charge de cette aide a été admise, à proportion de la participation de 22,58 % détenue par la SA Compagnie Gervais Danone dans cette société. Pour justifier de son intérêt commercial à prendre en charge la totalité de la subvention destinée à compenser les pertes de sa filiale, la Compagnie Gervais Danone fait valoir qu'elle devait impérativement rester présente sur le marché turc des produits laitiers, marché d'importance stratégique à fort potentiel de développement, afin de préserver le renom international de la marque, et qu'elle escomptait de sa filiale des redevances dans un contexte de forte croissance. Toutefois l'actionnaire majoritaire à 77,48 %, la société Danone Hayat Icecek, société de droit turque détenue à 100 % par la société Holding internationale de boisson, société tête de pont de la division " eaux " du groupe Danone, avait tout autant intérêt financier à la préservation du renom de la marque, de sorte que ce motif n'est pas propre à justifier que la charge du refinancement de la société Danone Tikvesli ait dû être exclusivement supportée par la SA Compagnie Gervais Danone. Si les sociétés requérantes se prévalent de l'importance stratégique du marché turc des produits laitiers, eu égard aux habitudes alimentaires turques, à sa croissance démographique, au taux de croissance du PIB du pays et à ses exportations vers le Moyen-Orient, les extraits de deux articles de presse de 2011 et 2015 et le tableau chiffré non daté qu'elles produisent pour en justifier ne permettent pas de tenir pour établies les perspectives de croissance alléguées. En outre, ces considérations d'ordre général sont contredites, ainsi que le fait valoir l'administration, par les résultats de l'exploitation par la société Danone Tikvesli de son contrat de licence exclusive de production et distribution des produits laitiers des marques du groupe Danone, dès lors qu'il est constant que la SA Compagnie Gervais Danone n'a perçu aucune redevance de sa filiale depuis l'acquisition de celle-ci en 1998. Si la société requérante fait valoir qu'elle a perçu des redevances à partir de 2017, cette circonstance, au demeurant postérieure aux années d'imposition, n'est pas de nature à justifier l'aide consentie, les redevances reçues étant en outre, ainsi que l'a relevé le tribunal, sans commune mesure avec la subvention de plus de 39 millions d'euros versée en 2011. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve de ce que, les contreparties attendues n'étant pas de nature à justifier l'intérêt commercial de la SA Compagnie Gervais Danone à consentir cette aide à la société Danone Tikvesli, cette subvention constituait, pour la fraction excédant sa participation, un acte anormal de gestion.
4. Il résulte de ce qui précède que la SAS Danone et la SA Compagnie Gervais Danone ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. La requête doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête des sociétés SAS Danone et SA Compagnie Gervais Danone est rejetée.
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N° 19VE02447