Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes, la société Eye Shelter a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont elle disposait, d'une part, au titre de la période du 19 mars au 31 décembre 2012 pour un montant de 1 292 592 euros et, d'autre part, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013 pour un montant de 1 092 954,81 euros.
Par un jugement n°1409770,1501714 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes de la société Eye Shelter.
Première procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 septembre 2015, présentée par Me E..., avocat, la société Eye Shelter a demandé à la cour d'annuler ce jugement, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne sur la méconnaissance des principes de proportionnalité et de neutralité, de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont elle disposait au titre de la période du 19 mars au 31 décembre 2012 pour un montant de 1 292 592 euros et au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013 pour un montant de 1 092 954,81 euros et de mettre à la charge de l'État la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutenait que :
- le jugement du tribunal administratif est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas statué sur un moyen tiré de ce que l'omission ou l'inexactitude de l'une des mentions obligatoires n'entraîne pas nécessairement la remise en cause de la validité d'une facture ; par ailleurs, le tribunal administratif n'a pas statué sur la possibilité pour la France de retenir une dispense à l'application de l'article 230 de la directive taxe sur la valeur ajoutée et de déroger à ses principes sur le fondement de l'article 272 de cette directive ;
- le IV de l'article 289 du code général des impôts pose des conditions moins strictes que celles prévues par l'article 230 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et la loi fiscale française autorise sur les factures la mention de la taxe sur la valeur ajoutée à payer, en devises étrangères et non en euros ;
- la doctrine administrative prend aussi en compte la possibilité de mentionner sur les factures de produits achetés la taxe sur la valeur ajoutée à payer en devises étrangères ; l'instruction BOI 3 CA spécial n° 136 du 7 août 2003 précise ainsi que la taxe à payer peut être déterminée en euros en utilisant le mécanisme de conversion prévu au 1 bis de l'article 266 du code général des impôts ; cette instruction précise encore que la seule omission ou inexactitude d'une des mentions obligatoires n'entraine pas nécessairement la remise en cause de la validité d'une facture pour l'exercice des droits à déduction dès lors que l'opération est justifiée dans sa réalité et qu'elle satisfait aux autres conditions posées pour l'exercice du droit à déduction ; la doctrine administrative n'est pas modifiée depuis le 12 septembre 2012 dès lors qu'elle est reprise dans le BOFIP avec le BOI-TVA-DED-40-10-10 n°55.
- la 6ème directive européenne prévoit un certain nombre de dérogations à l'article 230 que la France n'a pas entendu écarter.
- en raison du principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne pouvait être assujettie deux fois à la taxe sur la valeur ajoutée; il existe certes une possibilité de régularisation par l'émission de factures rectificatives mais uniquement pour des sociétés françaises ; aucune procédure de régularisation n'existe pour des sociétés étrangères étant donné le délai qui leur est imposé ; le principe de proportionnalité interdit, pour éviter les fraudes, d'aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs, et notamment, de refuser de prendre en compte une taxe sur la valeur ajoutée libellée entièrement en devises étrangères ;
- la cour posera une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, sur le point de savoir si les principes de neutralité et de proportionnalité s'opposent à ce qu'une disposition nationale permette à l'administration de refuser à un acteur économique d'un autre État membre le remboursement de la taxe acquittée sur les produits au motif que les factures ont été libellées en dollars par le fournisseur étranger.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire en réplique, enregistré le 13 décembre 2017, a été présenté, pour la société Eye Shelter, par Me E..., postérieurement à la clôture automatique de l'instruction
Par un arrêt n° 15VE02989 du 28 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Eye Shelter.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par une décision n° 420251 du 15 novembre 2019, le Conseil d'État statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Eye Shelter, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée le 20 novembre 2019 sous le n°19VE03856.
Seconde procédure devant la cour :
Par des mémoires, enregistrés les 14 janvier et 26 février 2020, la société Eye Shelter, représentée par Me D..., avocat, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible dont elle disposait au titre de la période du 19 mars au 31 décembre 2012 pour un montant de 1 292 592 euros et au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013 pour un montant de 1 092 954,81 euros, avec application des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
3°) de mettre à la charge de l'État les dépens et la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Eye Shelter soutient que :
- elle n'était pas tenue de s'identifier à la taxe sur la valeur ajoutée en France en application de l'article 286 ter du code général des impôts dès lors qu'elle ne réalise pas en France d'opérations lui ouvrant droit à déduction ; par suite, la taxe sur la valeur ajoutée ne lui a pas été facturée à tort et ses demandes de remboursement fondées sur l'article 242-0 N de l'annexe II du code général des impôts sont recevables ;
- en ce qui concerne la période du 1er janvier 2012 au 30 septembre 2012, la taxe sur la valeur ajoutée a été facturée par la société Alcon Pharmaceuticals en application du régime dit du " répondant " conformément à la doctrine 3 A-9-06 publiée au BOI n°105 du 23 juin 2006 ; la société n'avait donc pas à auto-liquider la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette période ;
- l'administration ne reproche désormais plus aux factures établies par la société Alcon Pharmaceuticals d'être libellées en dollars américains alors au demeurant qu'elle avait justifié du taux de change appliqué ;
- à titre subsidiaire, elle est dans l'impossibilité d'obtenir le remboursement de la taxe indument versée à son cocontractant, dès lors que l'action en répétition de l'indu, soumise au délai de prescription de droit commun applicable aux quasi-contrats prévu par l'article 2224 du code civil, soit cinq ans, est prescrite, et l'était déjà lorsque l'administration lui a opposé ce moyen, par son mémoire du 2 avril 2019 et relevait en outre du droit suisse et de la compétence exclusive des tribunaux de Zurich ;
- il n'existe aucun risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor public, dès lors que la taxe lui a bien été versée par Alcon Pharmaceuticals et que cette dernière ne peut plus récupérer la taxe sur la valeur ajoutée auprès du Trésor public du fait de l'expiration du délai de réclamation prévu par l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à statuer à hauteur de la somme de 1 833 682 euros et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'irrecevabilité en la forme des factures présentées est abandonné, les tableaux de conversion des montants de taxe sollicité ayant été produits ;
- au titre de la période du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2012, l'immatriculation de la société n'avait plus lieu d'être et la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée était fondée ;
- au titre de la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2012, la demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée éventuellement dégagé relève de la procédure de droit commun ;
- les autres moyens soulevés par la société Eye Shelter ne sont pas fondés.
Par ordonnance du président de la 3ème chambre en date du 13 février 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 13 mars 2020 à 12 heures, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire en défense, présenté pour le ministre de l'action et des comptes publics a été enregistré le 1er février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me D..., pour la société Eye Shelter.
Considérant ce qui suit :
1. La société Eye Shelter, établie au Luxembourg, a acquis en France auprès de la société suisse Alcon Pharmaceuticals des produits de contactologie que cette dernière importe du Canada et fait reconditionner en France par un sous-traitant qui en outre les stocke. Ces produits ont ensuite été vendus par la société Eye Shelter à la société Menicon, établie aux Pays-Bas, qui les a elle-même revendus à des clients établis en France et dans d'autres États membres de l'Union européenne. Les 24 septembre 2013 et 1er octobre 2014, la société Eye Shelter a déposé deux demandes de restitution de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les achats facturés par la société Alcon Pharmaceuticals au titre, respectivement, de la période du 19 mars au 31 décembre 2012 et de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013. A la suite du rejet de ses réclamations, la société Eye Shelter a demandé le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée déductible d'un montant respectivement de 1 292 592 euros et de 1 092 954,81 euros. Par jugement du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes. La cour administrative d'appel de Versailles ayant rejeté l'appel formé par la société contre ce jugement, celle-ci s'est pourvue en cassation. Par une décision n°420251du 15 novembre 2019, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 10 février 2020, intervenue en cours d'instance, l'administration a prononcé un dégrèvement de la taxe sur la valeur ajoutée pour un montant total de 1 833 682 euros, correspondant à 740 727 euros au titre de la période du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2012 et à 1 092 955 euros, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2013. Les conclusions de la requête de la société Eye Shelter sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur le surplus des conclusions :
3. D'une part, aux termes du 1 de l'article 283 du code général des impôts, qui assure la transposition des dispositions des articles 194 et 195 de la directive 2006/115/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables, (...) / Toutefois, lorsqu'une livraison de biens (...) est effectuée par un assujetti établi hors de France, la taxe est acquittée par l'acquéreur, le destinataire ou le preneur qui agit en tant qu'assujetti et qui dispose d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France. (...) ". Aux termes de l'article 271 du même code, qui assure la transposition des dispositions de l'article 168 de la même directive 2006/115/CE : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : (...) c) Celle qui est acquittée par les redevables eux-mêmes lors de l'achat ou de la livraison à soi-même des biens ou des services ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque le régime de l'auto-liquidation s'applique, l'acquéreur d'un bien, qui est redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à cette opération, est en droit de déduire cette même taxe, de telle sorte que, en principe, aucun montant n'est dû à l'administration fiscale.
4. D'autre part, il résulte de la directive 2006/115/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 26 avril 2017 C-564/15 Tibor Farkas et son arrêt du 11 avril 2019 C-691/17 PORR Epitesi Kft., que, lorsque l'acquéreur d'un bien a versé par erreur au fournisseur la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, alors que, en application du régime de l'auto-liquidation, il aurait dû, en tant que bénéficiaire d'une livraison de biens, s'acquitter directement de la taxe sur la valeur ajoutée auprès des autorités fiscales, il ne peut pas se prévaloir d'un droit à déduction de la taxe acquittée à tort. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit, ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment versée. En l'absence de réglementation de l'Union en matière de demandes de restitution de taxes, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de prévoir les conditions dans lesquelles une telle demande peut être exercée. Conformément aux principes d'équivalence et d'effectivité, ces conditions ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables et fondées sur des dispositions du droit interne, ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice, par l'acquéreur des biens, des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union. Si le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du vendeur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse diriger sa demande de restitution directement contre les autorités fiscales. Enfin, lorsque le non-respect des règles du régime de l'auto-liquidation entraîne un risque de perte de recettes fiscales pour l'État membre intéressé, ce dernier peut, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque d'une telle perte a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
5. Il résulte de ce qui précède que, pour déterminer si un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée en France relevant du régime de l'auto-liquidation est en droit d'obtenir, de la part des autorités fiscales françaises, la restitution de la taxe payée par erreur à son fournisseur, il y a lieu de rechercher s'il avait la faculté de demander à son fournisseur le remboursement de la taxe payée à tort et si, mettant en oeuvre les procédures applicables, il lui est impossible ou s'avère excessivement difficile d'obtenir de son fournisseur le remboursement du montant indûment versé. Dans l'affirmative, les autorités fiscales françaises doivent procéder à la restitution demandée, pour autant qu'ait été au préalable éliminé tout risque d'un préjudice financier pour le Trésor public.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que dès lors que la société Eye Shelter effectuait de la revente de biens en France et sans transport à la société Menicon Holding BV, elle devait collecter la taxe sur la valeur ajoutée auprès de l'acquéreur ou du preneur suivant le régime normal de recouvrement de la taxe, aussi longtemps que son propre client n'était pas lui-même immatriculé à la taxe sur la valeur ajoutée en France. Dans ces conditions, la société requérante, qui aurait dû légalement disposer d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France, relevait du régime de l'auto-liquidation prévu par les dispositions du deuxième alinéa du 1 de l'article 283 du code général des impôts, nonobstant son absence d'identification spontanée à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle devait ainsi procéder à une autoliquidation de cette taxe, en s'en acquittant auprès du service des impôts des entreprises étrangères de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux, plutôt que de payer la taxe mentionnée, à tort, sur les factures émises, pour ses ventes imposables en France, par la société Alcon Pharmaceuticals, laquelle est un assujetti hors de France.
7. Par ailleurs, si la société Eye Shelter se prévaut, sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, du régime dit " du répondant ", prévu par la doctrine de base 3 A-9-06 publiée au BOI n°105 du 23 juin 2006, lequel, en vigueur jusqu'au 1er octobre 2012, permettait, par dérogation au mécanisme d'auto-liquidation de la taxe par le client, que la taxe légalement due par le client identifié à la taxe sur la valeur ajoutée en France soit déclarée et acquittée, au nom et pour le compte de celui-ci, par le vendeur, sous réserve notamment que celui-ci ait désigné, à titre de " répondant ", un assujetti établi en France accrédité. Toutefois, et ainsi que le fait valoir l'administration, ce dispositif ne saurait bénéficier à la société requérante, laquelle ne dispose pas d'un numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France.
8. En deuxième lieu, il est toutefois constant que la société Alcon Pharmaceuticals a bien versé la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse au Trésor public, lequel n'est donc pas susceptible de subir un préjudice financier du fait du remboursement sollicité. Par ailleurs, la société Eye Shelter fait valoir, sans être sérieusement contestée, que la société Alcon Pharmaceuticals, qui n'est plus recevable à former une réclamation en raison de l'expiration du délai de l'article R.* 196-1 du livre des procédures fiscales, en vue de récupérer auprès du Trésor public la taxe perçue à tort par ce dernier, ne saurait spontanément procéder à son remboursement au risque d'en supporter définitivement la charge. En outre, et à supposer même que la société luxembourgeoise requérante ait pu intenter avec succès une action régie par le droit civil français à l'encontre de la société suisse, pays sous la juridiction de laquelle les deux parties se sont contractuellement placées pour régler leurs éventuels différends, il résulte de l'instruction qu'à la date à laquelle, par l'arrêt censuré, l'application du régime de l'auto-liquidation à la société Eye Shelter est devenue certaine, le délai de prescription de droit commun applicable en matière quasi-contractuelle prévu par l'article 2224 du code civil, soit cinq ans, était, en tout état de cause, acquis et ne permettait plus à la société Eye Shelter d'agir à l'égard de son cocontractant, étant par ailleurs relevé que ce n'est que par sa décision du 26 avril 2017 complétée par celle du 11 avril 2019, précitées, que la CJUE s'est prononcée sur les conditions de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée indûment versée par l'acquéreur à son fournisseur dans le cadre d'une opération relevant d'un mécanisme d'auto-liquidation. Dans les circonstances particulières de l'espèce, et dès lors qu'eu égard au délai écoulé à raison même de l'instance juridictionnelle qui a en révélé le fondement, une telle action a toutes les chances de s'avérer infructueuse, la société Eye Shelter doit être regardée comme établissant qu'il était impossible ou excessivement difficile pour elle d'obtenir auprès d'Alcon Pharmaceuticals le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à tort.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, que la société Eye Shelter est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible correspondant à la période du 1er janvier au 30 juin 2012, soit la somme de 551 865 euros.
Sur la demande d'intérêts moratoires :
10. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de remboursements effectués en raison de dégrèvements ou de restitution d'impôt prononcés par une juridiction, les intérêts moratoires dus au contribuable sont, conformément aux dispositions de l'article R. 208-1 du même livre, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées au contribuable par le comptable chargé du recouvrement des impôts ". La société Eye Shelter ne fait état d'aucun litige né et actuel avec le comptable compétent pour procéder au paiement des intérêts dus sur le fondement de ces dispositions. Dès lors, ses conclusions tendant au paiement de ces intérêts sont sans objet et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à la société Eye Shelter de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Eye Shelter à concurrence de la somme de 1 833 682 euros.
Article 2 : L'État restituera à la société Eye Shelter la somme de 551 865 euros au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée déductible correspondant à la période du 1er janvier au 30 juin 2012.
Article 3 : Le jugement n° 1409770-1501714 du 10 juillet 2015 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à la société Eye Shelter la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Eye Shelter est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eye Shelter et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 25 mai 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
Mme C..., première conseillère,
Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juin 2021.
La rapporteure,
M.-G. C...La présidente,
I. Danielian
La greffière,
A. FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 19VE03856