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28/05/2021 | FRANCE | N°18VE03047

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 28 mai 2021, 18VE03047


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 17 janvier 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de la 9ème section de la Seine-Saint-Denis a autorisé son licenciement et, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1702355 du 27 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil, faisant partiellement droit à sa demande, a annulé cette décision, a mis

la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 17 janvier 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de la 9ème section de la Seine-Saint-Denis a autorisé son licenciement et, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1702355 du 27 juin 2018, le tribunal administratif de Montreuil, faisant partiellement droit à sa demande, a annulé cette décision, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 août 2018 et des mémoires enregistrés les 15 juillet 2020 et 13 novembre 2020, la société Worldnet, représentée par Me Manca, avocat, demande à la cour, selon ses dernières écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Montreuil ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- le tribunal administratif a commis une erreur dans l'appréciation des faits en retenant qu'il existe un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de Mme D... ;

- le tribunal administratif a estimé à bon droit, premièrement que la procédure de recrutement n'est entachée d'aucun vice de procédure, deuxièmement que les faits fautifs commis par l'intéressée, n'étaient pas prescrits le 15 novembre 2016, date d'engagement de la procédure disciplinaire par la convocation de Mme D... à l'entretien préalable au licenciement et troisièmement, que l'inspecteur du travail a exactement qualifié les faits en estimant qu'ils étaient suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement ;

- il n'existe pas de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de Mme D....

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme K...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- les observations de Me A..., substituant Me C..., pour la société Worldnet International, accompagnée de deux représentants de la société requérante, et les observations de Me H..., pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... D... a été embauchée le 12 novembre 2013 par la société Worldnet International, une entreprise de transports, en qualité de commerciale consultante, en contrat à durée indéterminée. Le 26 avril 2016, Mme D... a été élue déléguée du personnel. La société Worldnet a demandé le 30 novembre 2016 à l'inspecteur du travail de la 9ème section de l'unité départementale de la Seine-Saint-Denis, l'autorisation de la licencier pour faute grave. Par décision du 17 janvier 2017, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. Mme D... a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Montreuil, qui a fait droit à sa demande par le jugement attaqué dont la société Worldnet relève appel.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En unique lieu, la société Worldnet soutient que le tribunal administratif aurait commis une erreur dans l'appréciation des faits, en retenant l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de Mme D.... Ce moyen relève toutefois du bien-fondé du jugement attaqué et non de sa régularité. Il doit être écarté pour ce motif.

Sur les conclusions en annulation :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. L'autorité administrative ne peut légalement faire droit à une telle demande d'autorisation de licenciement que si l'ensemble de ces exigences sont remplies.

4. Pour annuler la décision d'autorisation de licenciement en litige, les premiers juges, après avoir écarté le moyen de légalité externe tiré du vice de procédure et estimé que les faits fautifs, qui n'étaient pas prescrits, revêtaient un caractère suffisamment grave pour justifier le licenciement envisagé, ont toutefois retenu l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de déléguée du personnel détenu par Mme D... et en ont conclu que l'inspecteur du travail aurait dû, dans ces conditions, refuser l'autorisation de licenciement.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier, que Mme D... était employée, depuis novembre 2013, en qualité de commerciale consultante par la société Worldnet, au sein de laquelle n'existait aucune représentation syndicale et ce jusqu'en avril 2016, l'intéressée ayant alors organisé des élections du personnel à cette fin. Elle s'y est présentée et a été élue déléguée du personnel titulaire, l'effectif de l'entreprise étant alors de 22 salariés selon les déclarations faites à la barre par les représentants de la société. Mme D... établit, par de nombreux documents concordants et sans être sérieusement contestée, que des entraves à l'exercice de l'activité syndicale ont été mises en place avant, pendant et après lesdites élections du personnel. En effet premièrement, il ressort en particulier des attestations de Mme G... et de M. L..., employés depuis plusieurs années, que le 26 avril 2016 jour des élections, les responsables de la société sont venus voir tous les employés pour leur demander de ne pas voter pour Mme D.... Il s'agissait ainsi d'organiser le boycott du premier tour de ces élections professionnelles, auquel seules les personnes syndiquées pouvaient candidater pour être représentant titulaire, et auquel seule Mme D... se présentait, afin qu'un second tour puisse se tenir, à l'occasion duquel l'encadrement aurait présenté " son " candidat, non syndiqué. Par la suite, Mme D... a été en butte à des remarques désobligeantes, en mai et juin 2016, particulièrement lorsqu'elle s'occupait de l'affichage sur le tableau syndical. Deuxièmement, Mme D... établit qu'elle ne figurait plus sur l'organigramme de la société en mai 2016, postérieurement à son élection et la société Worldnet ne la contredit pas sérieusement en se bornant à produire un organigramme qui selon ses propres écritures, est un " document de travail qui n'a jamais été transmis aux salariés ni affiché dans les locaux ". Troisièmement, Mme D... a déposé plainte devant un officier de police judiciaire, le 3 juin 2016, pour des faits de dénigrement et menaces verbales de la part de deux responsables, Mme I... et M. B..., dans " l'open space " de l'entreprise, à l'issue d'une réunion tenue devant cinq salariés, le vendredi 3 juin 2016. Quatrièmement, si la société Worldnet fait valoir que les deux protagonistes de cet incident, Mmes D... et I..., ont été rappelées à l'ordre et se sont vues notifier un avertissement, il est toutefois constant que seule Mme D... s'est vue notifier ladite sanction, à raison de son comportement fautif lors de cette réunion, par courrier recommandé avec accusé de réception du 31 août 2016 et que l'employeur ne produit aucun commencement de preuve quant à la notification d'un avertissement à Mme I.... Cinquièmement, il ressort du compte-rendu d'entretien de Mme D... du 16 juin 2016, avec un consultant de l'entreprise Deloitte, que celle-ci a exposé les problèmes personnels qu'elle traversait à raison de son rôle syndical, en soulignant en particulier " quand je me suis présentée aux élections, Valériane (I...) et Yamina (Khettab) ont donné des consignes de non-vote (...) les responsables font bloc contre tous ceux qui osent parler ". Enfin, il ressort des témoignages et attestations de Mmes J..., E... et G..., ainsi que de ceux de M. L... et M. M..., tous concordants, que des superviseurs de l'entreprise, dont Mme I... qui était la responsable de Mme D..., ont affirmé, postérieurement à la tenue des élections professionnelles et devant des salariés, qu'ils ne répondraient plus aux appels ou aux courriers électroniques de Mme D..., ce qu'ils ont d'ailleurs mis en pratique, de façon dirimante pour la bonne marche de l'activité de prospection commerciale de l'intéressée.

6. D'autre part, s'agissant plus précisément de la procédure contradictoire qui a précédé l'édiction de la décision d'autorisation de licenciement, prise le 17 janvier 2017, il ressort de l'examen des observations contradictoires adressées le 29 décembre 2016 par Mme D... à l'inspecteur du travail, qu'elle écrit : " mon employeur ne cesse de me harceler tant sur le plan psychologique que sur le plan du travail depuis que j'ai proposé l'organisation des élections des délégués du personnel (...) pour preuve (...) le compte-rendu d'audit effectué par le cabinet Deloitte (...) ", ledit compte-rendu d'audit ayant été produit au cours de l'enquête contradictoire précédant le licenciement. L'audit du cabinet Deloitte s'est déroulé en juin 2016 et le compte-rendu d'audit, rendu en août 2016, est fondé sur l'analyse, notamment, des informations recueillies de la part des salariés de Worldnet et en particulier sur l'audition de Mme D..., au cours de laquelle elle a mentionné très clairement l'existence de discriminations à son encontre " depuis qu'elle s'est présentée aux élections ". Dans ces conditions, l'inspecteur du travail était averti, dans le cadre de l'enquête contradictoire et au minimum 18 jours avant de prendre la décision de licenciement litigieuse, des éléments susmentionnés relatifs à des faits de discrimination syndicale. Par suite, c'est en commettant une erreur de droit qu'il a pris cette décision en écartant, de sa propre initiative, les indices supplémentaires de discrimination syndicale qui étaient ainsi apparus pendant l'enquête contradictoire, ce motif faisant, à lui seul, obstacle à ce que l'inspecteur du travail puisse légalement accorder l'autorisation de licenciement sollicitée.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la société Worldnet n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, annulant la décision du 17 janvier 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de la 9ème section de la Seine-Saint-Denis a autorisé le licenciement de Mme D..., salariée protégée. Il suit de là que ses conclusions en annulation doivent être rejetées, ainsi par voie de conséquence, que ses conclusions afin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Worldnet une somme de 2 000 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Worldnet est rejetée.

Article 2 : La société Worldnet versera une somme de 2 000 euros à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme D... est rejeté.

N° 18VE03047 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03047
Date de la décision : 28/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Illégalité du licenciement en rapport avec le mandat ou les fonctions représentatives.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Marie-Cécile MOULIN-ZYS
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SCP AUGUST et DEBOUZY ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-05-28;18ve03047 ?
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