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22/04/2021 | FRANCE | N°20VE03047

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 22 avril 2021, 20VE03047


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 12 décembre 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet, acquise le 29 octobre 2018, du recours hiérarchique formé par la société par actions simplifiée (SAS) SKF France contre la décision refusant de délivrer l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire prise le 31 mai 2018 par la responsable d'unité de contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concu

rrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-Fra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 12 décembre 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet, acquise le 29 octobre 2018, du recours hiérarchique formé par la société par actions simplifiée (SAS) SKF France contre la décision refusant de délivrer l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire prise le 31 mai 2018 par la responsable d'unité de contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France, a annulé ce refus et a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1901114 du 8 octobre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 25 novembre 2020 et le 24 février 2021, M. F... E..., représenté par Me B..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 12 décembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal ne pouvait écarter comme irrecevable le moyen lié à la notification et à l'exécution de la décision du ministre du travail qui caractérise un abus de droit et illustre le principe de non réotroactivité des actes administratifs, qui est d'ordre public ; il s'agit d'un moyen relatif au bien-fondé qui n'était pas irrecevable et il s'agit également d'un moyen d'ordre public ;

- le ministre chargé du travail n'a pas notifié la décision aux parties le même jour ; dès lors qu'il n'a retiré le courrier autorisant son licenciement que le 15 décembre 2018, il ne pouvait être licencié le 14 décembre ; un abus de droit a été commis puisqu'il a été privé de la possibilité de solliciter la suspension de la décision ; cela participe également de la violation du principe de non-rétroactivité des actes administratifs ;

- il aurait dû, conformément aux prescriptions de la circulaire DGT du 10 juillet 2012 s'assurer préalablement à son analyse de la matérialité et de la gravité des faits, que les faits étaient sanctionnables et que le licenciement n'était pas en réalité lié à la dénonciation des faits d'abus de confiance le 17 octobre 2017, peu important qu'il ne soit pas expressément fait référence à un tel motif dans la lettre de licenciement ;

- le mode de preuve n'est pas licite, le procès-verbal d'audition étant couvert par le secret de l'instruction ;

- l'autorisation administrative a été obtenue par fraude ;

- les faits ne sont pas matériellement établis ;

- les faits ne constituent pas un manquement à l'obligation de loyauté par le salarié ;

- les faits reprochés ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ; le climat social devait être pris en compte ; le ministre a, à tort, fait abstraction de l'absence de préjudice subi par la société et de l'absence de volonté de nuire ;

- il existe un lien entre les mandats et la demande de licenciement

.....................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour M. E... et de Me H..., substituant Me C..., pour la société SKF France.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... E... exerçait, au sein de la SAS SKF France, l'emploi de technicien " analyse de la concurrence ", et était titulaire des mandats de délégué du personnel suppléant, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de conseiller du salarié. Par une décision du 31 mai 2018, la responsable d'unité de contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France a rejeté la demande d'autorisation de licenciement présentée par la SAS SKF France. Le recours hiérarchique formé par l'employeur contre cette décision a été implicitement rejeté par la ministre du travail le 29 octobre 2018. Par une décision du 12 décembre 2018, la ministre du travail a retiré la décision implicite du 29 octobre 2018, a annulé ce refus et a autorisé ce licenciement. M. E... demande l'annulation du jugement en date du 8 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la ministre du 12 décembre 2018.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. /(...). ".

3. M. F... E... demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution de l'interprétation jurisprudentielle des dispositions de l'article R. 2421-5 du code du travail qui serait contraire au principe d'égalité devant la loi. Toutefois, les dispositions de l'article R. 2421-5, qui ont un caractère réglementaire, ne sont pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958. Ainsi, les dispositions contestées ne sont, en conséquence, pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. E... dans l'instance n° 20VE03047.

Sur la contestation du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d'autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l'objet au moment où elle est notifiée. ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. Elle est notifiée par lettre recommandée avec avis de réception : / 1° A l'employeur ; / 2° Au salarié ; / 3° A l'organisation syndicale intéressée lorsqu'il s'agit d'un délégué syndical. ". Il résulte de ces dispositions combinées qu'en cas de recours hiérarchique exercé par l'employeur, le licenciement du salarié ne peut intervenir qu'à compter de la notification de l'autorisation administrative à l'employeur. En revanche, la circonstance que l'employeur ait procédé au licenciement avant que le salarié protégé ait reçu notification de l'autorisation administrative est sans incidence sur la légalité de celle-ci. Par suite, le moyen tiré de ce que le licenciement serait intervenu avant réception par M. E... de la notification de la décision administrative ne peut qu'être écarté comme inopérant.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1132-3-3 du code du travail : " Aucune personne ne peut être écartée (...) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié (...) pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. / Aucune personne ne peut être écartée (...) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié (...) pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. / (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que, le 17 octobre 2017, M. E... a déposé, au nom de la société SKF France une plainte pour abus de confiance à l'encontre de M. I... D.... La demande d'autorisation de licenciement présentée le 6 avril 2018 par la SAS SKF France était exclusivement fondée sur le dépôt par le requérant, de cette plainte pénale au nom de cette société, en la mentionnant comme victime d'une infraction, sans disposer d'une délégation de pouvoir à cette fin, ni en avoir préalablement informé les dirigeants de la société, ni reçu l'autorisation de ces derniers. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur de droit que la ministre du travail a retenu que les faits reprochés n'étaient pas liés à la dénonciation d'un délit ou d'un crime et étaient passibles d'une sanction.

7. En troisième lieu, en vertu de l'article 15-3° du code de procédure pénale, si elle en fait la demande, une copie du procès-verbal de dépôt de plainte est remise à la victime de l'infraction pénale. Par ailleurs, aux termes de l'article 11 du même code : " Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. / Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. / (...) ".

8. Si M. E... soutient que le procès-verbal de sa plainte n'aurait pas dû être communiqué à la société et constitue un moyen de preuve illicite obtenu par fraude, en méconnaissance du secret de l'instruction, il est constant qu'il a déposé plainte au nom de la société. S'il soutient avoir tenté de modifier les mentions de ce procès-verbal, il ressort des pièces du dossier et en particulier de l'attestation de sa collègue et des lettres de son avocat, que ses tentatives sont postérieures au classement sans suite de la procédure. Dès lors, Mme G..., représentante de la société, était fondée à recevoir copie de ce procès-verbal à l'occasion de son audition le 13 décembre suivant et c'est sans commettre de fraude ni atteinte au secret de l'instruction que ce procès-verbal a pu être utilisé après le classement sans suite de la procédure par le parquet le 13 décembre 2017 et que la ministre du travail s'est fondée sur ce procès-verbal dans la décision attaquée du 12 décembre 2018.

9. En quatrième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives ou de fonctions de conseiller prud'homme, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. A ce dernier titre, des faits commis, même en dehors des heures de travail et alors que le salarié n'est pas sur son lieu de travail, peuvent caractériser une méconnaissance de l'obligation de loyauté découlant du contrat de travail.

10. Il ressort ce qui a été dit aux points 6 et 8 que, le 17 octobre 2017, M. E... a déposé plainte au nom de la société pour abus de confiance à l'encontre de M. I... D... sans disposer d'une délégation de pouvoir à cette fin, ni en avoir préalablement informé les dirigeants de la société, ni reçu l'autorisation de ces derniers. Ces faits commis, en dehors des heures de travail, caractérisent un manquement fautif à l'obligation de loyauté découlant de son contrat de travail. Si l'intéressé fait valoir que la société n'a pas subi de préjudice économique et que la volonté de nuire n'est pas démontrée, M. E... n'exerçait aucune fonction au comité d'établissement, connaissait l'absence de consentement des élus et des dirigeants de l'entreprise au dépôt d'une plainte, et avait une ancienneté de 28 ans au sein de l'entreprise qui était précisément de nature à lui conférer une conscience de la gravité de la démarche précisément engagée notamment au regard du climat social dans l'entreprise. Par ailleurs, l'intéressé avait déjà fait l'objet d'une mesure de mise à pied de 4 jours, prononcée le 22 novembre 2017, pour avoir, le 3 octobre 2017, manqué à son obligation de discrétion et entravé le bon déroulement d'une enquête, alors qu'il n'est pas contesté que des faits similaires avaient déjà donné lieu à un avertissement le 22 octobre 2017. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que les faits qui lui sont reprochés ne seraient pas fautifs et d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Le moyen tiré d'une erreur d'appréciation doit être écarté.

11. Si M. E... fait valoir qu'il est très impliqué dans l'exercice de ces mandats, qu'il a subi plusieurs tentatives de licenciement et qu'il a saisi le conseil des prud'hommes pour des faits de discrimination syndicale et de harcèlement moral, ces faits ne suffisent pas à établir de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats exercés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... E... n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée, au titre des mêmes dispositions, par la société SKF France.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. E... dans l'instance n° 20VE03047

Article 2 : La requête de M. F... E... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société SKF France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 20VE03047


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE03047
Date de la décision : 22/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : AARPI METIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-04-22;20ve03047 ?
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