Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 7 décembre 2017 du président de la Fédération française de cyclisme refusant la prise en charge du coût du contrôle antidopage effectué le 15 septembre 2017 par l'Agence française de lutte contre le dopage, pour l'homologation de la meilleure performance mondiale sur 500 mètres départ arrêté qu'il a réalisée lors du Championnat d'Europe Masters sur piste de Roubaix. Par une ordonnance n° 1902113 du 31 juillet 2019, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Lille a transmis le jugement de la requête de M. E... au tribunal administratif de Versailles.
Par une ordonnance n° 1906059 du 4 septembre 2019, le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 octobre 2019 et le 18 février 2020, M. E..., représenté par Me Duquesnoy, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler l'ordonnance attaquée ;
2° d'annuler la décision contestée ;
3° d'ordonner à la Fédération française de cyclisme de lui rembourser la somme de 680 euros ;
4° d'enjoindre à la Fédération française de cyclisme de modifier l'article 3.3.10 bis du règlement fédéral ;
5° de mettre à la charge de la Fédération française de cyclisme la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le président de la 9ème chambre du tribunal a rejeté sa demande pour tardiveté ; sa demande de première instance était recevable dès lors que la saisine à fin de conciliation du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) interrompt le délai de recours contentieux ; faute de mention des voies et délais de recours dans la décision attaquée, cette saisine a interrompu le délai de recours, alors même qu'elle a été présentée au-delà du délai de 15 jours prévu par l'article R. 141-15 du code du sport ; la saisine du CNOSF, et celle du tribunal, ont été effectuées dans un délai raisonnable ;
- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure du fait de l'absence de mention des voies et délais de recours ;
- l'article 3.3.10 bis du règlement fédéral, qui A... à la charge des licenciés les frais de contrôle anti-dopage pour l'homologation des meilleures performances réalisées par les sportifs des catégories masters, tandis qu'il prévoit la prise en charge par la fédération de ces frais pour les autres licenciés, est constitutif d'une discrimination par l'âge prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le protocole n° 12 annexé à cette convention, l'article 21.1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, l'article 225-1 du code pénal et l'article L. 100-1 du code du sport, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, principe constitutionnel posé par les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 1er ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son 12ème protocole additionnel ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le code du sport ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. A...,
- les observations de Me D..., pour la Fédération française de cyclisme.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a réalisé la meilleure performance mondiale sur 500 m départ arrêté, dans sa catégorie, lors du championnat d'Europe masters de cyclisme sur piste qui s'est tenu à Roubaix du 12 au 17 septembre 2017. Pour l'homologation de cette performance, l'Agence française de lutte contre le dopage, qui n'était pas présente sur cette manifestation, a été requise, à sa demande, par la Fédération française de cyclisme, afin de réaliser un contrôle anti-dopage. La Fédération française de cyclisme a transmis à M. E... la facture de 680 euros émise par l'Agence française de lutte contre le dopage. M. E... relève appel de l'ordonnance en date du 4 septembre 2019 par laquelle le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté comme irrecevable sa demande d'annulation de la décision du 7 décembre 2017 du président de la Fédération française de cyclisme refusant la prise en charge par la fédération du coût de cette intervention.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 141-5 du code du sport : " La saisine du comité à fin de conciliation constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts. " L'article R. 141-9 du même code dispose que : " La saisine du Comité national olympique et sportif français n'interrompt le délai de recours contentieux, en application de l'article R. 141-8 du présent code, que si elle est intervenue dans le délai prévu au premier alinéa de l'article R. 141-15. / L'interruption prend fin : / - en cas de rejet de la demande par application de l'article R. 141-16 du présent code à la date de la notification de ce rejet ; / - à compter de la notification à l'une des parties du refus de la conciliation émanant de l'autre partie, en application du deuxième alinéa de l'article R. 141-23 du présent code. " En vertu de l'article R. 141-15 de ce code, la demande de conciliation doit être effectuée dans les quinze jours suivant la notification ou la publication de la décision contestée.
4. Il ressort des pièces du dossier que le courrier d'accompagnement du chèque destiné à l'Agence française de lutte contre le dopage adressé le 13 décembre 2017 au président de la Fédération française de cyclisme par M. E..., dans lequel ce dernier conteste devoir supporter le coût de cette intervention, invoque une discrimination illégale et demande à la fédération d'infléchir sa position, peut être regardé comme un recours gracieux contre le mail du 7 décembre 2017 qui constitue la décision attaquée et qui ne comportait pas mention des voies et délais de recours. La décision du 2 février 2018 prise par le président de la fédération en réponse à ce recours gracieux ne comportait pas davantage la mention des voies et délais de recours. M. E... a contesté ces décisions le 26 avril 2018, en saisissant le Comité national olympique et sportif français aux fins de conciliation, soit dans le délai raisonnable d'un an, puis il a saisi le tribunal administratif de Lille le 12 mars 2019, moins d'un an après son opposition à la conciliation datée du 2 août 2018. La saisine du Comité national olympique et sportif français a interrompu le délai de recours dès lors que, les voies et délais de recours n'ayant pas été mentionnés, le délai de quinze jours prévu par l'article R. 141-15 du code du sport n'était pas opposable à la demande de conciliation de M. E.... Il s'ensuit que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que le président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande comme tardive et par suite manifestement irrecevable.
5. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Versailles.
Sur la légalité de la décision du 7 décembre 2017 :
En ce qui concerne la légalité externe :
6. Le défaut de mention des voies et délais de recours dans la décision attaquée est sans incidence sur sa légalité.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. D'une part, aux termes de l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement (...) de son âge (...) une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. (...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article 100-1 du code du sport : " Les activités physiques et sportives constituent un élément important de l'éducation, de la culture, de l'intégration et de la vie sociale. / Elles contribuent notamment à la lutte contre l'échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles, ainsi qu'à la santé. / La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d'intérêt général. (...) ". Aux termes de l'article L. 131-1 du même code " Les fédérations sportives ont pour objet l'organisation de la pratique d'une ou de plusieurs disciplines sportives (...) " et selon l'article L. 131-15 de ce code: " Les fédérations délégataires : / 1° Organisent les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux ; / 2° Procèdent aux sélections correspondantes ; / 3° Proposent un projet de performance fédéral constitué d'un programme d'excellence sportive et d'un programme d'accession au haut niveau qui comprennent, notamment, des mesures visant à favoriser la détection, y compris en dehors du territoire national, des sportifs susceptibles d'être inscrits sur les listes mentionnées au 4° ; / 4° Proposent l'inscription sur la liste des sportifs, entraîneurs, arbitres et juges sportifs de haut niveau, sur la liste des sportifs Espoirs et sur la liste des sportifs des collectifs nationaux " et selon l'article L. 131-16 : " Les fédérations délégataires édictent : 1° Les règles techniques propres à leur discipline ; 2° Les règlements relatifs à l'organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés ".
9. Aux termes de l'article 3.3.01 du règlement fédéral de la Fédération française de cyclisme : " Seuls les records pour les spécialités et les catégories ci-dessous sont reconnus. (...) / 500 m départ arrêté (... / Hommes de 19 ans et + / Femmes de 19 ans et + / Hommes juniors / Femmes juniors / Hommes cadets / Femmes cadettes. (...) ". L'article 3.3.10 bis dudit règlement dispose que : " Pour les records de France et du Monde réalisés par des licenciés de nationalité française, les frais afférents au contrôle anti-dopage restent à la charge de la FFC, si celle-ci (ou un de ses représentants) est intervenue auprès de l'AFLD à des fins de mise en place de ce contrôle. / Pour les meilleures performances françaises ou mondiales réalisées par des licenciés de nationalité française, les frais afférents au contrôle anti-dopage sont à la charge du licencié, si la FFC (ou un de ses représentants) est intervenue à des fins de mise en place de ce contrôle. (...) ". Et aux termes de l'article 3.3.18 du même règlement : " Aucun record du monde ou de France, ni meilleure performance mondiale ou française, ne pourra être homologué si le coureur en question ne subit pas le contrôle antidopage conduit selon le règlement du contrôle antidopage Français ou de l'UCI à l'issue de la course. (...) ".
10. M. E... fait valoir que la différence de traitement résultant de l'article 3.3.10 bis du règlement fédéral, qui laisse à la charge des licenciés les frais de contrôle antidopage afférents à l'homologation des meilleures performances françaises et mondiales réalisés par les licenciés des catégories masters, tandis que la Fédération française de cyclisme prend en charge ces frais s'agissant de l'homologation des records battus par les licenciés des catégories cadets, juniors et 19 ans et +, est constitutive d'une discrimination par l'âge, prohibée notamment par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Ce faisant, M. E... doit être regardé comme soulevant un moyen d'exception d'illégalité du règlement fédéral.
11. Il est constant qu'aucune disposition législative ou règlementaire n'impose à la Fédération française de cyclisme de prendre en charge les frais de contrôle antidopage préalables à l'homologation des performances sportives de ses licenciés. En instituant, par les dispositions rappelées au point 9, la prise en charge des frais relatifs aux records de France et mondiaux battus par les licenciés des catégories cadets, juniors et 19 ans et plus, la fédération a poursuivi un objectif légitime de promotion du sport de haut niveau chez les jeunes susceptibles d'intégrer l'équipe de France et de remporter des médailles en catégorie Elite ou aux Jeux olympiques. La différence objective de situation entre, d'une part, les licenciés des catégories cadets et juniors, qui sont mineurs, et 19 ans et plus, jeunes sportifs de haut niveau ayant vocation à intégrer l'équipe de France dont les records sont des records absolus, et d'autre part, les licenciés de 35 ans et plus, dont les meilleures performances par tranches de 5 ans de catégories d'âge sont potentiellement plus nombreuses et moins médiatisées, justifient la différence de traitement litigieuse. Il s'ensuit que le moyen d'exception d'illégalité du règlement fédéral de la Fédération française de cyclisme n'est pas fondé.
12. Il résulte de ce qui précède que la demande de M. E... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... la somme que la Fédération française de cyclisme demande au même titre.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1906059 du 4 septembre 2019, du président de la 9ème chambre du tribunal administratif de Versailles, est annulée.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Versailles et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la Fédération française de cyclisme tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 19VE03513