La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/04/2021 | FRANCE | N°18VE03712

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 12 avril 2021, 18VE03712


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement la commune de Linas, la communauté d'agglomération Paris Saclay et l'Etat à lui verser une indemnité de 138 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de sa propriété, une indemnité de 20 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence ainsi qu'une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1606587 en date du 23 octobre 2018, le tribunal adm

inistratif de Versailles a condamné la commune de Linas et l'Etat, solidairement, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement la commune de Linas, la communauté d'agglomération Paris Saclay et l'Etat à lui verser une indemnité de 138 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de sa propriété, une indemnité de 20 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence ainsi qu'une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1606587 en date du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Linas et l'Etat, solidairement, à verser à M. A... la somme de 20 000 (vingt mille) euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2018, M. F... A..., représenté par Me C..., avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1606587 en date du 23 octobre 2018 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation à la somme de 20 000 euros ;

2° de condamner solidairement la commune de Linas, la communauté d'agglomération Paris Saclay et l'Etat à lui verser les sommes suivantes :

- 138 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de sa propriété ;

- 20 000 euros au titre de son préjudice de troubles dans les conditions d'existence ;

- 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3° d'augmenter ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire rejetée par les collectivités défenderesses ;

4° de mettre solidairement à la charge de la commune de Linas, de la communauté d'agglomération Paris Saclay et de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commune de Linas a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à défaut d'avoir satisfait à ses obligations en matière d'accueil des gens du voyage ;

- le maire de la commune a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale ;

- le maire de la commune a commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale de l'urbanisme ;

- la communauté d'agglomération de Paris Saclay a manqué à ses obligations en matière de collecte et de traitements des déchets des ménages et déchets assimilés aux abords de sa propriété ;

- le préfet aurait dû pallier la carence du maire de Linas dans l'exercice de ses pouvoirs en se substituant à lui ;

- ces fautes lui ont causé plusieurs préjudices dont il est fondé à demander réparation, soit un préjudice de perte de valeur vénale de sa propriété, des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice moral.

...............................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., substituant Me C..., pour la communauté d'agglomération Paris Saclay et de Me D..., substituant Me E..., pour la commune de Linas.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... A..., qui est propriétaire d'une maison sise 41 chemin des Hauts Chupins à Linas depuis 1997, a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la communauté d'agglomération Paris Saclay, la commune de Linas et l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis depuis l'année 2000 liés à des dépôts de déchets et autres troubles du voisinage imputables à une communauté de gens du voyage installée à proximité immédiate de sa propriété. Par un jugement n° 1606587 en date du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Versailles a condamné la commune de Linas et l'Etat, solidairement, à verser à M. A... une somme de 20 000 euros en réparation de ces préjudices. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur la fin de non recevoir opposée par la commune de Linas et la communauté d'agglomération Paris Saclay en défense :

2. La requête de M. A... présente des conclusions dirigées contre le jugement attaqué et une critique de ce dernier. Elle satisfait donc aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir opposée par la commune de Linas et la communauté d'agglomération Paris Saclay en défense d'appel ne saurait donc être accueillie.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la communauté d'agglomération Paris Saclay :

3. M. A... ne conteste pas que la compétence en matière de collecte de déchets sur le territoire de la commune de Linas est exercée depuis le 1er janvier 2016 par le syndicat mixte des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse (SIOM) et l'était, avant cette date, par le syndicat intercommunal de la région de Montlhéry (SIRM) au terme d'un règlement des déchets ménagers et assimilés du SIOM prévoyant une collecte des déchets en porte à porte, les déchets devant impérativement être placés dans les conteneurs prévus à cet effet. Or, en l'espèce, il est constant que les déchets auxquels M. A... fait allusion dans sa requête ne relèvent pas de la catégorie des déchets ménagers et assimilés visés par ce règlement mais sont des déchets sauvages et encombrants, posés à même le sol en dehors de tout conteneur, dont le ramassage ne relevait pas, en tout état de cause, de la compétence de ces établissements publics de coopération locale. Les conclusions de M. A... ne peuvent donc qu'être rejetées comme mal dirigées.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la commune de Linas et contre l'Etat :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi n°2000-614 du 5 janvier 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage : " I. - Les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d'accueil ou des terrains prévus à cet effet. (...) / II. - Dans chaque département, au vu d'une évaluation préalable des besoins et de l'offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, de l'évolution de leurs modes de vie et de leur ancrage, des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d'implantation et les communes où celles-ci doivent être réalisées : (...) Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " I. - Les communes figurant au schéma départemental en application des dispositions des II et III de l'article 1er sont tenues, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en oeuvre. Elles le font en mettant à la disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires d'accueil, aménagées et entretenues.(...) "

5. M. A... soutient que la commune de Linas, qui avait été incluse dans le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage de l'Essonne publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Essonne le 24 octobre 2013, n'aurait pas satisfait à ses obligations en matière de création d'aires d'accueil des gens du voyage. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, ne peut être regardée comme étant à l'origine des préjudices dont se prévaut le requérant dès lors que, ainsi qu'il le reconnait lui-même, les troubles dont il se plaint sont imputables aux agissements de membres d'une communauté de gens du voyage s'étant sédentarisés à proximité de son habitation après avoir acquis les parcelles occupées.

6. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme : " Les infractions aux dispositions des titres Ier, II, III, IV et VI du présent livre sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet par le maire ou le ministre chargé de l'urbanisme suivant l'autorité dont ils relèvent et assermentés. Les procès-verbaux dressés par ces agents font foi jusqu'à preuve du contraire (...). ". Aux termes des dispositions de l'article L. 480-2 du même code : " L'interruption des travaux peut être ordonnée soit sur réquisition du ministère public agissant à la requête du maire, du fonctionnaire compétent ou de l'une des associations visées à l'article L. 480-1, soit, même d'office, par le juge d'instruction saisi des poursuites ou par le tribunal correctionnel. (...) ".

7. Si M. A... soutient que le maire de la commune n'aurait pas veillé à faire respecter le caractère agricole des parcelles sur lesquelles des installations ont été construites et des déchets entreposés et aurait donc failli dans la mise en oeuvre des dispositions précitées, lorsqu'il agit sur le fondement de ces dispositions, le maire agit en qualité d'autorité de l'Etat. Sa carence dans l'exercice de ces pouvoirs ne peut donc, en tout état de cause, engager la responsabilité de la commune de Linas. En outre, à supposer même que les conclusions présentées sur le fondement des dispositions du code de l'urbanisme précitées par M. A... puissent être regardées comme dirigées contre l'Etat, l'exigence d'une carence dans leur mise en oeuvre ne peut être regardée comme étant à l'origine directe des préjudices dont se prévaut le requérant, indépendants du caractère illicite des constructions édifiées mais exclusivement imputables à leurs occupants.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2212-2 de ce code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que (...) les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique (...) ". Aux termes de l'article 2215-1 du même code : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : 1°) Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques (...) ".

9. Il résulte de l'instruction que, depuis l'année 2000, M. A... a très régulièrement interpelé le maire de la commune de Linas sur les troubles subis au quotidien, par lui et son fils notamment, du fait de comportements agressifs répétés et incivilités imputables à leurs voisins installés à proximité et notamment, dépôts de gravats de nature à faire obstacle à la circulation des véhicules sur le chemin des Hauts Chupins, dépôts sauvages d'ordures et déchets de toutes natures, branchements illégaux sur le réseau de distribution d'électricité pouvant entrainer jusqu'à vingt-cinq coupures d'électricité par jour y compris pendant l'hiver, dégradation des grillage et portail, incendies, violences verbales, insultes, comme en attestent les mains courantes et très nombreux courriers tout à fait explicites produits au dossier. Les réponses apportées par le maire à ces courriers, notamment les 10 avril 2003, 29 avril 2004, 4 octobre 2004, 18 avril 2005 et 7 décembre 2009 ne se sont toutefois traduites par aucune action de nature à remédier durablement à cette situation. Les circonstances, au demeurant non étayées, invoquées par la commune, selon lesquelles elle aurait procédé régulièrement à l'enlèvement de déchets, aurait pris une réglementation contre les dépôts sauvages et aurait procédé à l'expulsion de gens du voyage d'un terrain communal situé à proximité de la propriété du requérant en 2004, ne suffisent pas à attester d'une action appropriée destinée à faire cesser les désordres subis par M. A... pendant plus de vingt ans. Par sa carence, le maire de la commune de Linas doit donc être regardé comme ayant commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard du requérant. Le jugement attaqué, qui n'est pas contesté en appel sur ce point l'Etat n'ayant présenté aucun appel incident, a par ailleurs retenu l'existence d'une faute lourde de l'Etat dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de substitution engageant sa responsabilité à l'égard de M. A....

En ce qui concerne les préjudices :

10. M. A... se prévaut tout d'abord d'un préjudice de perte de valeur vénale de sa maison à usage d'habitation. Si la commune oppose qu'à l'emménagement de M. A... certains des voisins mis en cause dans la réalisation des préjudices invoqués étaient déjà installés et que les désordres existaient, cette circonstance ne résulte pas de l'instruction. En outre, elle ne fait pas obstacle à ce que M. A... demande réparation des préjudices nés de l'aggravation d'une situation qui s'est détériorée avec l'intensification des désordres et dégradations subis. La commune se prévaut également d'une exception d'illégitimité et soutient qu'elle n'aurait pas trouvé trace de la demande de permis de construire déposée par M. A.... Toutefois, il résulte de l'instruction que le bien de M. A... a été construit en 1972 et que ce dernier ne l'a acquis qu'en 1997 d'un précédent propriétaire donc. Cette exception ne peut dès lors qu'être écartée.

11. Pour établir ce préjudice de perte de valeur vénale, M. A... se prévaut de plusieurs estimations, la première effectuée par la commune de Linas en 2013 dans le cadre d'une demande de rachat présentée par M. A... et estimant le bien à la somme de 338 000 euros. En 2014 et 2015, deux estimations effectuées par des agences immobilières estimaient le bien, respectivement, à 270 000 euros et à 275 000 euros. Le requérant produit enfin une estimation réalisée en 2016 pour un montant de 200 000 à 220 000 euros indiquant " en dehors de ce secteur et du secteur immédiat de la N104 ou N20 assujettis aux nuisances sonores de la circulation, ce même bien serait évalué à 310 000 euros environ ". S'il ressort ainsi de ces pièces que la dégradation de l'environnement à proximité immédiate du pavillon de M. A... ne constitue pas l'unique cause de la perte de valeur vénale de ce bien, il demeure qu'elle a nécessairement joué un rôle déterminant dans cette dépréciation. Il sera dès lors et compte tenu de ces éléments fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. A... une somme de 55 000 euros.

12. M. A... se prévaut ensuite de troubles dans les conditions d'existence quotidiens subis pendant plus de vingt ans désormais ainsi que d'un préjudice moral lié tout particulièrement à la carence de l'administration, au sentiment d'impuissance, d'injustice subi, de nature à aggraver le sentiment d'angoisse, d'inquiétude, ce dernier préjudice étant donc bien distinct des troubles dans les conditions d'existence invoqués. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en allouant à M. A... les sommes de 10 000 et 5 000 euros pour les indemniser.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation solidaire de la commune de Linas et de l'Etat à lui verser la somme totale de

70 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2006, date de réception des demandes préalables indemnitaires présentées par M. A... auprès de la commune de Linas et de l'Etat et à solliciter la réformation du jugement du tribunal administratif de Versailles dans cette mesure.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Linas une somme de 1 500 euros à verser à M. A.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la communauté d'agglomération Paris Saclay sur leur fondement.

DECIDE :

Article 1er : La commune de Linas et l'Etat sont condamnés à verser à M. A... la somme de 70 000 (soixante dix mille) euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2006.

Article 2 : Le jugement n° 1606587 en date du 23 octobre 2018 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Linas et l'Etat verseront à M. A... la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N°18VE03712 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03712
Date de la décision : 12/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : LE BAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-04-12;18ve03712 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award