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29/03/2021 | FRANCE | N°18VE04248

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 29 mars 2021, 18VE04248


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Happy Sun Bay et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à verser à la SARL Happy Sun Bay la somme de 236 658 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention du décret n° 2016-448 du 13 avril 2016, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire préalable et de l'anatocisme de l'article 1231-6 du code civil si plus d'une année d'intérêts de retard était due et de condamner l'Etat à verser à M. A.

.. la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices personnels.

Par jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Happy Sun Bay et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à verser à la SARL Happy Sun Bay la somme de 236 658 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention du décret n° 2016-448 du 13 avril 2016, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire préalable et de l'anatocisme de l'article 1231-6 du code civil si plus d'une année d'intérêts de retard était due et de condamner l'Etat à verser à M. A... la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices personnels.

Par jugement n° 1608834 en date du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2018, la SARL Happy Sun Bay, représentée par Me Taron, avocat, demande à la Cour :

1° de condamner l'Etat à verser à la SARL Happy Sun Bay la somme de 236 658 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention du décret n° 2016-448 du 13 avril 2016, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire préalable et de l'anatocisme de l'article 1231-6 du code civil si plus d'une année d'intérêts de retard était due ;

2° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de la SARL et de M. A... son gérant.

Ils soutiennent que :

- si la légalité du décret du 13 avril 2016 n'est pas critiquée, pour autant, la responsabilité de l'Etat pour faute est engagée dès lors que l'inaction de la puissance publique durant de nombreuses années a laissé croire aux opérateurs qu'ils pouvaient légalement continuer à exercer leur activité ;

-la nouvelle réglementation nationale génère des préjudices anormaux et spéciaux qu'il convient d'indemniser sur le fondement de la responsabilité sans faute à raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors que les administrés ont subi un préjudice anormal et spécial en lien direct avec le fait générateur ; elle peut ainsi prétendre à l'indemnisation de ses pertes d'exploitation, des licenciements qu'elle a été amenée à prononcer et de la perte de la valeur de son fonds de commerce.

...............................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord de la Commission économique pour l'Europe des Nations-unies concernant l'adoption de prescriptions techniques uniformes applicables aux véhicules à roues signé à Genève le 20 mars 1958 ;

- le règlement n° 43 de la Commission économique pour l'Europe des Nations-Unies portant prescriptions uniformes relatives à l'homologation des vitrages de sécurité et de l'installation de ces vitrages sur les véhicules ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la décision 97/836/CE du Conseil du 27 novembre 1997 ;

- la directive 2015/1535/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;

- la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 ;

- le règlement (CE) n° 661/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le code civil ;

- le code de la route ;

- le décret n° 2016-448 du 13 avril 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Happy Sun Bay, dont l'activité commerciale est la vente de produits et la prestation de services associés au traitement du vitrage d'automobile et de bâtiment, a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'intervention du décret n° 2016-448 du 13 avril 2016. Par jugement n° 1608834 en date du 23 octobre 2018 dont la société relève appel, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 316-3 du code de la route : " Toutes les vitres doivent être en substance transparente telle que le danger d'accidents corporels soit, en cas de bris, réduit dans toute la mesure du possible. Elles doivent être résistantes aux incidents prévisibles d'une circulation normale et aux facteurs atmosphériques et thermiques, aux agents chimiques et à l'abrasion. Elles doivent également présenter une faible vitesse de combustion ". L'article 27 du décret n° 2016-448 du 13 avril 2016 modifiant certaines dispositions du code de la route relatives aux véhicules a remplacé les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de cet article par les dispositions suivantes : " Les vitres du pare-brise et les vitres latérales avant côté conducteur et côté passager doivent en outre avoir une transparence suffisante, tant de l'intérieur que de l'extérieur du véhicule, et ne provoquer aucune déformation notable des objets vus par transparence ni aucune modification notable de leurs couleurs. La transparence de ces vitres est considérée comme suffisante si le facteur de transmission régulière de la lumière est d'au moins 70 %. En cas de bris, elles doivent permettre au conducteur de continuer à voir distinctement la route. / Toute opération susceptible de réduire les caractéristiques de sécurité ou les conditions de transparence est interdite. / Le ministre des transports fixe par arrêté les modalités d'application du présent article. Il détermine notamment les conditions d'homologation, y compris de transparence, des différentes catégories de vitres équipant les véhicules et, le cas échéant, les dérogations que justifieraient des raisons médicales ou des conditions d'aménagement des véhicules blindés. / Le fait de contrevenir aux dispositions du présent article ou à celles prises pour son application, à l'exception de celles relatives aux conditions de transparence, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la troisième classe ". L'article 28 de ce même décret a inséré, après l'article R. 316-3, un article R. 316-3-1 ainsi rédigé : " Le fait, pour tout conducteur, de circuler avec un véhicule ne respectant pas les dispositions de l'article R. 316-3 relatives aux conditions de transparence des vitres fixées à cet article ou à celles prises pour son application est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de trois points du permis de conduire. / L'immobilisation peut être prescrite dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3 ". Selon l'article R. 325-5-1 inséré par l'article 44 de ce même décret du 13 avril 2016 : " Lorsque le véhicule circule en infraction aux prescriptions de l'article R. 316-3 relatives aux conditions de transparence des vitres ou à celles prises pour son application, la décision d'immobilisation doit prescrire la mise en conformité du véhicule. / Dans ce cas, une fiche de circulation provisoire dont la durée de validité ne peut excéder sept jours, peut être établie (...) ".

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :

3. Il résulte de l'instruction que la norme de transparence imposant un facteur de transmission régulière de la lumière d'au moins 70 % résulte des spécifications techniques fixées par le règlement n° 43 CEE-ONU portant prescriptions techniques uniformes relatives à l'installation des vitrages de sécurité et à l'installation de ces vitrages sur les véhicules. Les arrêtés en date des 23 mars 1981 et 20 juin 1983 prévoyaient ainsi que les véhicules devaient homologués conformément aux dispositions de ce règlement n°43 annexé à l'accord de Genève du 20 mars 1958. Par ailleurs, par la décision n° 97/836/CE du Conseil du 27 novembre 1997, la Communauté européenne a adhéré à l'accord de la Commission économique pour l'Europe des Nations-unies (CEE-ONU) concernant l'adoption de prescriptions techniques uniformes applicables aux véhicules à roues. Cette décision prévoit dans son article 4 la possibilité que certains règlements CEE-ONU soient intégrés dans le système de réception CE des véhicules et remplacent la législation en vigueur dans la Communauté. Le règlement (CE) n° 661/2009 du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les prescriptions pour l'homologation relatives à la sécurité générale des véhicules, modifié par le règlement (UE) n° 407/2011 du 27 avril 2011, dresse, dans son annexe IV, la liste des règlements CEE-ONU dont l'application est obligatoire. Le règlement n° 43 CEE-ONU portant prescriptions techniques uniformes relatives à l'installation des vitrages de sécurité et à l'installation de ces vitrages sur les véhicules figure sur cette liste.

4. Si la société requérante soutient que les dispositions du décret du 13 avril 2016 engageraient la responsabilité pour faute de l'Etat à raison du revirement brutal de réglementation qu'elles opèrent, il résulte de ce qui précède que le décret du 13 avril 2016 s'est borné à procéder à la codification de l'exigence d'un taux minimum de transparence de 70% pour le pare-brise et les vitres latérales avant des véhicules et à prévoir des sanctions en cas d'inobservation de ce taux mais n'a pas introduit en droit interne de règle nouvelle concernant le seuil minimum de filtration de la lumière par les pare-brises et vitres latérales des véhicules. Si la société soutient que l'Etat n'a longtemps pris aucune mesure concrète destinée à garantir le respect des règles de filtration de la lumière posées par la réglementation communautaire laissant penser aux opérateurs dans sa situation qu'ils pouvaient légitimement continuer à exercer leur activité et que l'intervention du décret litigieux a conduit à un changement brutal et donc fautif de l'état du droit sur ce point, il résulte de ce qui précède que ces allégations manquent en fait. Par ailleurs, les dispositions de l'article 46 de ce décret prévoyaient, à titre transitoire, que ses dispositions n'entreraient en vigueur que le 1er janvier 2017. La société Happy Sun Bay n'est donc pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en modifiant brutalement le cadre réglementaire des règles de filtration de la lumière par les vitres avant des véhicules mis en service sur le marché français.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :

5. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.

6. A supposer que la société Happy Sun Bay puisse se prévaloir d'un préjudice spécial résultant de l'application des dispositions du décret du 13 avril 2016, il résulte de l'instruction que la société a été créée en 2003, alors que la norme de transparence imposant un facteur de transmission régulière de la lumière d'au moins 70 % était déjà en vigueur. La société ne pouvait ignorer que la pose, postérieurement à leur mise sur le marché, sur les vitres des véhicules automobiles de filtres opacifiants pouvait conduire à contourner cette exigence de sécurité. Dès lors, l'entrée en vigueur des dispositions du décret du 13 avril 2016 litigieuses qui, ainsi qu'il a été rappelé, n'ont pas posé de règle nouvelle en termes de réglementation des normes de transparence des vitres des véhicules automobiles mais se sont bornées à prévoir des règles complémentaires et notamment des sanctions en cas de contournement des règles en vigueur, ne peut être regardé comme excédant l'aléa prévisible auquel cette société s'était soumise en développant une telle activité commerciale. La société Happy Sun Bay n'est donc pas fondée à soutenir que la responsabilité sans faute de l'Etat devrait être engagée à son égard sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Etat, que la société Happy Sun Bay n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit, sur leur fondement, mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, au bénéfice de la société requérante et, en tout état de cause, de son gérant.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Société Happy Sun Bay est rejetée.

N°18VE04248 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04248
Date de la décision : 29/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : TARON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-03-29;18ve04248 ?
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