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18/03/2021 | FRANCE | N°18VE00172

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 18 mars 2021, 18VE00172


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 20 novembre 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la vingt-quatrième section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé son licenciement, d'annuler la décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il a formé le 15 janvier 2015, d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé sa déc

ision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 15 janvier 2015...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 20 novembre 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la vingt-quatrième section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé son licenciement, d'annuler la décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'il a formé le 15 janvier 2015, d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 15 janvier 2015.

Par un jugement n° 1505879, 1506927 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 janvier 2018 et complétée par un mémoire enregistré le 27 juin 2019, M. E..., représenté par Me Henry, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n°1505879, 1506927 ;

2° d'annuler la décision du 20 novembre 2014 par laquelle l'inspectrice du travail de la vingt-quatrième section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé son licenciement et d'annuler la décision du 8 juillet 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 15 janvier 2015 ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du ministre qui ne mentionne pas tous ses mandats témoigne d'un défaut de contrôle ;

- la décision de l'inspectrice du travail qui ne vise pas les articles du code du travail relatifs au licenciement des salariés disposant d'un mandat de conseiller du salarié et qui ne fait aucune mention de la décision de la cour d'appel de Versailles qui constate la discrimination syndicale subie est insuffisamment motivée ;

- c'est à tort que le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats n'a pas été reconnu ;

- la décision de l'inspectrice du travail méconnait l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Versailles.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- et les observations de Me F... pour M. E... et de Me A..., substituant Me D..., pour la société BVA, ses administrateurs judiciaires et ses mandataires liquidateurs.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 18 juin 2014, la société BVA a notifié à M. E..., recruté le 10 mars 2001 en qualité d'enquêteur " téléphone " par la société BVA, affecté en dernier lieu dans les locaux de la société situés à Boulogne-Billancourt, délégué du personnel et membre suppléant du comité d'établissement de Boulogne-Billancourt jusqu'aux élections professionnelles du 11 juin 2014 et conseiller du salarié, un changement de lieu de travail, sous quinze jours, dans le cadre d'un projet de réorganisation de l'entreprise et de déménagement des équipes " terrain " du site de Boulogne-Billancourt vers le site de Montrouge. Par courriers du 11 août 2014 et du 27 août 2014, M. E..., qui n'a pas rejoint son nouveau lieu de travail et ne s'est plus présenté sur son ancien lieu de travail à compter du 1er juillet 2014, a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement prévu le 27 août 2014 puis, ne s'y étant pas présenté, le 5 septembre 2014. Par lettre en date du 26 septembre 2014, la société BVA a sollicité de l'inspectrice du travail territorialement compétente, après avoir recueilli l'avis du comité d'entreprise lors d'une réunion exceptionnelle qui s'est tenue le 18 septembre 2014, l'autorisation de licencier M. E... pour motif personnel. A l'issue d'un enquête contradictoire, l'inspectrice du travail de la vingt-quatrième section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé, par décision du 20 novembre 2014, le licenciement de M. E.... Par courrier du 14 janvier 2015, reçu le 15, M. E... a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette dernière décision, qui a été rejeté par une décision implicite du 15 mai 2015. M. E... demande à la cour d'annuler le jugement n° 1505879, 1506927 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant ses demandes d'annulation, d'une part, de la décision de l'inspectrice du travail, d'autre part, de la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social confirmant sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 15 janvier 2015.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement.

3. M. E... soutient que la décision du ministre, qui ne mentionne pas tous les mandats dont il disposait à la date de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement témoigne d'un défaut de contrôle. S'il est constant que lorsque l'administration a eu connaissance de chacun des mandats détenus par l'intéressé, la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement ou la décision autorisant le licenciement ne fasse pas mention de l'un de ces mandats ne suffit pas, à elle seule, à établir que l'administration n'a pas, comme elle le doit, exercé son contrôle en tenant compte de chacun des mandats détenus par le salarié protégé, il ressort des pièces du dossier, et en particulier du mémoire du ministre, que celui-ci n'a entendu exercer son contrôle qu'au regard du mandat du conseiller du salarié dont disposait M. E... à la date de sa décision et n'a pas pris en compte la protection attachée à ses anciens mandats de délégué du personnel et de membre élu du comité d'entreprise. Dès lors, la décision est entachée d'erreur de droit et doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail :

4. En premier lieu, d'une part, l'omission du visa d'un texte ne constitue pas une irrégularité de nature à entrainer l'annulation d'une décision pour excès de pouvoir. D'autre part, si l'inspectrice du travail a omis de viser l'article L. 2411-21 du code du travail relatif au mandat du salarié, sa décision mentionne en fait l'ensemble des mandats de M. E.... Enfin la décision relève qu'aucun élément recueilli au cours de l'enquête ne permet de retenir de lien avec le mandat. Dans ces conditions, la circonstance que la décision de l'inspectrice ne mentionnerait pas l'arrêt de la cour d'appel de Versailles n'est pas de nature à faire regarder la décision en litige comme insuffisamment motivée.

5. En deuxième lieu, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. L'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié le changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement. Dans ce cas, l'autorité administrative doit, après s'être assurée que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles.

6. Dans sa décision du 20 novembre 2014, l'inspectrice du travail a considéré qu'en refusant de changer de lieu de travail pour poursuivre son travail d'enquêteur téléphonique, transfert qui n'entrainait pas une modification du contrat de travail, M. E... avait commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. M. E... soutient que cette décision méconnait l'autorité de la chose jugée par l'arrêt du 1er octobre 2014, de la cour d'appel de Versailles, qui avait ordonné le repositionnement professionnel de M. E... à compter du 1er octobre 2010, à la position 3.3, coefficient 500 ETAM de la convention collective applicable au personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil et que son refus n'est donc pas fautif. Cet arrêt qui répare la discrimination subie par l'intéressé du point de vue de sa progression salariale n'a toutefois ni pour objet ni pour effet d'imposer à l'employeur un changement de poste de travail quand bien même les enquêteurs téléphoniques ne sont normalement pas classés à la position 3.3 précitée. Dès lors, le changement de conditions de travail ne méconnait pas l'autorité de chose jugée et le refus opposé par M. E... à ce changement de lieu de travail dans un même secteur géographique constitue bien une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

7. En troisième lieu, M. E... soutient que c'est à tort que l'inspectrice du travail n'a pas retenu de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et ses mandats. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles ne reconnait la discrimination subie que pour le passé, que l'employeur a tiré les conséquences de cet arrêt sur le bulletin de paie de l'intéressé, que M. E... ne s'était pas représenté aux élections de juin 2014 et ne disposait plus à la date de la décision de l'inspectrice que du mandat de conseiller du salarié, que le changement des conditions de travail lié au déménagement de son service ne l'empêchait pas d'exercer. Dès lors, le moyen tiré de la discrimination syndicale ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en litige, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 8 juillet 2015.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société BVA demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1505879, 1506927 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 7 décembre 2017 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 8 juillet 2015.

Article 2 : La décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 8 juillet 2015 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

N° 18VE00172 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE00172
Date de la décision : 18/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Eugénie ORIO
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SCP MICHEL HENRY

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-03-18;18ve00172 ?
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