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09/02/2021 | FRANCE | N°18VE04115-19VE00405

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 09 février 2021, 18VE04115-19VE00405


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2011 pour un montant de 20 768 786 euros en principal et 2 984 357 euros d'intérêts de retard.

Par un jugement n° 1703098 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée des retenues à la source en ce qui concerne l'absence de refacturation des coûts supportés pour le compte de ses filia

les situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin, au titre des années 2008 à 2011,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2011 pour un montant de 20 768 786 euros en principal et 2 984 357 euros d'intérêts de retard.

Par un jugement n° 1703098 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée des retenues à la source en ce qui concerne l'absence de refacturation des coûts supportés pour le compte de ses filiales situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin, au titre des années 2008 à 2011, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 11 décembre 2018 sous le n° 1804115, et des mémoires complémentaires enregistrés le 26 septembre 2019 et le 9 septembre 2020, la Société Générale, représentée par Me A... et Me C..., avocats, demande à la cour :

1° d'annuler l'article 3 du jugement attaqué ;

2° de prononcer la décharge des retenues à la source au titre des années 2008 à 2011, restant à sa charge après application de l'article 1er du jugement, ainsi que des intérêts de retard correspondants ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en se bornant à relever que les prestations n'avaient pas été refacturées, l'administration n'a pas apporté la preuve du caractère anormal des avantages qu'elle n'a d'ailleurs pas identifiés de manière précise ;

- bien que non-déductibles en vertu du 13 de l'article 39 du code général des impôts, les abandons de créance à caractère financier consentis au profit des filiales dont l'actif net n'est pas négatif sont des actes normaux de gestion qui ont pour contrepartie l'augmentation de la valeur de sa participation dans ces filiales ;

- les abandons de recettes n'étaient pas anormaux, dès lors qu'ils s'inscrivaient dans le cadre de la recapitalisation de ses filiales suite à la crise des subprimes ; s'agissant notamment de ses filiales situées en Albanie, Russie, Bulgarie, Algérie, au Cameroun, au Tchad et en Chine, Macédoine, Guinée, Italie et Slovanie, ces recapitalisations étaient destinées à respecter les contraintes règlementaires relatives aux ratios de solvabilité imposées par les Etats d'implantation de ces filiales ; elle avait également intérêt à ne pas refacturer de frais à ses filiales croate et italienne, en phase de démarrage ;

- les contraintes de la règlementation algérienne en matière de contrôle des changes faisaient obstacle à la refacturation des frais exposés en faveur de sa filiale située en Algérie ;

- l'absence de refacturation des frais correspondant aux rémunérations des personnels détachés à l'étranger est justifiée, dans son propre intérêt, afin notamment de promouvoir la carrière de ses salariés à l'international ;

- les dépenses en cause ne peuvent être qualifiées de revenus distribués en l'absence de désinvestissement ;

- les avantages n'étaient pas occultes dès lors qu'ils étaient explicitement mentionnés dans les documents annexes au tableau 2058 A de la liasse fiscale ;

- la convention fiscale conclue entre la France et l'ex-URSS, qui s'applique à la Géorgie et à la Moldavie, doit être interprétée comme la convention fiscale franco-néerlandaise, qui ne permet d'imposer dans l'Etat source que les dividendes distribués aux associés dans les conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, ce qui exclut d'assujettir à la retenue à la source les revenus réputés distribués ;

- pour l'application de la convention fiscale franco-chinoise, elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'interprétation formelle de la notion de dividendes qu'en a donné l'administration au paragraphe 65 de l'instruction 14 B-3-03 du 22 mai 2003 relative à la convention fiscale franco-algérienne du 17 octobre 1999.

II. Par une requête enregistrée le 5 février 2019 sous le n° 1900405, et un mémoire enregistré le 16 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1° d'annuler l'article 1er du jugement attaqué ;

2° de remettre à la charge de la Société Générale la somme de 1 162 009 euros au titre de la retenue à la source sur les avantages consentis à ses filiales situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin au cours des années 2008 à 2011.

Il soutient que :

- les avantages occultes dont les filiales béninoise, burkinabé et mauritanienne ont bénéficié devaient être assujetties à la retenue à la source en France, dès lors que les conventions fiscales conclues avec le Bénin, le Burkina Faso et la Mauritanie, qui sont rédigées en des termes identiques, prévoient l'imposition par l'Etat de résidence de la société distributrice des " revenus de valeurs mobilières et revenus assimilés ", au nombre desquels figurent les revenus réputés distribués au sens de l'article 111 c) du code général des impôts ;

- les transferts de bénéfices dont ces filiales ont bénéficié sont constitutifs d'avantages occultes passibles de la retenue à la source.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale conclue entre la France et le Burkina Faso le 11 août 1965 ;

- la convention conclue entre la France et la Mauritanie le 15 novembre 1967 ;

- la convention conclue entre la France et le Bénin le 27 février 1975 ;

- la convention fiscale conclue entre la France et la République populaire de Chine le 30 mai 1984 ;

- la convention conclue entre la France et l'ex Union des Républiques soviétiques socialistes (URSS) le 4 octobre 1985 ;

- la convention fiscale conclue entre la France et l'Algérie le 17 octobre 1999 ;

- la convention fiscale conclue entre la France et la Géorgie le 7 mars 2007 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2010-582 du 1er juin 2010 ;

- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique,

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public,

- les observations de Me A... pour la Société Générale.

Une note en délibéré, présentée pour la Société générale, a été enregistrée le 29 janvier 2021, dans l'instance n° 18VE04115.

Considérant ce qui suit :

1. La Société Générale a spontanément réintégré à son résultat fiscal déclaré au titre des exercices 2008 à 2011 des dépenses mentionnées dans les tableaux annexés à sa déclaration 2058 A sous les intitulés " frais supportés par le siège pour les filiales étrangères ", " personnel détaché dans des filiales étrangères ", " rémunération des dirigeants de DeltaCrédit " et " prix de transfert ITEC ", correspondant à des charges non déductibles en faveur de ses filiales implantées à l'étranger. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, l'administration a estimé que la Société Générale avait ainsi procédé à des transferts de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts, constitutifs pour les sociétés bénéficiaires étrangères d'avantages occultes au sens du c) de l'article 111 du même code, passibles de la retenue à la source prévue par l'article 119 bis de ce code lorsque les conventions fiscales applicables permettaient l'imposition des revenus réputés distribués dans l'Etat de la source. Le ministre de l'action et des comptes publics fait appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a fait droit à la demande de décharge présentée par la Société Générale en ce qui concerne les retenues à la source appliquées aux avantages dont ont bénéficié ses filiales situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin. La Société Générale fait appel du même jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

2. Les requêtes n° 18VE04115, présentée par la Société Générale, et n° 19VE00405, présentée par le ministre de l'action et des comptes publics, tendent à l'annulation du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par le même arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, au point 4 du jugement attaqué, les premiers juges ont précisé les motifs pour lesquels ils estimaient devoir écarter le moyen tiré de ce que les renonciations à recettes consenties par la Société Générale avaient eu pour contrepartie la valorisation des titres qu'elle détient. La société requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que le tribunal a omis de statuer sur ce moyen.

4. En second lieu, après avoir visé et cité les articles 13 et 25 des conventions fiscales bilatérales conclues entre la France et les autorités mauritaniennes, béninoises et burkinabés, le tribunal en a déduit que les revenus réputés distribués au sens du c) de l'article 111 du code général des impôts ne sont ni des revenus de valeurs mobilières, ni des revenus assimilés définis par les cas limitativement énumérés, au sens de ces stipulations, et n'étaient par conséquent pas imposables en France. Le ministre n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale française :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 57 du code général des impôts applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance entre la société et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Alors même que la non-déductibilité des charges réintégrées dans son résultat fiscal résulte des déclarations du contribuable, il appartient à l'administration d'établir, pour assujettir à la retenue à la source les revenus réputés distribués correspondants, d'une part, l'existence d'échanges à des prix soit majorés, soit diminués par rapport à ceux pratiqués par des entreprises similaires dépourvues de liens de dépendance, d'autre part, l'intention pour la société d'octroyer, et pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait de ces avantages.

6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 57 du code général des impôts que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart s'explique par la situation différente de ces clients, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

7. La Société Générale soutient qu'en se bornant à constater que des " prix de transfert ITEC " avaient été réintégrés fiscalement dans son résultat sans procéder à des comparaisons, l'administration ne peut être regardée comme apportant la preuve de ce que les prestations ont été facturées à un prix inférieur à ceux pratiqués par des entreprises similaires dépourvues de liens de dépendance. Toutefois, en l'espèce, l'administration n'a pas remis en cause les prix pratiqués par le contribuable au regard du coût réel de la prestation, mais tiré les conséquences de la réintégration par la Société Générale, pour la détermination de son résultat fiscal, de ces charges que le contribuable a lui-même considérées comme ne constituant pas des charges déductibles. Dans ces circonstances, l'administration a pu, sans avoir à procéder à des comparaisons avec les prix du marché, regarder les charges non déductibles intitulées " prix de transfert ITEC " comme constitutives de transferts indirects de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts.

8. En second lieu, il est constant que les filiales étrangères bénéficiaires des avantages en cause sont toutes majoritairement détenues par la Société Générale, ce qui suffit à faire présumer l'intention libérale, eu égard à la relation d'intérêts existant entre une société mère et ses filiales. Par ailleurs, l'administration établit que la Société générale n'a pas refacturé des " frais supportés par le siège pour les filiales ", expressément mentionnés comme tels dans les tableaux n° 2058 A de charges non-déductibles annexés à ses déclarations. La Société Générale a également pris en charge des frais de " personnel détaché dans des filiales étrangères ", la " rémunération des dirigeants de [sa filiale russe] Deltacrédit ", et, ainsi qu'il a été dit au point précédent, des " prix de transfert ITEC ", qu'elle a spontanément réintégrés dans son résultat fiscal, reconnaissant ainsi l'absence de déductibilité de ces charges. Ces faits révèlent que la Société Générale a supporté des coûts incombant normalement à ses filiales étrangères. De ce fait, la Société Générale est présumée avoir réalisé, au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, un transfert de bénéfices à une entreprise située hors de France. Il lui incombe, dès lors, de prouver que ce transfert comportait pour elle une contrepartie suffisante et avait ainsi le caractère d'un acte de gestion commerciale normale.

9. Si la Société Générale soutient que ces abandons de recettes ont pour contrepartie la valorisation de ses participations à due concurrence du pourcentage qu'elle détient dans le capital dans ses filiales, la circonstance que l'avantage consenti par la société mère aurait eu pour conséquence un accroissement de la valorisation de ses filiales n'est pas de nature à retirer à cet avantage son caractère de libéralité. La Société Générale ne peut dès lors utilement soutenir que les charges qu'elle a indûment supportées pour le compte de ses filiales ont pour contrepartie la valorisation de ses titres.

10. Pour établir que les avantages qu'elle a consentis à ses filiales étaient justifiés par le besoin de recapitalisation de celles-ci et n'étaient, par suite, pas constitutifs d'actes anormaux, la Société Générale produit des fiches internes d'approbation d'investissement financier concernant ses filiales situées en Albanie, Russie, Bulgarie, Algérie, au Cameroun, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin. Toutefois, le fait qu'elle ait dû recapitaliser certaines de ses filiales afin de respecter les ratios de solvabilité imposés par leurs Etats d'implantation respectifs ne suffit pas à établir que les abandons de créances consentis en sus de ces recapitalisations étaient justifiés par les difficultés financières de ses filiales. La Société Générale n'établit pas davantage, par des considérations théoriques dépourvues de pièces justificatives, que ses filiales croate et italienne constituées en 2006, devaient bénéficier des avantages en cause afin de ne pas aggraver leur situation financière en phase de démarrage de leur activité.

11. Si la société requérante soutient que ses personnels détachés à l'étranger lui restaient contractuellement liés et qu'elle avait intérêt à prendre en charge ces mises à disposition dans le cadre de sa politique de mobilité des cadres, elle ne justifie pas de l'impossibilité de faire supporter par ses filiales des surcoûts liés à l'accueil de cadres expatriés.

12. S'agissant plus particulièrement des avantages consentis à sa filiale située en Algérie, la Société Générale conteste l'anormalité des abandons de recettes au motif que la règlementation algérienne sur le contrôle des changes ne permettait pas la refacturation des frais de "corporate services fees", des services informatiques et des frais divers réseau et projets groupe ne figurent pas sur la liste des transactions courantes autorisées par la Banque centrale algérienne, ce qui aurait fait courir un risque de sanctions administratives et pénales à sa filiale et qu'à supposer que la facturation de ses frais soit autorisée, la législation algérienne ne pouvait pas être respectée dès lors que ces frais étaient déterminés sur une base globalisée. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que les frais en cause ne pouvaient être détaillés, alors que les frais d'assistance technique et les salaires du personnel étranger contractuel figurent notamment sur la liste des opérations autorisées et que les opérations qui ne figurent pas sur la liste des transactions autorisées de plein droit peuvent l'être sur décision de la Banque centrale d'Algérie.

13. La Société Générale fait également valoir que les avantages en cause ne présentent pas un caractère occulte dès lors qu'ils étaient mentionnés de façon explicite dans les documents annexes au tableau 2058 A de la liasse fiscale. Toutefois, un avantage doit être regardé comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées de l'article 111 c) du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. En l'espèce, s'agissant des " frais supportés par le siège pour les filiales étrangères ", du coût du " personnel détaché dans des filiales étrangères ", et des " prix de transfert ITEC ", les mentions portées aux tableaux des charges non déductibles, qui ne précisent ni la nature précise des avantages consentis, ni les sociétés bénéficiaires, ne révèlent pas par elles-mêmes l'existence des libéralités octroyées. En revanche, la mention extracomptable portée par la Société Générale, au tableau 2058 A de sa déclaration de résultat, de l'avantage consenti à sa filiale russe DeltaCrédit par la prise en charge de la rémunération de ses dirigeants, révèle tant l'objet de la dépense que son bénéficiaire. Cet avantage ne pouvait dès lors être regardé comme un avantage occulte au sens des dispositions du c de l'article 111 du code général des impôts.

14. Enfin, alors même qu'aucun transfert financier n'a été opéré, les coûts pris en charge indûment entraînent, pour la société qui les supportés, un désinvestissement et, pour celui qui en a bénéficié, un revenu distribué. Il en résulte que, sur le terrain de la loi fiscale française, la Société Générale est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge concernant les charges non déductibles dénommées " rémunération des dirigeants de DeltaCrédit ".

En ce qui concerne l'application des conventions fiscales bilatérales :

S'agissant de la convention applicable entre la France et la Géorgie :

15. L'administration a imposé les revenus réputés distribués par la Société Générale à sa filiale géorgienne au titre des années 2008 à 2010. A défaut de dénonciation par la Géorgie de la convention conclue entre la France et l'ex Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) le 4 octobre 1985, celle-ci est restée applicable jusqu'à l'entrée en vigueur le 1er juin 2010 de la convention fiscale franco-géorgienne signée le 7 mars 2007. En ce qui concerne les impôts sur le revenu perçus par voie de retenue à la source, l'article 30 de cette convention prévoit que celle-ci s'applique " aux sommes imposables après l'année civile au cours de laquelle la Convention est entrée en vigueur ", soit à compter du 1er janvier 2011. Aux termes de l'article 7 de la convention conclue entre la France et l'ex-URSS, applicable aux revenus en litige : " 1. Les dividendes payés par un résident d'un Etat à un résident de l'autre Etat sont imposables dans le premier Etat. Toutefois, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 p. cent du montant brut desdits dividendes. 2. Le terme " dividendes ", employé dans le présent article, désigne les revenus provenant d'actions ainsi que les autres revenus soumis au régime des revenus d'actions par la législation de l'Etat dont la personne distributrice est un résident. " Ces stipulations ne visent pas les revenus réputés distribués en vertu des dispositions de l'article 111 c) du code général des impôts qui ne sont pas soumis au même régime que les revenus provenant des actions. La Société Générale est par suite fondée à soutenir que ces revenus n'étaient pas imposables en France, en application de l'article 12 de la même convention qui prévoit que " les revenus non énumérés dans les articles précédents (...) perçus par un résident d'un Etat et provenant de sources situées dans l'autre Etat ne sont pas imposables dans cet autre Etat. ".

S'agissant de la convention applicable entre la France et la Moldavie :

16. Si par note verbale du 2 mars 1998, dont il n'est au demeurant pas établi qu'elle ait été notifiée par la voie diplomatique dans les formes prévues pour sa dénonciation par l'article 19 de cette convention, la République de Moldavie a indiqué qu'elle ne souhaitait plus être liée par la convention fiscale conclue entre la France et l'URSS le 4 octobre 1985, la Société Générale est néanmoins fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine référencée 5-B-723 du 1er août 2001 selon laquelle la convention franco-soviétique est demeurée applicable aux échanges avec la Moldavie jusqu'en 2012. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'article 7 de ladite convention n'est pas applicable aux revenus réputés distribués. La Société Générale est par suite fondée à soutenir que ces revenus n'étaient pas imposables en France.

S'agissant de la convention franco-chinoise :

17. Aux termes de la convention franco-chinoise publiée par le décret n° 85-276 du 22 février 1985 : " (...) Article 9 : (...) Le terme "dividendes" employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, ou de droits à la répartition des bénéfices, à l'exception des créances, ainsi que les autres revenus soumis au même régime fiscal que les revenus d'actions par la législation de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident. (...) Article 21 : 1. Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant qui ne sont pas traités dans les articles précédents du présent Accord et qui proviennent de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat contractant. (...) ". Aux termes de convention franco-algérienne publiée par décret n° 2002-1501 du 20 décembre 2002 : " (...) Article 10 : (...) 4. Le terme "dividendes" employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident. Il est entendu que le terme " dividende " ne comprend pas les revenus visés à l'article 16. (...) Article 21 : 1. Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet Etat (...) ".

18. Pour soutenir que les avantages consentis à ses filiales chinoises n'étaient pas imposables en France, la Société Générale se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction 14 B-3-03 du 22 mai 2003 relative à la convention fiscale franco-algérienne, dont le point 2 précise que ses commentaires pourront être utilisés pour l'interprétation des clauses figurant dans d'autres conventions fiscales signées par la France " dont la rédaction est rigoureusement identique ". La doctrine contenue au § 65 de cette instruction ne peut toutefois être utilement invoquée par la Société Générale dès lors que les conventions franco-algériennes et franco-chinoises définissent la notion de dividendes en des termes qui ne sont pas rigoureusement identiques.

S'agissant des conventions franco-mauritanienne, franco-béninoise et franco-burkinabé :

19. Aux termes de de l'article 13 des conventions fiscales franco-mauritanienne, franco-béninoise et franco-burkinabé : " les revenus des valeurs mobilières et les revenus assimilés (produits d'actions, de parts de fondateur, de parts d'intérêts et de commandites, intérêts d'obligations ou de tous autres titres d'emprunts négociables) payés par des sociétés (...) ayant leur domicile fiscal sur le territoire de l'un des Etats contractants sont imposables dans cet Etat ". Ces stipulations, qui ne visent que les revenus de valeurs mobilières et revenus assimilés qu'elles énumèrent, ne concernent pas les revenus réputés distribués au sens de l'article 111 c) du code général des impôts. Le ministre n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déchargé la Société Générale des retenues à la source appliquées aux avantages consentis à ses filiales situées en Mauritanie, au Bénin et au Burkina Faso, qui n'étaient pas imposables en France.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'appel du ministre doivent être rejetées et que la Société Générale est seulement fondée à demander l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de décharge des retenues à la source afférentes aux charges non déductibles intitulées rémunération des dirigeants de " DeltaCrédit " et aux frais qu'elle a supportés pour le compte de ses filiales moldave et géorgienne.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Société Générale, non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La Société Générale est déchargée des retenues à la source afférentes aux charges non déductibles dénommées " rémunération des dirigeants de DeltaCrédit " et aux frais qu'elle a supportés pour le compte de ses filiales moldave et géorgienne.

Article 2 : Le jugement du 11 octobre 2018 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la Société Générale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société Générale et la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance sont rejetés.

2

N°s 18VE04115, 19VE00405


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04115-19VE00405
Date de la décision : 09/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-02-09;18ve04115.19ve00405 ?
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