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14/01/2021 | FRANCE | N°20VE00713

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 14 janvier 2021, 20VE00713


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Association Formation Gestion et Développement (AFGED) a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat, d'une part, à lui verser une somme de 1 025 356 euros en réparation du préjudice causé par l'arrêté n° 2014-1895 du 23 juillet 2014 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prononcé la fermeture définitive et le retrait d'agrément de l'établissement " La maison des titis doudous " à Drancy, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à l'échéance d'une

année, et, d'autre part, à verser à M. et Mme C... E... une somme de 5 000 euros ch...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Association Formation Gestion et Développement (AFGED) a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat, d'une part, à lui verser une somme de 1 025 356 euros en réparation du préjudice causé par l'arrêté n° 2014-1895 du 23 juillet 2014 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prononcé la fermeture définitive et le retrait d'agrément de l'établissement " La maison des titis doudous " à Drancy, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à l'échéance d'une année, et, d'autre part, à verser à M. et Mme C... E... une somme de 5 000 euros chacun au titre des troubles subis dans leurs conditions d'existence, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à l'échéance d'une année.

Par un jugement n° 1410580 du 2 juillet 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête de l'AFGED.

Procédure initiale devant la Cour :

L'AFGED et les époux E... ont demandé à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner l'Etat à verser à l'AFGED une somme de 1 554 242,14 euros en réparation du préjudice causé par l'arrêté n° 2014-1895 du 23 juillet 2014 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prononcé la fermeture définitive et le retrait d'agrément de l'établissement " La maison des titis doudous " à Drancy, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à l'échéance d'une année ;

3° de condamner l'Etat à verser aux époux E... une somme respective de 6 274,11 euros et 9 205,78 euros au titre des troubles subis dans leurs conditions d'existence, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation à l'échéance d'une année ;

4° de condamner l'Etat à verser à l'AFGED et aux époux E... une somme de 5 000 euros chacun au titre du préjudice moral ;

5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros par requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt avant dire droit n° 15VE02992 du 19 septembre 2017, la Cour a annulé le jugement attaqué et a décidé qu'il sera, avant de statuer sur la requête de l'AFGED et autres, procédé par un expert, désigné par le président de la Cour, à une expertise avec mission de :

- déterminer si l'AFGED a subi une perte de recettes durant le mois d'août 2014 ;

- déterminer l'état du fonds de commerce, en précisant s'il a été cédé et si l'activité a été reprise, et en apportant tout élément permettant de déterminer le préjudice lié à la destruction du fonds de commerce ;

- déterminer le coût des licenciements de personnel de l'AFGED ;

- déterminer si les subventions touchées par l'AFGED ont été reversées à l'Etat et à la caisse d'allocation familiales ;

- déterminer le montant des pertes de salaires des époux E... à compter du mois de février 2015, en précisant le montant des éventuels revenus de remplacement touchés par ces derniers ;

- faire, le cas échéant, toute constatation utile.

L'expert, désigné par une ordonnance du 25 septembre 2017 du président de la Cour, a remis le 8 mars 2018 un " rapport de carence ", les demandeurs ayant refusé d'honorer l'allocation provisionnelle décidée par une ordonnance du 12 décembre 2017 du président de la Cour.

Par un arrêt n° 15VE02992 du 10 juillet 2018 mettant fin à l'instance, la Cour a, d'une part, annulé le jugement du 2 juillet 2015 du Tribunal administratif de Montreuil et condamné l'Etat (ministre des solidarités et de la santé) à verser aux époux E... une somme totale de 1 000 euros au titre du préjudice moral et aux époux E... et à l'AFGED une somme totale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une décision n° 423960 du 26 février 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 10 juillet 2018 de la Cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il statue sur les chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise, renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires du pourvoi.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Par des mémoires, enregistrés les 25 juin 2020 et 10 décembre 2020, Me D... A..., mandataire liquidateur de l'AFGED, et les époux E..., représentés par Me F..., avocat, demandent à la Cour :

1° de condamner l'Etat à verser au compte de la liquidation de l'AFGED représentée par Me A... la somme de 2 140 741,58 euros, en indemnisation des préjudices subis en raison de l'illégalité de l'arrêté du 23 juillet 2014 du préfet de la Seine-Saint-Denis portant fermeture de l'établissement " La maison des titis doudous " ;

2° de condamner l'Etat à verser à M. E... la somme de 237 578,45 euros et à Mme E... la somme de 329 426,84 euros, en indemnisation des préjudices propres résultant de l'arrêté précité ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros à chacun des trois requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'AFGED a subi les préjudices suivants : perte d'exploitation (94 435 euros), disparition du fonds de commerce (1 320 000 euros), frais de licenciement du personnel (256 192,27 euros) et remboursement de subventions reçues (470 114,31 euros) ;

- M. E... a subi les préjudices suivants : salaires non perçus (32 561 euros), perte de chance de percevoir des salaires futurs (128 766 euros), perte de droits à la retraite (66 251,45 euros) et troubles dans les conditions d'existence (10 000 euros) ;

- Mme E... a subi les préjudices suivants : salaires non perçus (22 994,71 euros), perte de chance de percevoir des salaires futurs (159 246,72 euros), perte de droits à la retraite (137 185,41 euros) et troubles dans les conditions d'existence (10 000 euros).

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Bouzar, rapporteur public,

- et les observations de Me F... pour Me A..., mandataire liquidateur de l'AFGED, et les époux E....

Une note en délibéré présentée pour l'AFGED et les époux E... a été enregistrée le 25 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 23 juillet 2014, le préfet de la Seine-Saint-Denis a, sur le fondement de l'article L. 2324-3 du code de la santé publique, prononcé la fermeture totale et définitive, valant retrait d'autorisation, de l'établissement d'accueil collectif non permanent d'enfants de moins de six ans, dénommé " La maison des titis doudous ", situé à Drancy et exploité par une association loi 1901, l'Association formation gestion et développement (AFGED), dont les gérants salariés sont alors M. et Mme E.... Par un jugement, devenu définitif, du 19 décembre 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté au motif qu'il n'avait pas été précédé de la procédure d'injonctions instituée par les dispositions de l'article précité du code de la santé publique. L'AFGED et les époux E... ont recherché la responsabilité de l'Etat en vue de réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de cet arrêté. Le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande par un jugement du 2 juillet 2015 dont l'AFGED et les époux E... ont relevé appel. Par un premier arrêt du 19 septembre 2017, la cour a annulé ce jugement pour irrégularité et, statuant par la voie de l'évocation, a jugé que le lien de causalité entre la faute de l'Etat et les préjudices subis par l'AFGED était établi. Estimant toutefois ne pas disposer, en l'état de l'instruction, des éléments lui permettant de se prononcer sur le montant des préjudices invoqués, la cour a fait application de l'article R. 621-1 du code de justice administrative et ordonné, avant dire droit, une expertise. Par un second arrêt du 10 juillet 2018, la cour a rejeté les conclusions aux fins d'indemnisation des chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise et alloué, au titre des chefs de préjudice non compris dans la mission d'expertise, une indemnité de 1 000 euros aux époux E... au titre du préjudice moral. Sur pourvoi formé par ceux-ci et par Me A..., mandataire liquidateur de l'AFGED, association placée en liquidation, le Conseil d'Etat a, par une décision n° 423960 du 26 février 2020, annulé l'arrêt du 10 juillet 2018 de la cour en tant qu'il statue sur les chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise, renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour et rejeté le surplus des conclusions indemnitaires du pourvoi.

Sur l'évaluation des chefs de préjudice compris dans la mission d'expertise :

2. S'il revient à la juridiction, selon l'article R. 621-12-1 du code de justice administrative, de tirer les conséquences du rapport de l'expert constatant les diligences accomplies et la carence résultant de l'absence de versement de l'allocation provisionnelle, il lui appartient néanmoins de statuer sur les conclusions dont elle demeure saisie au vu de l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction menée devant elle, jusqu'à la clôture de cette instruction.

3. Il ressort des pièces du dossier que, après que l'expert eut renoncé à poursuivre sa mission en l'absence de versement de l'allocation provisionnelle par les requérants, le rapport qu'il a remis à la cour mentionnait, outre le constat de carence, au titre des diligences qu'il avait effectuées, la liste des pièces qu'il avait estimé nécessaires à l'exercice de sa mission et que les époux E..., à la suite du dépôt de ce rapport, ont versées, pour l'essentiel, au dossier de la procédure devant la cour.

4. La cour de céans ayant estimé, dans son arrêt n° 15VE02992 du 19 septembre 2017, que le lien de causalité entre l'arrêté illégal du 23 juillet 2014 et les préjudices subis par l'AFGED était établi, il appartient désormais à la cour de déterminer ceux des préjudices allégués par cette association qui, présentant une relation directe et certaine avec cette illégalité fautive, sont indemnisables.

5. Les requérants demandent l'indemnisation de l'AFGED à raison du préjudice de perte de recettes d'exploitation, résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté de fermeture pris le 23 juillet 2014 par le préfet de la Seine-Saint-Denis et notifié le 6 août 2014, et subie au titre de la période allant de la date de réouverture de l'établissement, prévue le 11 août à l'issue des congés estivaux, à la notification, le 10 septembre 2014, de l'ordonnance de suspension du juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil. A cet égard, ils établissent, par les pièces versées à l'instance, en particulier une expertise comptable du 22 septembre 2014, que l'AFGED a subi une perte de recettes d'exploitation de 94 435 euros bruts, dont le ministre en défense ne conteste pas la réalité, soit une perte de recettes d'exploitation de 89 351 euros nets après soustraction d'un montant de charges courantes ressortant à la somme de 5 084 euros.

6. Le préjudice de perte de clientèle allégué trouve son origine dans les décisions de non-reconduction des conventions de réservation de places d'accueil d'enfants prises dès le 28 mai 2014 par le préfet de la Seine-Saint-Denis et le 6 juin 2014 par le président du conseil général de la Seine-Saint-Denis et est donc dépourvu de lien de causalité direct et certain avec l'illégalité fautive affectant la mesure ultérieure de fermeture de l'établissement en date du 23 juillet 2014. Le lien de causalité entre cette illégalité et le préjudice de perte de " fonds de commerce " allégué n'est pas davantage démontré.

7. Dans la mesure où les effets de l'arrêté du 23 juillet 2014 portant fermeture totale et définitive de l'établissement d'accueil ont été suspendus par l'ordonnance du 9 septembre 2014, notifié le lendemain, du juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil, le préjudice correspondant aux dépenses de licenciement du personnel exposés en novembre et décembre 2014 ne présente pas de relation de causalité directe et certaine avec l'illégalité fautive entachant la mesure de fermeture. Il en est de même du préjudice lié au remboursement de subventions allouées à l'association, dont le remboursement ne lui a été demandé qu'en décembre 2015 à raison de sa mise en liquidation judiciaire prononcée le 1er octobre 2015.

8. Aucun lien de causalité direct et certain entre l'illégalité fautive de l'arrêté du 23 juillet 2014 du préfet de la Seine-Saint-Denis et les préjudices invoqués par les époux E..., et tenant aux salaires non perçus à compter de février 2015, à la perte de chance de percevoir des salaires à la suite de leurs licenciements intervenus le 15 octobre 2015 et le 3 novembre 2015 et à la perte de leurs droits à la retraite, n'est prouvé. La nature et surtout l'ampleur des troubles dans les conditions d'existence allégués ne sont pas établis.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à Me A..., mandataire liquidateur de l'AFGED, une somme de 89 351 euros en indemnisation du préjudice correspondant à la perte de recettes d'exploitation subie par cette association au titre de la période du 11 août 2014 au 10 septembre suivant, du fait de l'illégalité fautive affectant l'arrêté du 23 juillet 2014 du préfet de la Seine-Saint-Denis portant fermeture totale et définitive de l'établissement " La maison des titis doudous ". Cette indemnité portera intérêts à compter du 26 septembre 2014, date de réception de la demande indemnitaire préalable par le préfet de la Seine-Saint-Denis, en application de l'article 1231-6 du code civil. La capitalisation des intérêts a été demandée le 13 novembre 2014. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 26 septembre 2015, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à partir de cette date, en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à Me A..., mandataire liquidateur de l'Association Formation Gestion et Développement (AFGED) sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les conclusions présentées pour les époux E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1 : L'Etat est condamné à verser à Me A..., mandataire liquidateur de l'Association Formation Gestion et Développement (AFGED) la somme de 89 351 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2014. Les intérêts échus à la date du 26 septembre 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Me A..., mandataire liquidateur de l'Association Formation Gestion et Développement (AFGED), au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée pour Me A..., mandataire liquidateur de l'Association Formation Gestion et Développement (AFGED), et les époux E... est rejeté.

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N° 20VE00713


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00713
Date de la décision : 14/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère indemnisable du préjudice - Questions diverses - Lien de droit.


Composition du Tribunal
Président : M. BRUMEAUX
Rapporteur ?: M. Benoist GUÉVEL
Rapporteur public ?: M. BOUZAR
Avocat(s) : BOUBOUTOU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-01-14;20ve00713 ?
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