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05/01/2021 | FRANCE | N°20VE00580

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 05 janvier 2021, 20VE00580


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la délibération du 15 septembre 2015 par laquelle le conseil d'administration de l'office public de l'habitat interdépartemental de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines (OPIEVOY) a fixé la composition du conseil d'administration en tant qu'elle donne effet à la désignation de M. B... A..., ainsi que la délibération du même jour le déclarant président du conseil d'administration.

Par un jugement n° 1507478 du 9 février

2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la délibération du 15 septembre 2015 par laquelle le conseil d'administration de l'office public de l'habitat interdépartemental de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines (OPIEVOY) a fixé la composition du conseil d'administration en tant qu'elle donne effet à la désignation de M. B... A..., ainsi que la délibération du même jour le déclarant président du conseil d'administration.

Par un jugement n° 1507478 du 9 février 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 1701119 du 4 octobre 2018, la cour a rejeté l'appel formé par M. D... contre le jugement du tribunal administratif de Versailles.

Par la décision n°425961 du 13 février 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour présenté par M. D..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 avril 2017, et deux mémoires enregistrés le 13 mars 2018 et le 17 mars 2020, M. D..., représenté par Me Derouesne, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement du 9 février 2017 du tribunal administratif de Versailles ainsi que la délibération du conseil d'administration de l'OPIEVOY du 15 septembre 2015 désignant M. A... comme président du conseil d'administration ;

2° de mettre à la charge de l'OPIEVOY le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. D... soutient que :

- la dissolution de l'OPIEVOY le 31 décembre 2016 n'a pas fait perdre son objet à la requête ;

- il dispose en tant qu'administrateur de l'OPIEVOY d'un intérêt pour agir ;

- l'interdiction posée par le code de la construction et de l'habitat ne conditionne pas l'interdiction au caractère opposable de la condamnation ; ainsi les modalités d'exécution de la peine sont sans incidence sur l'application de l'article L. 241-3 du code de la construction et de l'habitation ;

- l'interdiction revêt un caractère définitif compte tenu de sa finalité ;

- la circonstance que la peine soit non avenue ou qu'elle ne figure pas dans le bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé ne fait pas obstacle à l'application de l'interdiction de siéger au conseil d'administration d'un office d'HLM ;

- le Conseil d'Etat n'a pas transmis au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité déposée par le défendeur devant le tribunal administratif.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, et notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,

- les observations de Me E..., substituant Me G..., pour M. D..., et de Me H..., subsituant Me I..., pour la Fédération nationale des offices publics de l'habitat.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... D..., représentant des locataires au sein du conseil d'administration de l'office public de l'habitat interdépartemental de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines (OPIEVOY), a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la délibération du 15 septembre 2015 par laquelle l'Office public de l'habitat interdépartemental de l'Essonne, du Val-d'Oise et des Yvelines (OPIEVOY) a fixé la composition de son conseil d'administration en tant qu'elle donne effet à la désignation de M. A... ainsi que la décision du même jour par laquelle le conseil d'administration de l'OPIEVOY a déclaré M. B... A... élu en qualité de président. Par un jugement du 9 février 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande . Par une décision du 13 février 2020, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles rejetant la requête de M. D... dirigée contre la seconde délibération du 15 septembre 2015, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. Eu égard à la nature et à la mission des organismes d'habitation à loyer modéré, la circonstance que l'OPIEVOY a été dissous par décret du 27 décembre 2016, au cours de la procédure de première instance, n'a pas pour effet de rendre la requête de M. D... sans objet.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

3. M. D... était membre du conseil d'administration de l'OPIEVOY en tant que représentant des locataires, et justifiait ainsi d'un intérêt lui donnant qualité à agir à l'encontre de la délibération du conseil d'administration désignant M. A... comme président du conseil d'administration. La circonstance que l'OPIEVOY a été dissous le 31 décembre 2016, au cours de la première instance, n'a pas eu pour effet de lui faire perdre son intérêt et sa qualité à agir en appel à l'encontre du jugement rejetant sa demande.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

5. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance ci-dessus visée du 7 novembre 1958, " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance, " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".

6. Pour demander, par un mémoire distinct, que soit transmise au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L.241-3 et R.423-12 du code de la construction et de l'habitation, telles qu'elles sont interprétées par le Conseil d'Etat, la Fédération nationale des offices publics de l'habitat, agissant en qualité de liquidateur de l'OPIEVOY, soutient que cette interprétation donne lieu à une exclusion automatique et perpétuelle de l'accès à l'exercice de fonctions d'administration et de direction d'un OPHLM, ce qui est contraire au principe d'égalité et notamment d'égal accès aux emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789, et que ces dispositions qui revêtent un caractère répressif sont ainsi contraires au principe de proportionnalité et d'individualisation des peines.

7. Aux termes de l'article L. 423-12 du code de la construction et de l'habitation : " Nul ne peut être membre du conseil d'administration ou exercer une fonction de direction dans un organisme d'habitations à loyer modéré : / - s'il tombe sous le coup des interdictions prévues aux articles L. 241-3 et L. 241-4 (...) ". Aux termes de l'article L. 241-3 du même code : " Ne peuvent participer, en droit ou en fait, directement ou par personne interposée, à la fondation ou à la gestion des sociétés régies par le titre Ier du présent livre, d'une société régie par la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé ou d'une société de promotion immobilière ni à la conclusion d'un contrat de promotion immobilière ou de l'un des contrats régis par les articles L. 231-1 et L. 232-1 les personnes ayant fait l'objet de l'une des condamnations énumérées à l'article 1er de la loi n° 47-1435 du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles ou d'une condamnation à une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis pour l'une des infractions ci-après : / (...) 4° Soustraction commise par dépositaire public, concussion commise par fonctionnaire public, corruption de fonctionnaires publics et d'employés des entreprises privées, communication de secrets de fabrique (...) "

8. Ces dispositions ont pour objet d'assurer, à titre préventif, que les personnes désignées en tant que membres du conseil d'administration d'un organisme d'habitations à loyer modéré et susceptibles, le cas échéant, d'être élues à la présidence de ce même conseil, présentent les garanties d'intégrité et de moralité indispensables à l'exercice des fonctions d'administration, de gestion et de direction de ces organismes. Eu égard à leur caractère préventif, elles sont ainsi dépourvues de caractère répressif, et ne sauraient être regardées comme instituant une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, la Fédération nationale des offices publics de l'habitat ne peut utilement se prévaloir de la non-conformité de ces dispositions au principe constitutionnel de l'individualisation des peines, ni du caractère disproportionné en raison du caractère perpétuel et automatique de ces incompatibilités.

9. Concernant l'atteinte alléguée au principe d'égalité, en prévoyant que les personnes ayant fait l'objet de certaines condamnations pénales limitativement énumérées ne peuvent être membres du conseil d'administration ou exercer une fonction de direction dans un organisme d'habitations à loyer modéré, le législateur a institué, sans méconnaître le principe d'égalité, une exigence de capacités pour l'exercice de fonctions publiques qui, par sa portée, n'excède pas manifestement ce qui est nécessaire pour garantir l'intégrité et la moralité des fonctions concernées. Par suite, les dispositions des articles L. 241-3 et L. 423-12 du code de la construction et de l'habitation ne méconnaissent pas les exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée par la Fédération nationale des offices publics de l'habitat est dépourvue de caractère sérieux. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres conditions exigées par les dispositions organiques précitées, il n'y a ainsi pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur la légalité de la délibération attaquée :

11. Les dispositions combinées des articles L.241-3 et L. 423-12 précités du code de la construction et de l'habitation ont pour objet d'assurer, à titre préventif et sans limitation dans le temps, que les personnes désignées en tant que membres du conseil d'administration d'un organisme d'habitations à loyer modéré et susceptibles, le cas échéant, d'être élues à la présidence de ce même conseil, présentent les garanties d'intégrité et de moralité indispensables à l'exercice des fonctions d'administration, de gestion et de direction de ces organismes.

12. Par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 décembre 2006, M. B... A... a été reconnu coupable de recel d'abus de biens sociaux et de corruption passive, et condamné à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d'amende ainsi qu'à la privation de tous ses droits civiques et civils pendant une durée de trois ans. Cette condamnation a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 mai 2008, à l'exception de la peine d'amende dont le montant a été fixé à 25 000 euros, devenu définitif à la suite du rejet le 20 mai 2009 du pourvoi formé devant la Cour de cassation. Les faits reprochés dans le cadre d'attributions des marchés de nettoyage de la commune de Mantes-la-Jolie dont il était maire, révèlent un manquement à l'intégrité et la moralité et sont ainsi incompatibles avec les garanties exigées pour siéger au sein d'un conseil d'administration d'un office public d'habitat, et de nature à justifier l'interdiction posée par les dispositions précitées de l'article L.243-1 du code de la construction et de l'habitation. Eu égard à la finalité de cette interdiction, la Fédération nationale des offices publics de l'habitat ne peut utilement invoquer les dispositions des articles 132-5 du code pénal et 736 du code de procédure pénale relatives aux condamnations réputées non avenues.

13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande dirigée contre la délibération du 15 septembre 2015 du conseil d'administration de l'OPIEVOY désignant M. A... en qualité de président de ce conseil d'administration.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance le versement à la Fédération nationale des offices publics de l'habitat d'une somme au titre des frais exposés, y compris les droits de plaidoirie, non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fédération nationale des offices publics de l'habitat es qualité de liquidateur de l'OPIEVOY, une somme de 1500 euros à verser à M. D... à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la fédération nationale des offices publics de l'habitat.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 3 : La délibération du 15 septembre 2015 du conseil d'administration de l'OPIEVOY désignant M. A... comme président est annulée.

Article 4 : La Fédération nationale des offices publics de l'habitat versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par Fédération nationale des offices publics de l'habitat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

2

N° 20VE00580


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00580
Date de la décision : 05/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

38-04-01 Logement. Habitations à loyer modéré. Organismes d'habitation à loyer modéré.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : CABINET KGA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-01-05;20ve00580 ?
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