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10/12/2020 | FRANCE | N°19VE02871-19VE02872

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 10 décembre 2020, 19VE02871-19VE02872


Vu les procédures suivantes :

Sous le n° 19VE02871 :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite du maire de Bagneux du 12 juillet 2017 rejetant sa demande d'indemnisation, de condamner la commune de Bagneux à lui verser une somme de 17 216,01 euros en réparation de plusieurs préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2017 avec capitalisation des intérêts échus, et de mettre à la charge de la commune de Bagneux la somme de 5 000 euros au bé

néfice de son conseil, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 ...

Vu les procédures suivantes :

Sous le n° 19VE02871 :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite du maire de Bagneux du 12 juillet 2017 rejetant sa demande d'indemnisation, de condamner la commune de Bagneux à lui verser une somme de 17 216,01 euros en réparation de plusieurs préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2017 avec capitalisation des intérêts échus, et de mettre à la charge de la commune de Bagneux la somme de 5 000 euros au bénéfice de son conseil, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1708441 rendu le 6 juin 2019, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Bagneux à verser à Mme B... la somme de 9 216 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2017, les intérêts étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 12 mai 2018 et a mis à la charge de la commune de Bagneux la somme de 1 000 euros à verser au conseil de Mme B..., en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2019 et un mémoire enregistré le 21 octobre 2020, la commune de Bagneux, représentée par Me A..., avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de première instance de Mme B... ;

3° de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sur la régularité du jugement, en violation de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, le jugement qui lui a été notifié n'est pas signé ;

- le jugement mentionne à tort que la commune de Neuilly-sur-Seine a présenté des observations à la barre, ce qui constitue une violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- les premiers juges ont de surcroît omis de statuer sur les conclusions de Mme B... qui tendaient à l'annulation du rejet implicite de sa demande préalable indemnitaire ;

- sur le fond, le placement en disponibilité d'office de Mme B... pour inaptitude physique à compter du 26 janvier 2016, n'est pas constitutif d'une faute, non plus que les conditions dans lesquelles elle a été réintégrée, en particulier le retard allégué de sa réintégration ;

- à titre subsidiaire, le montant du préjudice financier n'est pas justifié, pas plus que celui du préjudice moral ;

- le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, par un jugement n° 1704997, la décision du 10 février 2017 du maire de Bagneux suspendant Mme B... de ses fonctions à compter du 13 février 2017 et les premiers juges ont estimé, dans le jugement n°1708441 du 6 juin 2019, que si l'illégalité entachant cette décision était constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Bagneux, Mme B... ne se prévalait toutefois d'aucun préjudice résultant de manière directe et certaine de cette illégalité.

.....................................................................................................

II. Sous le n° 19VE02872 :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du maire de Bagneux du 10 février 2017 portant suspension de fonctions à compter du 13 février 2017.

Par un jugement n° 1704997 rendu le 6 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et a mis à la charge de la commune de Bagneux la somme de 1 000 euros à verser à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 août 2019 et un mémoire enregistré le 21 octobre 2020, la commune de Bagneux, représentée par Me A..., avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de première instance de Mme B... ;

3° de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sur la régularité du jugement, le jugement qui lui a été notifié n'est pas signé, en violation de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement mentionne à tort que la commune de Neuilly-sur-Seine a présenté des observations à la barre, ce qui constitue une violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;

- l'arrêté de suspension de fonctions du 4 décembre 2015 a disparu de l'ordonnancement juridique par l'effet de la décision du 26 janvier 2016 portant placement en disponibilité d'office ;

- sur le fond, la première mesure de suspension conservatoire du 4 décembre 2015, n'empêchait pas la prise d'une seconde mesure similaire à compter du 13 février 2017, dès lors que le fait de bénéficier d'un congé maladie met fin à la suspension de fonctions ainsi qu'en a jugé le Conseil d'Etat dans la décision du 27 juin 2011 sous le n° 343837 et, qu'ainsi que le mentionne le jugement n°1604875 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l'arrêté du 14 mars 2016 a implicitement mais nécessairement retiré l'arrêté du 4 décembre 2015 portant suspension de fonctions à compter du 8 février 2016, qui ne s'est donc jamais appliqué ;

- l'arrêté du 10 février 2017 portant suspension conservatoire, qui n'avait pas à être motivé comme l'a affirmé le Conseil d'Etat le 8 mars 2006, dans la décision n° 262129, est en tout état de cause suffisamment motivé ;

- la suspension à titre conservatoire a été prise pour écarter l'intéressée du service car elle avait commis une faute grave au sens de la décision n° 93480 du Conseil d'Etat Dame Deleuse ;

- la commune fait valoir un témoignage et un extrait du procès-verbal du conseil de discipline selon lesquels, le 29 septembre 2014, Mme B... a tapé sur la main d'un enfant à la cantine car il ne respectait ni les autres, ni la nourriture, puis l'a écarté de la table.

.....................................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier ;

- le décret n° 86-68 du 13 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, hors cadres, de disponibilité, de congé parental des fonctionnaires territoriaux et à l'intégration ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public ;

- et les observations de Me D..., substituant Me A..., pour la commune de Bagneux.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., agent titulaire employé par la commune de Bagneux en qualité d'auxiliaire de puériculture en crèche depuis 1980, a été suspendue de ses fonctions par un arrêté du maire du 4 décembre 2015, notifié le 8 février 2016. Il lui était reproché d'avoir mis une tape sur la cuisse d'un enfant et d'avoir tiré les cheveux d'un autre, faits que l'intéressée ne conteste pas. Elle s'est vue prescrire un arrêt de travail par son médecin traitant du 7 au 20 décembre 2015, prolongé jusqu'au 24 janvier 2016. Le 26 janvier 2016, lors de la visite médicale de pré-reprise du travail, le docteur Bui, médecin de prévention de la commune, a estimé qu'il convenait de saisir le comité médical afin d'apprécier notamment, son aptitude aux fonctions d'auxiliaire de puériculture, et que dans l'attente de l'avis de ce comité, une inaptitude temporaire à ces fonctions était justifiée. A la demande de la commune, une expertise juridico-médicale a été effectuée le 11 mars 2016 par le docteur Chéron, qui a rendu son rapport le 4 avril 2016 et a conclu à l'imputabilité au service de l'arrêt de travail prescrit à compter du 4 décembre 2015 et d'autre part, à l'absence d'arguments médicaux justifiant d'une inaptitude définitive aux fonctions d'auxiliaire de puériculture. La commune de Bagneux a saisi le 8 février 2016 puis le 2 mai 2016, la commission de réforme afin de savoir si l'accident du 4 décembre 2015 était directement lié au service et ainsi, si les arrêts de maladie du 7 décembre 2015 au 24 janvier 2016 devaient être pris en charge par le service. La commission de réforme du 6 mars 2017 a répondu non aux deux questions.

2. Par arrêté du 14 mars 2016, le maire de Bagneux a placé Mme B... en disponibilité d'office à mi-traitement à compter du 26 janvier 2016. Il a diligenté une expertise dont le rapport, en date du 26 juillet 2016, conclut à l'aptitude à l'exercice des fonctions d'auxiliaire de puériculture à la date du 26 janvier 2016 à laquelle Mme B... a repris le travail à l'issue de son congé maladie. Par une ordonnance du 21 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu cet arrêté du 14 mars 2016 et a ordonné le versement du plein-traitement ainsi que de l'indemnité de résidence à compter de la notification de l'ordonnance de référé. Par un jugement n°1604875 du 1er juin 2017, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 14 mars 2016 et a enjoint à la commune de Bagneux de réintégrer Mme B... à compter du 26 janvier 2016 et de reconstituer sa carrière sous un mois à compter de la notification du jugement. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles n° 17VE02348 du 17 octobre 2019 devenu définitif.

3. Par un premier arrêté du 10 février 2017, notifié le 6 avril 2017, la commune de Bagneux a suspendu Mme B... de ses fonctions à compter du 13 février 2017. Par un second arrêté du 10 février 2017 notifié le 4 avril 2017, elle a réintégré rétroactivement Mme B... au sein de ses services, à compter du 22 octobre 2016. Par un courrier du 19 juillet 2017 Mme B... a été informée de son affectation, le jour même, à la crèche des Rosiers. L'arrêté du maire du 10 février 2017 suspendant Mme B... de ses fonctions à compter du 13 février 2017 a été annulé par le jugement n°1704997 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 juin 2019, au motif qu'il ne pouvait légalement prononcer la suspension de Mme B... pour des faits ayant déjà fait l'objet d'une telle mesure. Enfin, le comité médical départemental a rendu, le 23 août 2018, un avis favorable sur l'aptitude de Mme B... à exercer ses fonctions d'auxiliaire de puériculture.

4. Dans la requête sous le n° 19VE02872, la commune de Bagneux relève appel du jugement n° 1704997 du 6 juin 2019 annulant l'arrêté du 10 février 2017. Dans la requête sous le n° 19VE02871, la commune de Bagneux fait également appel du jugement n° 1708441 du 6 juin 2019 la condamnant, en particulier, à verser à Mme B... une somme de 9 216 euros au titre des préjudices financier et moral, majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2017, tandis que Mme B... demande de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 2 000 euros, pour lequel elle demande une somme de 10 000 euros.

Sur la jonction :

5. Les requêtes n° 19VE02871 et 19VE02872, enregistrées le 6 août 2019, concernent la situation d'un même fonctionnaire et présentent à juger de questions connexes liées aux suites d'un même évènement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués, n° 1708441 et n° 1704997 :

6. Tout d'abord, la commune de Bagneux soutient que les jugements qui lui ont été notifiés ne seraient pas signés, en violation de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Il est toutefois constant qu'elle s'est vue notifier les ampliations desdits jugements, lesquelles n'ont pas à être signées de façon manuscrite. Par ailleurs, il ressort aussi de l'examen des minutes de ces jugements qu'ils sont revêtus des signatures manuscrites des magistrats et du greffier d'audience, en conformité avec l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Ce moyen doit être écarté.

7. Ensuite, aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...) / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du deuxième alinéa de l'article R. 731-3 ont été entendus. / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée. ". La commune de Bagneux soutient que les jugements mentionnent à tort que la commune de Neuilly-sur-Seine a présenté des observations à la barre, ce qui selon elle, constitue une violation de l'article R. 741-2 du code de justice administrative en tant qu'il énonce que la décision juridictionnelle " contient le nom des parties ". Toutefois, la circonstance que le nom d'une autre commune aurait été mentionné dans les jugements après le visa du nom de son conseil et la mention de ses observations, relève d'une simple erreur matérielle. Au surplus, il n'est pas contesté par la commune de Bagneux que son conseil, présent à l'audience, a été mis à même de présenter des observations orales dans les conditions fixées par l'article R. 741-2 du code de justice administrative et que les jugements en litige du tribunal administratif de Cergy-Pontoise mentionnent de façon exacte, dans les visas des demandes, les motifs et les dispositifs, le nom des parties. Dès lors, la circonstance que les jugements entrepris contiendraient une erreur matérielle, n'est pas de nature à les entacher d'irrégularité.

8. Enfin, la commune de Bagneux soutient que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise aurait omis, dans son jugement sous le n°1708441, de statuer sur les conclusions de Mme B... qui tendaient à l'annulation du rejet implicite de sa demande préalable indemnitaire. Il ressort toutefois de l'examen du jugement attaqué, qui fait droit en grande partie à la demande indemnitaire de Mme B..., que les premiers juges ont implicitement mais nécessairement statué sur cette demande d'annulation et qu'aucune ambiguïté ne peut subsister après la lecture de ce jugement. Ce moyen doit ainsi être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 10 février 2017 :

9. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. ".

10. D'une part, par arrêté daté du vendredi 4 décembre 2015, Mme B... a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire à compter du 8 février 2016, date de notification, par le maire de la commune de Bagneux qui a souhaité " écarter temporairement Mme B... dans l'intérêt du service " et s'est fondé sur " le rapport du 4 décembre 2015 de (...) la directrice de la petite enfance, rapportant que Mme B..., auxiliaire de puériculture (...) exerçant à la crèche des petits moulins, a frappé un enfant et tiré les cheveux d'un autre. ". Toutefois, Mme B... a été placée en arrêt de maladie du lundi 7 décembre 2015 au 24 janvier 2016 sans que la suspension de fonctions édictée par l'arrêté daté du 4 décembre 2015 ne lui ait été communiquée puisqu'elle lui a été notifiée seulement le 8 février 2016. Il suit de là que la commune n'est pas fondée à soutenir que le congé de maladie de Mme B... aurait interféré avec l'effet de cet arrêté, ni à invoquer la décision Triquenaux du Conseil d'Etat, sous le n° 343837, qui ne s'applique pas à l'espèce.

11. D'autre part, par un arrêté du 14 mars 2016, qui retirait implicitement mais nécessairement l'arrêté du 4 décembre 2015 portant suspension de fonctions à compter du 8 février 2016, l'intéressée a été placée en disponibilité d'office à mi-traitement à compter du 26 janvier 2016. Toutefois, l'arrêté du 14 mars 2016 a été annulé par un jugement n°1604875 du 1er juin 2017 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, confirmé par l'arrêt n° 17VE02348 du 17 octobre 2019 de la Cour administrative d'appel de Versailles. L'annulation juridictionnelle de l'arrêté du 14 mars 2016 a eu pour conséquence, en particulier, de remettre en vigueur l'arrêté du 4 décembre 2015 portant suspension de fonctions de Mme B... à titre conservatoire, qui s'est ainsi appliqué à compter de sa date de notification, le 8 février 2016, et pour une période minimum de quatre mois.

12. Enfin, par l'arrêté litigieux du 10 février 2017 portant suspension de fonctions à titre conservatoire à compter du 13 février 2017, le maire a souhaité " écarter temporairement Mme B... dans l'intérêt du service " et s'est fondé sur " le rapport du 4 décembre 2015 de (...) la directrice de la petite enfance, rapportant que Mme B..., auxiliaire de puériculture (...) a frappé un enfant et tiré les cheveux d'un autre. ". Cet arrêté du 10 février 2017 se fonde, comme celui du 4 décembre 2015, sur le même rapport et les mêmes faits survenus à la crèche des Petits Moulins et a donc été pris en violation des dispositions citées au point 9 de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le préjudice financier :

13. L'arrêté du 14 mars 2016 pris par le maire de la commune de Bagneux plaçant Mme B... en disponibilité d'office pour inaptitude physique à compter du 26 janvier 2016, a été annulé par le jugement n°1604875 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour erreur de droit. L'illégalité affectant cette décision est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Bagneux. Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant une décision administrative.

14. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

15. Ni l'indemnité spéciale de sujétion des auxiliaires de puériculture ni la prime spéciale de la filière médico-sociale ne sont des primes destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liées à l'exercice des fonctions. Dès lors que Mme B... avait une chance sérieuse d'en bénéficier pendant toute la période comprise entre mars 2016 et juin 2017 inclus, il y a lieu de les prendre en compte dans l'évaluation du préjudice financier qu'elle a subi du fait de son éviction illégale du service. Il résulte de l'instruction que le traitement net moyen de Mme B... avant son éviction illégale du service était de 1 879,42 euros par mois. Le montant des sommes non perçues au titre de cette période, est donc de 13 667,28 euros. Il y a lieu d'en déduire les sommes versées à l'intéressée les 6 et 27 avril 2017, à savoir 4 990,06 euros, perçus au titre des traitements d'octobre 2016 à mars 2017 et 1 461,21 euros au titre du traitement d'avril 2017. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont mis à la charge de la commune de Bagneux le versement d'une somme de 7 216 euros au titre du préjudice financier résultant de son éviction illégale du service.

En ce qui concerne le préjudice moral :

16. Mme B..., agent titulaire et auxiliaire de puériculture depuis 1980, a été irrégulièrement évincée du service pendant toute la période comprise entre mars 2016 et le mois de juin 2017 inclus, en particulier à raison des conséquences de l'arrêté du 14 mars 2016 qui a été annulé par le juge administratif. Par une ordonnance rendue le 21 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a enjoint à la commune de Bagneux de réintégrer rétroactivement Mme B... à compter du 22 octobre 2016. Cette injonction a été reprise par le jugement collégial du 1er juin 2017 du même tribunal. Toutefois, par un arrêté du 10 février 2017, la commune de Bagneux s'est bornée à réintégrer rétroactivement Mme B... à compter du 22 octobre 2016 et non à compter du 26 janvier 2016, puis, par un courrier du 19 juillet 2017, à l'affecter à la crèche des Rosiers le jour même, en lui affirmant que sa carrière était reconstituée à compter du 26 janvier 2016, alors qu'il ressort de l'instruction qu'à cette date, la commune n'avait pas effectué cette reconstitution. Elle a ainsi commis plusieurs fautes de nature à engager sa responsabilité. Il est en outre constant que Mme B... a été privée, irrégulièrement, d'exercer ses fonctions d'auxiliaire en puériculture pendant près d'un an et demi, entre son retour de congé maladie le 26 janvier 2016 et jusqu'au 19 juillet 2017, alors qu'elle était, à cette période, apte à l'exercice desdites fonctions ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise réalisé le 26 juillet 2016 à la demande de la commune, ainsi que de l'avis du comité médical du 23 août 2018. Ces éléments relatifs aux circonstances de la privation de fonctions, constituent également une faute. L'inactivité subie par Mme B..., qui a été privée de la possibilité d'exercer ses fonctions, alors qu'elle travaillait sans discontinuer au sein des crèches de la commune, depuis plus de trente-cinq ans, combinée avec la brutalité administrative avec laquelle elle a été traitée par sa collectivité, est ainsi imputable aux diverses fautes commises par la commune de Bagneux. Par suite, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des éléments constitutifs du préjudice moral subi par Mme B... en portant à 5 000 euros la somme mise par les premiers juges à la charge de la commune au titre de ce chef de préjudice.

17. Il résulte de tout qui précède, que la commune de Bagneux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 10 février 2017 et l'a condamnée à verser à Mme B... la somme de 9 216 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2017 avec capitalisation des intérêts. En conséquence, ses conclusions à fin d'annulation des jugements attaqués doivent être rejetées, ainsi que ses conclusions à fins d'injonction.

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soient mises à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante, les sommes réclamées à ce titre par la commune de Bagneux. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bagneux une somme de 2 000 euros, dans chacune des deux affaires, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, soit une somme totale de 4 000 euros à verser à Mme B....

DÉCIDE :

Article 1er : Les requêtes de la commune de Bagneux sont rejetées.

Article 2 : La somme que la commune de Bagneux a été condamnée à verser à Mme B... par le jugement du 6 juin 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sous le n° 1708441, au titre de l'indemnisation du préjudice moral, est portée à 5 000 euros et ce jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Bagneux versera une somme de 4 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... est rejeté.

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Nos19VE02871...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02871-19VE02872
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Marie-Cécile MOULIN-ZYS
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SELARL GAIA ; SELARL GAIA ; SELARL GAIA

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-12-10;19ve02871.19ve02872 ?
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