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10/12/2020 | FRANCE | N°18VE00333

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 10 décembre 2020, 18VE00333


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision par laquelle la commission de recours des militaires a implicitement rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices matériel et moral subis à raison des agissements discriminatoires de sa hiérarchie, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 923 504 euros en réparation de ses préjudices assortie des intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable

et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision par laquelle la commission de recours des militaires a implicitement rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices matériel et moral subis à raison des agissements discriminatoires de sa hiérarchie, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 923 504 euros en réparation de ses préjudices assortie des intérêt au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L . 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1408582 du 24 novembre 2017, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 24 janvier 2018 et

26 février 2018, M. A..., représenté par Me Cohen-Sabban, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en ce qu'il ne lui a alloué que la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 387 504 euros en réparation de son préjudice financier subi et la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de sa demande indemnitaire préalable ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a méconnu son office, le jugement attaqué étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il affirme que son préjudice financier ne peut être regardé comme résultant de la faute personnelle commise par son supérieur hiérarchique ;

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs en ce qu'il admet la responsabilité de l'Etat mais n'indemnise pas son préjudice financier ;

- la responsabilité de l'administration est engagée à raison de la faute personnelle commise par son supérieur hiérarchique dans l'exercice de ses fonctions ;

- cette faute personnelle lui a causé un préjudice lié à un retard dans sa carrière ainsi qu'au fait qu'il ait par la suite quitté la gendarmerie, qu'il convient de réparer en lui versant la somme de 387 504 euros ;

- cette faute personnelle lui a également causé un préjudice moral, qu'il convient de réparer en lui versant la somme de 50 000 euros.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 75-1214 du 22 décembre 1975 ;

- le décret n° 2008-952 du 12 septembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Clot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a incorporé l'école des sous-officiers de gendarmerie de Libourne (Gironde) le 17 février 2004 et a été affecté, à l'issue de sa scolarité, au sein d'un peloton de véhicules blindés de l'escadron 14/1 de gendarmerie mobile (" EGM 14/1 ") de Versailles-Satory (Yvelines). Le 2 octobre 2009, il a saisi conjointement avec cinq de ses collègues la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) d'une réclamation tendant à dénoncer des faits de harcèlement discriminatoire commis par sa hiérarchie. Par une décision du 26 mars 2012, le Défenseur des droits a reconnu " l'existence d'une violation du principe d'égalité et de non-discrimination à raison de l'origine et de la religion des six réclamants s'étant notamment traduite par des faits de harcèlement discriminatoire à leur égard " et a émis plusieurs recommandations, parmi lesquelles l'indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par les intéressés. M. A... a adressé à l'administration, par courrier en date du 29 janvier 2014, une demande préalable indemnitaire dont elle a accusé réception

le 4 février 2014. Par une décision du ministre de l'intérieur en date du 5 mars 2014, cette demande a été rejetée. M. A... a contesté cette décision devant la commission de recours des militaires par un courrier en date du 2 mai 2014 et reçu le 14 mai 2014. Il relève appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles du 24 novembre 2017 qui a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. A... soutient que le tribunal a méconnu son office dès lors que le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une contradiction de motifs. De tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé de ce jugement, sont sans incidence sur sa régularité et doivent dès lors être écartés.

Au fond :

Sur l'exception de prescription :

3. Le ministre s'en rapporte dans son mémoire en défense à ses écritures de première instance jointes à ce mémoire dans lequel il invoquait l'exception de prescription quadriennale. Toutefois, le ministre se borne en appel à conclure à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête. Ainsi, en l'absence de conclusions incidentes, il n'y a pas lieu de se prononcer sur cette exception de prescription.

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. M. A... demande réparation à l'Etat à raison des agissements et propos discriminatoires qu'il a subis au sein de l'escadron 14/1 de Versailles-Satory du fait de son supérieur hiérarchique, qui lui ont causé un préjudice moral, ont retardé la progression de sa carrière et l'ont finalement poussé à quitter la gendarmerie.

En ce qui concerne les agissements et propos discriminatoires :

5. D'une part, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure ou une pratique a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. D'autre part, la victime non fautive d'un préjudice causé par l'agent d'une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent est commis à l'occasion de l'accomplissement du service ou n'est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l'agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service. Cette dernière circonstance permet seulement à l'administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d'engager une action récursoire à l'encontre de son agent.

7. Il résulte de l'instruction que le supérieur hiérarchique de M. A... a tenu à de multiples reprises, à son égard ainsi qu'à celui de plusieurs autres sous-officiers de l'escadron, des propos déplacés visant l'origine ethnique ou la couleur de peau. Ces agissements sont notamment établis par une enquête de gendarmerie ainsi que par la décision du Défenseur des droits du 26 mars 2012. Le supérieur hiérarchique de M. A... a d'ailleurs fait l'objet d'une sanction disciplinaire portée à quarante jours d'arrêts en raison de ces propos discriminatoires. La circonstance que l'administration aurait immédiatement réagi afin de faire cesser ces agissements et aurait sanctionné le supérieur hiérarchique concerné n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité, les faits imputés à son agent ayant été commis à l'occasion de son service et dans l'exercice de ses fonctions. Dans ces conditions, les agissements du supérieur hiérarchique de M. A... sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne les préjudices :

8. En premier lieu, M. A... soutient que les propos et agissements discriminatoires de son supérieur hiérarchique ont impacté sa manière de servir et ses évaluations, lui ont fait perdre une chance sérieuse de passer aux grades supérieurs et l'ont finalement contraint à quitter l'escadron le 5 novembre 2012. Il affirme être aujourd'hui au chômage et rechercher un emploi en tant qu'agent de sécurité privée. Il sollicite la somme de 387 504 euros en réparation du préjudice financier constitué par la perte de son salaire au titre de l'année 2013 ainsi que par la différence entre le salaire d'agent de sécurité privée qu'il devrait percevoir et le salaire du grade d'adjudant dont il aurait pu bénéficier s'il n'avait pas quitté l'escadron, à compter de l'année 2014 et jusqu'à la date à laquelle il pourra faire valoir ses droits à la retraite à taux plein.

9. Il résulte des dispositions du décret portant statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie que les sous-officiers de gendarmerie de carrière sont recrutés au choix parmi les sous-officiers de gendarmerie engagés, qui ont demandé leur admission à l'état de sous-officier de carrière, qui remplissent des conditions d'ancienneté et qui sont titulaires du certificat d'aptitude technique. Les promotions au grade supérieur ont lieu exclusivement au choix.

10. Il résulte de l'instruction que M. A... a intégré l'escadron 14/1 de Versailles-Satory le 4 juillet 2005 en qualité de sous-officier sous contrat, avant d'obtenir son certificat d'aptitude technique en 2007, et d'être nommé sous-officier de carrière de la gendarmerie par une décision du 31 mars 2008. Ses notations depuis son admission en qualité de sous-officier de gendarmerie ont régulièrement progressé, reflétant une manière de servir globalement satisfaisante et de niveau comparable à celle de ses collègues placés dans la même situation. Il n'est pas établi que les propositions de notation dont il a fait l'objet par son supérieur hiérarchique à l'origine des agissements discriminatoires en litige, ne reflétaient pas exclusivement sa manière de servir. En outre, sa notation de 2012, établie par un autre supérieur hiérarchique, fait état de nombreuses critiques sur l'attitude et les capacités de M. A.... Dès lors, il n'est pas établi que la carrière de M. A... aurait été retardée en raison des agissements discriminatoires de son supérieur hiérarchique entre 2005 et 2009, l'intéressé ayant notamment pu obtenir le CAT en 2007 et devenir gendarme de carrière en 2008 lors de sa première demande. En outre, M. A... a obtenu le grade de maréchal des logis-chef en septembre 2012 et n'apporte aucun élément de nature à établir que les agissements en litige ne lui auraient pas permis d'être nommé dès 2013 au grade adjudant, ce passage se faisant exclusivement au choix et nécessitant une ancienneté de deux ans dans le grade inférieur. S'il indique également avoir dû quitter la gendarmerie le 5 novembre 2012, il n'est nullement établi que ce départ résulterait de pressions exercées sur l'intéressé ou serait en lien avec les agissements de son supérieur hiérarchique entre 2005 et 2009. Ainsi, M. A... n'établit pas l'existence d'un préjudice de carrière trouvant son origine directe dans les agissements de son supérieur hiérarchique.

11. En second lieu, M. A... demande une somme de 50 000 euros à raison du préjudice moral qu'il a subi du fait des agissements de sa hiérarchie. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément nouveau et pertinent de nature à remettre en cause la juste appréciation de ce préjudice par le tribunal qui a condamné l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 février 2014.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à M. A... une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

2

N° 18VE00333


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE00333
Date de la décision : 10/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

08-01-01-08-04 Armées et défense. Personnels militaires et civils de la défense. Questions communes à l'ensemble des personnels militaires.


Composition du Tribunal
Président : M. CAMENEN
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: M. CLOT
Avocat(s) : AARPI COHEN-SABBAN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-12-10;18ve00333 ?
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