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08/12/2020 | FRANCE | N°19VE00526

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 08 décembre 2020, 19VE00526


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASU EQUINIX FRANCE a demandé au Tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de

226 615 euros mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 et des pénalités correspondantes, d'autre part, de rétablir son crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 à hauteur de 612 497 euros.

Par un jugement nos 1704569 et 1710414, du 3 janvier 2019

, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASU EQUINIX FRANCE a demandé au Tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de

226 615 euros mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 et des pénalités correspondantes, d'autre part, de rétablir son crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 à hauteur de 612 497 euros.

Par un jugement nos 1704569 et 1710414, du 3 janvier 2019, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2019, et des mémoires complémentaires enregistrés les 24 juillet 2019, 21 octobre 2019, 20 mars 2020, 26 août 2020 et 20 octobre 2020, la SASU EQUINIX FRANCE, représentée par Me C... et Me A..., avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

La SASU EQUINIX FRANCE soutient que l'administration a fait une inexacte application des règles de territorialité ; les prestations de service livrées à ses clients assujettis dans un autre Etat membre sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article 259 du code général des impôts ; ces prestations ne peuvent être rattachées à un immeuble situé en France, dès lors que les conditions contractuelles ne confèrent pas à ses clients un droit d'utilisation de nature immobilière et que le service rendu présente une nature principalement informatique et non immobilière.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

- la directive 2006/112/ CE du Conseil du 28 novembre 2006,

- le code général des impôts,

- l'arrêt C-215/19 du 2 juillet 2020 de la Cour de justice de l'Union européenne,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique,

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public,

- les observations de Me A... pour la SASU EQUINIX FRANCE.

Considérant ce qui suit :

1. La SASU EQUINIX FRANCE exerce une activité d'hébergement d'infrastructures informatiques dans quatre centres de données situés en région parisienne permettant à ses clients de s'interconnecter avec leurs partenaires commerciaux. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 26 novembre 2013 au 9 juillet 2014 portant sur les exercices 2010 à 2012, à l'issue de laquelle le service a remis en cause l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qu'elle avait pratiquée au bénéfice de ses clients établis hors de France. Par une proposition de rectification du 11 juillet 2014, confirmée en réponse aux observations du contribuable le 28 mars 2017, le service lui a notifié, selon la procédure de rectification contradictoire, des rappels de taxe de 226 615 euros au titre de l'exercice 2011 et a remis en cause son crédit de TVA de 612 497 euros au titre de l'année 2012. Saisie sur demande du contribuable, la commission départementale des impôts a émis un avis favorable à l'abandon de ces rectifications. La SASU EQUINIX France fait appel du jugement du 3 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge de ces impositions.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. L'article 47 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose que : " Le lieu des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, y compris les prestations d'experts et d'agents immobiliers, la fourniture de logements dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, tels que des camps de vacances ou des sites aménagés pour camper, l'octroi de droits d'utilisation d'un bien immeuble et les prestations tendant à préparer ou à coordonner l'exécution de travaux immobiliers, telles que celles fournies par les architectes et les entreprises qui surveillent l'exécution des travaux, est l'endroit où ce bien immeuble est situé." Aux termes de l'article 259 du code général des impôts : " Le lieu des prestations de services est situé en France : / 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle ; (...) ". Aux termes de l'article 259 A du même code : " Par dérogation à l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : / (...) 2° Les prestations de services se rattachant à un bien immeuble situé en France (...) ".

3. Pour imposer à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations de colocation de centre de données délivrées par la SASU EQUINIX FRANCE à ses clients établis hors de France, l'administration fiscale a considéré que ces prestations se rattachaient à un immeuble au sens du 2° de l'article 259 A du code général des impôts.

4. Toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-215/19 du 2 juillet 2020 les services d'hébergement en centre de données dans le cadre desquels le prestataire de ces services met à la disposition de ses clients, afin qu'ils y installent leurs serveurs, des baies de brassage et leur fournit des biens et des services accessoires, tels que de l'électricité et divers services destinés à assurer l'utilisation de ces serveurs dans des conditions optimales, ne constituent pas des services se rattachant à un bien immeuble, au sens des dispositions de l'article 47 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, lorsque ces clients ne jouissent pas d'un droit d'usage exclusif de la partie de l'immeuble dans laquelle sont installées les baies de brassage.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment du contrat-cadre définissant les conditions auxquelles la SASU EQUINIX FRANCE propose ses prestations d'hébergeur et gestionnaire de centre de données, que celles-ci comportent la réalisation de travaux d'installation, l'hébergement des équipements informatiques du client, la mise à disposition d'espaces de bureaux le cas échéant, et la fourniture de services en lien avec l'hébergement, moyennant le paiement de frais d'installation, de redevances mensuelles couvrant la mise à disposition d'un espace client, l'alimentation électrique et les prestations de connexion, et de charges ponctuelles. Ces services forment une prestation unique. Le contrat conclu précise qu'il ne confère aucun droit réel ou de nature locative sur l'espace mis à disposition du client, que le prestataire se réserve la faculté de déplacer les équipements dans un autre centre de données lorsque les circonstances l'exigent, et que le client doit désigner un représentant ainsi que les personnes autorisées à accéder au centre de données et à son espace de stockage. Dans ces conditions, alors même que le contrat prévoit l'affectation d'un " espace sécurisé non privatif mis à la disposition du client dans le data centre pour qu'il y installe ses équipements et utilise les services d'Equinix ", l'hébergement dans le centre de données appartenant à la

SASU EQUINIX FRANCE des serveurs appartenant aux clients ne confère pas à ces derniers un droit d'usage exclusif sur une partie d'immeuble. Par ailleurs, le service d'interconnexion proposé par la société requérante, qui nécessite de relier physiquement les serveurs de ses clients au réseau Equinix par des câbles, n'a pas pour effet de conférer à l'ensemble de la prestation un caractère immobilier prépondérant. Il s'ensuit que les prestations de service effectuées par la SASU EQUINIX FRANCE ne peuvent être regardées comme se rattachant à des biens immeubles situés en France au sens des dispositions du 2° de l'article 259 A du code général des impôts. Ces prestations complexes ne peuvent pas davantage être assimilées à des livraisons d'électricité au sens du III de l'article 258 du même code.

6. Il résulte de ce qui précède que la SASU EQUINIX FRANCE est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande au motif que ses prestations entraient dans les prévisions du 2° de l'article 259 A du code général des impôts. Toutefois, il y a lieu pour la cour, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de défense invoqués par l'administration et non expressément abandonnés en appel.

Sur la recevabilité de la demande de première instance en ce qui concerne le crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 :

7. Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales : " La direction générale des finances publiques ou la direction générale des douanes et droits indirects, selon le cas, statue sur les réclamations dans le délai de six mois suivant la date de leur présentation. Si elle n'est pas en mesure de le faire, elle doit, avant l'expiration de ce délai, en informer le contribuable en précisant le terme du délai complémentaire qu'elle estime nécessaire pour prendre sa décision. Ce délai complémentaire ne peut, toutefois, excéder trois mois (...) ". Aux termes de l'article R. 199-1 du même livre : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation, que cette notification soit faite avant ou après l'expiration du délai de six mois prévu à l'article R. 198-10 / Toutefois, le contribuable qui n'a pas reçu la décision de l'administration dans un délai de six mois mentionné au premier alinéa peut saisir le tribunal dès l'expiration de ce délai. / (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de silence gardé par l'administration fiscale sur la réclamation pendant six mois, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif, le délai de recours contentieux ne pouvant par ailleurs courir à son encontre tant qu'une décision expresse de rejet de sa réclamation, laquelle doit être motivée et, conformément aux prévisions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, comporter la mention des voies et délais de recours, ne lui a pas été régulièrement notifiée.

8. Par une réclamation en date du 30 septembre 2016, la SASU EQUINIX FRANCE a contesté le supplément de TVA de 226 615 euros mis en recouvrement le 29 août 2016 au titre de la période du 1er au 31 décembre 2011, ainsi que la remise en cause de son crédit de taxe de 612 497 euros au titre de la période du 1er au 31 décembre 2012. Si l'administration fiscale a rejeté cette réclamation par une décision du 28 mars 2017 dont il est constant qu'elle a été notifiée à la société requérante le 31 mars 2017, cette décision porte exclusivement sur le rappel de droits dû au titre de la période du 1er au 31 décembre 2011 et ne se prononce pas sur le crédit de taxe revendiqué au titre de la période du 1er au 31 décembre 2012. La

SASU EQUINIX FRANCE est par suite fondée à soutenir que, sa réclamation préalable relative à l'année 2012 n'ayant pas été rejetée par une décision motivée, sa demande enregistrée le

23 novembre 2017 au Tribunal administratif de Montreuil n'était pas tardive.

9. Il résulte de ce qui précède que la SASU EQUINIX France est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, ainsi que le rétablissement du crédit de TVA annulé au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SASU EQUINIX FRANCE non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement nos 1704569 et 1710414 du 3 janvier 2019 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La SASU EQUINIX FRANCE est déchargée des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, et des pénalités afférentes.

Article 3 : Le crédit de taxe sur la valeur ajoutée annulé au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 est rétabli.

Article 3 : L'Etat versera à la SASU EQUINIX FRANCE une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 19VE00526


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19VE00526
Date de la décision : 08/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-01-02 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Personnes et opérations taxables. Territorialité.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CABINET FIDAL DIRECTION INTERNATIONALE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-12-08;19ve00526 ?
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