La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2020 | FRANCE | N°18VE01453

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 17 novembre 2020, 18VE01453


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C..., Mme D... C... et Mme E... C... ont demandé, à titre principal, au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 297 395,7 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis résultant du décès de leur épouse et mère Mme B... A... épouse C... à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée le 20 février 2006 au Centre hospitalier d

e Longjumeau.

Par un jugement n° 1401498 du 21 février 2018, le Tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C..., Mme D... C... et Mme E... C... ont demandé, à titre principal, au Tribunal administratif de Versailles de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 297 395,7 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis résultant du décès de leur épouse et mère Mme B... A... épouse C... à la suite d'une intervention chirurgicale réalisée le 20 février 2006 au Centre hospitalier de Longjumeau.

Par un jugement n° 1401498 du 21 février 2018, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'ONIAM à verser à M. C... la somme de 186 192,6 euros, à Mme D... C... celle de 19 083 euros et à Mme E... C... celle de 20 309,4 euros en réparation de leurs préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 26 avril 2018 et 4 mars 2020, l'ONIAM, représenté par Me Fitousi, avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de :

1° réformer le jugement attaqué ;

2° condamner le centre hospitalier de Longjumeau à réparer les préjudices résultant de la perte d'une chance d'éviter le décès de 95 % et par conséquent de limiter la part du dommage à la charge de l'ONIAM à 5%, subsidiairement, d'ordonner une expertise ;

3° de réduire les indemnisations accordées aux consorts C... ;

4° de mettre à la charge de toute partie perdante une somme de 2 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le centre hospitalier a commis plusieurs fautes dans la surveillance postopératoire de la patiente consistant dans le non-respect des prescriptions du médecin anesthésiste et dans l'absence d'appel à un médecin devant les chutes de la tension artérielle qu'elle a présentées, à l'origine de la perte d'une chance majeure d'éviter le décès car l'hémorragie, si elle avait été correctement prise en charge, n'aurait pas conduit à ce dernier ;

- il n'a pas pu participer aux opérations relatives à l'expertise ordonnée par le juge pénal ;

- le montant alloué aux consorts C... au titre de leur préjudice économique doit être réformé car il convient de déduire les montants du capital décès, de tenir compte des revenus de M. C... postérieurement au décès de son épouse pour évaluer son préjudice économique futur et de la part d'autoconsommation de son revenu par la défunte au regard des revenus de son foyer et non pas seulement de son revenu propre.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grossholz, rapporteur,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 20 février 2006, à l'âge de 39 ans, Mme B... C... a subi une hystérectomie au sein du centre hospitalier de Longjumeau. Le lendemain, elle a présenté un arrêt cardiaque à 13 heures 40 minutes et elle est décédée des suites d'une hémorragie intraabdominale. Par un jugement n°1401498 du 21 février 2018, dont l'ONIAM relève appel, le Tribunal administratif de Versailles ayant écarté toute faute du Centre hospitalier et retenu que les conditions de la réparation au titre de la solidarité nationale étaient remplies, a condamné l'ONIAM à verser à M. C..., époux de la victime directe, la somme de 186 192,6 euros et à Mme D... C... et Mme E... C..., leurs deux enfants celles de 19 083 euros et 20 309,4 euros respectivement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'entre elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

3. Il résulte de l'instruction qu'aucune faute dans la réalisation de l'acte chirurgical n'a été mise en cause par le rapport d'expertise, ordonnée par le juge pénal et déposé au cabinet d'instruction du Tribunal de grande instance d'Evry le 28 octobre 2008, rédigé par les Docteurs Duron, Milliez et Pourriat. M. C... et ses enfants de se prévalent d'ailleurs d'aucun manquement du centre hospitalier à ce titre. Toutefois, si les premiers juges ont également écarté toute faute du centre hospitalier de Longjumeau dans la prise en charge médicale post-opératoire de Mme B... C..., l'ONIAM invoque, d'une part, une faute consistant dans le non-respect des prescriptions du médecin anesthésiste de deux numérations de la formule sanguine (NFS), devant être effectuées le jour même de l'intervention à 18h puis le lendemain matin respectivement, et d'autre part, une faute dans la surveillance de la patiente dans la nuit qui a suivi son intervention chirurgicale alors que cette dernière était l'objet de baisses récidivantes de la tension artérielle traitées par l'infirmière par administration de Voluven sans qu'un médecin n'en soit informé. Or les termes du rapport d'expertise rédigé par les Docteurs Duron, Milliez et Pourriat ne permettent pas d'établir que le non-respect des prescriptions du médecin anesthésiste n'aurait pas présenté, en l'espèce, de caractère fautif, qui ne saurait se déduire de la seule circonstance, mentionnée par ce rapport, que la prescription du premier de ces deux examens ne correspondait pas aux " pratiques habituelles " du chirurgien, alors que la patiente présentait, dans les suites immédiates de l'intervention chirurgicale, plusieurs signes cliniques et biologiques de nature à alerter l'équipe médicale sur un risque hémorragique. Il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'une telle faute, si elle devait être retenue, ne serait pas à l'origine de la perte d'une chance d'éviter le dommage, dès lors notamment qu'il ressort des termes de ce rapport d'expertise qu'une analyse sanguine pratiquée le lendemain de l'intervention aurait " vraisemblablement " montré une numération globulaire anormale et permis d'alerter l'équipe médicale sur la déglobulisation dont Mme C... était victime alors que le risque de saignement constitue un attendu et redouté après une intervention abdominale. Par ailleurs, alors que des chutes de tension de la patiente ont été constatées très régulièrement dans la nuit du 20 au 21 février sous la forme d'une hypotension majeure associée à un malaise, les infirmières n'ont pas signalé ces incidents répétés au médecin. Or l'instruction ne permet pas d'établir que cette abstention ne présenterait pas de lien de causalité avec la perte d'une chance d'éviter le dommage, alors que le rapport d'expertise mentionne également qu'elle a empêché que soient pratiqués des examens complémentaires qui auraient pu permettre de diagnostiquer et de prendre en charge plus précocement l'hémorragie intraabdominale à l'origine du décès de la patiente et donc augmenter ses chances de survie. En l'état de l'instruction, le juge n'est donc pas en mesure de se prononcer sur l'existence d'un manquement du centre hospitalier de Longjumeau dans la prise en charge post opératoire de Mme B... C... au regard des connaissances médicales avérées et des données acquises de la science à l'époque des faits compte tenu de l'état de santé de l'intéressée, à l'origine pour elle de la perte d'une chance d'éviter le décès, ni sur le taux d'une telle perte de chance. Par suite, il y a lieu pour la cour, avant dire droit sur la requête, d'ordonner une nouvelle expertise médicale aux fins indiquées par le dispositif ci-après.

DECIDE :

Article 1er : Il sera, avant dire droit, dans un délai de trois mois, procédé à une expertise avec mission pour deux experts, un gynécologue obstétricien et un anesthésiste-réanimateur :

- de prendre connaissance de l'entier dossier médical de Mme B... C..., de se faire communiquer tous les documents et pièces nécessaires à la bonne exécution de leur mission, notamment le rapport d'expertise déposé le 28 octobre 2008 et le rapport d'autopsie déposé le 21 mars 2006 ;

- de donner leur avis sur le point de savoir :

1° si le fait de ne pas avoir réalisé de numération de la formule sanguine (NFS), en dépit des prescriptions de l'anesthésiste, le 21 février 2006 ou au, au plus tard, au lendemain matin de l'intervention, était justifié au regard des connaissances médicales avérées et des données acquises de la science à l'époque des faits compte tenu de l'état de santé de la patiente au cas d'espèce ;

2° en cas de réponse positive à la première question de dire selon quelle probabilité cet examen, s'il avait été réalisé, aurait permis, directement ou indirectement, de diagnostiquer l'hémorragie intraabdominale en cours et de la prendre en charge ;

3° si le fait pour les infirmières de ne pas avoir informé un médecin des troubles de la tension récurrents présentés par la patiente, à savoir, les chutes de tension artérielle et le malaise, constatés notamment le 20 février 2006 au soir et dans la nuit du 20 au 21 février 2006, a été conforme aux bonnes pratiques médicales ;

4° selon quelle probabilité un examen clinique et/ou des examens complémentaires (NFS, scanner, échographie abdominale, ...) auraient-ils été prescrits si les infirmières avaient informé un médecin de la situation décrite au point précédent ' Selon quelle probabilité de tels examens, s'ils avaient été réalisés, auraient-ils conduit, directement ou indirectement, à diagnostiquer l'hémorragie intraabdominale '

5° Si l'hémorragie avait été diagnostiquée à la suite de la réalisation de la NFS le 21 février 2006 au matin ou à la suite des éventuels autres examens mentionnés aux points précédents, selon quelle probabilité cette prise en charge aurait-elle permis d'éviter le décès de la patiente.

Les experts disposeront des pouvoirs d'investigations les plus étendus. Ils pourront faire toutes constatations ou vérifications propres à faciliter l'accomplissement de leur mission et éclairer le tribunal.

Article 2 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre les consorts C..., la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, le Centre hospitalier général de Longjumeau et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 3 : Les experts accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

N° 18VE01453 2

2


Type d'affaire : Administrative

Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Caroline GROSSHOLZ
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 17/11/2020
Date de l'import : 28/11/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18VE01453
Numéro NOR : CETATEXT000042531626 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-11-17;18ve01453 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award