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24/09/2020 | FRANCE | N°19VE03940

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 24 septembre 2020, 19VE03940


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Vivendi a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005, ainsi que des intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 1 133 295 euros.

Par un jugement n° 1308860 du 15 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des m

moires complémentaires, enregistrés les 7 août 2015, 7 avril 2016 et 23 novembre 2017, la soci...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Vivendi a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005, ainsi que des intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 1 133 295 euros.

Par un jugement n° 1308860 du 15 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 7 août 2015, 7 avril 2016 et 23 novembre 2017, la société Vivendi, représentée par Me Vialaneix, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de la décharger des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Vivendi soutient que :

- en s'abstenant de rouvrir l'instruction et de communiquer le mémoire produit par le ministre le 29 mai 2015, soit postérieurement à la clôture d'instruction, le tribunal administratif ne lui a pas garanti la plénitude de ses droits, entachant ainsi son jugement d'irrégularité ;

- il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir produit des pièces justificatives lui incombant en vertu des règles de distinction entre les différentes dépenses et de charge de la preuve qui en découlent, lesquelles ne figurent dans aucun texte législatif et résultent seulement d'une jurisprudence du Conseil d'Etat postérieure au contrôle fiscal dont elle a fait l'objet ;

- les éléments permettant d'expliquer les opérations figurent au demeurant dans les documents publiés par la société Vivendi Universal, qui sont librement accessibles sur internet ;

- la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux honoraires versés au cabinet d'avocats Orrick, au titre de ses interventions lors du transfert de la garantie de renouvellement, est déductible dès lors que ces dépenses présentent un caractère préparatoire à la cession leur conférant ainsi une présomption de déductibilité, ou se rapportent à l'activité de support aux filiales du groupe et non pas à la cession des titres ;

- il appartient à l'administration de démontrer le contraire ;

- elle peut en tout état de cause déduire ces frais dès lors qu'ils n'ont pas pu être incorporés au prix de cession ;

- la taxe est également déductible puisque la cession de titres, faite dans un objectif de désendettement d'un groupe présenté comme étant en quasi cessation de paiement ou en quasi faillite à l'été 2002, ne revêtait pas un caractère patrimonial, les fonds ayant été réinvestis dans l'activité assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée de la société ;

- la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux autres frais payés aux banques est déductible dès lors que ces dépenses sont préparatoires à l'opération de cession, en décembre 2004, de ses titres correspondants à la société Veolia Environnement ;

- elle est également déductible dès lors que de tel frais sur cession de titres cotés, vendus à raison de la procédure " accelerated book building ", ne pouvaient pas être intégrés dans le prix de vente ;

- il ne peut être exigé qu'elle rapporte la preuve, impossible, que ces frais n'ont pas été intégrés dans le prix de vente ;

- la taxe est également déductible puisque la cession de titres, faite dans un objectif de désendettement d'un groupe présenté comme étant en quasi cessation de paiement ou en quasi faillite à l'été 2002, ne revêtait pas un caractère patrimonial, les fonds ayant été réinvestis dans l'activité assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée de la société ;

- il appartient à l'administration de démontrer le contraire.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 janvier 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Vivendi ne sont pas fondés.

Une note en délibéré présentée pour la société Vivendi a été enregistrée le 18 mai 2018.

Par un arrêt n° 15VE02642 du 3 juillet 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de la société Vivendi.

Par une décision n° 423805 du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt susvisé de la Cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire devant la Cour où elle a été enregistrée sous le n° 19VE03940.

..........................................................................................................

Vu :

- la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour la société Vivendi.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'en décembre 2004, la société Vivendi, qui exerce une activité de holding mixte, a cédé en trois opérations 15 % des 20,3 % de titres qu'elle détenait dans la société Veolia Environnement. Elle a d'abord cédé, le 9 décembre 2004, 9,93 % du capital via un placement accéléré auprès d'investisseurs institutionnels, au prix de 24,65 euros par action. Puis, à la suite de l'expiration sans exercice, le 23 décembre 2004, des options d'achat consenties à certains actionnaires institutionnels de Veolia Environnement, elle a cédé 2 % à la société Veolia Environnement au prix de 23,97 euros par action. Enfin, ce même jour, elle a cédé 3,05 % du capital à la Société Générale au prix de 24,65 euros par action. A l'issue d'une vérification de comptabilité qui a porté, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période comprise entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2005, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé des honoraires versés à un cabinet d'avocat et à deux établissements financiers au titre de prestations fournies pour les besoins de ces cessions de titres. Par un jugement du 15 juin 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Vivendi tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ce redressement. Par un arrêt du 3 juillet 2018, la Cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Vivendi contre ce jugement. Par une décision n° 423805 du 22 novembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la Cour et renvoyé l'affaire devant elle.

2. Aux termes du 1 du I de l'article 271 du code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération ".

3. Il résulte des dispositions citées ci-dessus, interprétées à la lumière des articles 167, 168, 169 et 173 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lesquels ont repris le contenu des paragraphes 1 et 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, que lorsqu'une société holding se livrant à une activité économique à raison de laquelle elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, envisage de céder tout ou partie des titres de la participation qu'elle détient dans une filiale et expose à cette fin des dépenses en vue de préparer cette cession, elle est en droit, sous réserve de produire des pièces justificatives, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses, qui sont réputées faire partie de ses frais généraux et se rattacher aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant de cette activité économique. Lorsque cette cession est intervenue, que cette opération soit en dehors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans le champ mais exonérée, l'administration est toutefois fondée à remettre en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé de telles dépenses quand, compte tenu des éléments portés à sa connaissance et au vu des pièces qu'il appartient le cas échéant à la société qui les détient de produire, elle établit que cette opération a revêtu un caractère patrimonial dès lors que le produit de cette cession a été distribué, quelles que soient les modalités de cette distribution, ou que, en l'absence d'éléments contraires produits par la société, ces dépenses ont été incorporées dans le prix de cession des titres.

4. Il résulte des mêmes dispositions que si la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la transaction elle-même n'est en principe pas déductible dès lors qu'elles présentent un lien direct et immédiat avec l'opération de cession des titres, la société holding est néanmoins en droit de déduire cette taxe si, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, elle établit que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, elles doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachant ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie. Les mêmes règles s'appliquent dans le cas où les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, que la facture du 28 janvier 2005, qui vise en son objet la " cession de participation dans Veolia Environnement ", a été émise par le cabinet d'avocats Orrick en rémunération de " prestations juridiques rendues (...) pour la période du 24 novembre 2004 au 12 janvier 2005 ", soit pendant celle relative aux cessions de titres en litige et légèrement au-delà. Si cette facture mentionne certaines prestations purement préparatoires ou tierces, elle ne les chiffre pas. En revanche, elle fait également mention d'une prestation de " rédaction et négociation de la documentation relative au transfert de la garantie de renouvellement consentie par Vivendi Universal à Veolia Environnement à la Société Générale ", en principe inhérente à la cession litigieuse. D'autre part, la facture du 14 décembre 2004, qui fait référence à des prestations rendues par la Société Générale en sa qualité de " joint bookrunners ", conformément à un accord sur le placement accéléré d'actions Veolia du 9 décembre 2004, fait état d'une commission de placement dont le montant, identifié, représente 0,27 % du prix du placement. Enfin, les modalités d'intervention de la Deutsche Bank AG Londo dans le cadre de cette même opération n'ont été définies par contrat que quelques jours avant l'opération, le 17 décembre 2004, et couvraient tant des prestations de préparation de la cession de titres, que des prestations inhérentes à la cession telles que la participation à la négociation de la transaction ou l'élaboration des documents publics publié en relation avec la transaction. La facture émise le 24 décembre 2004 par la Deutsche Bank AG London se borne à mentionner des prestations d'honoraires de conseil sans distinguer les différents types de prestations. La société Vivendi, alors qu'elle seule est en mesure de le faire, n'a pas produit de pièces permettant de regarder tout ou partie des dépenses correspondantes comme seulement préparatoires. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des dépenses en litige ne peut qu'être regardé comme constituant un tout indissociable inhérent à la cession, pour lequel la taxe sur la valeur ajoutée correspondante n'est en principe pas déductible.

6. En second lieu, pour établir que ces dépenses, inhérentes à la cession, font partie des frais généraux, la société relève, que l'article 2.5 du contrat conclu le 7 décembre 2014 prévoyait que le prix de vente définitif des titres était laissé à l'entière discrétion des banques chargées de l'opération, la société vendant les titres étant seulement préalablement consultée. En outre, le prix de cession de 24,65 euros par action s'inscrit dans la fourchette des prix en cours au jour de la cession, le cours d'ouverture étant de 24,17 euros et le cours de clôture de 25,34 euros. Enfin, l'article 3.1 du contrat prévoyait que le vendeur s'acquitterait de tous frais, honoraires, impôts, prélèvements ou droits dont il serait redevable en relation avec la vente des actions. Compte tenu des stipulations figurant dans ce contrat et de la vente des actions au prix du marché, la société requérante établit que les dépenses facturées respectivement par le cabinet Orrick, la Société générale et la Deutsche Bank n'ont pas été incorporés dans le prix des titres cédés et qu'ils doivent, par conséquent, être rattachés à ses frais généraux.

7. Enfin, si l'administration fait valoir que la société requérante a procédé en 2004 et 2005, à une distribution d'un montant total de 1 841 millions d'euros, supérieur au produit total de l'opération de cession de titres réalisée, s'élevant à 1 497 millions d'euros, elle n'établit pas, par ce simple rapprochement, que le produit global de cette vente aurait été distribué et que cette opération aurait en conséquence revêtu un caractère purement patrimonial, alors qu'il résulte de l'instruction que la société Vivendi Universal, devenue Vivendi SA en 2006, se trouvait au début des années 2000 dans une situation financière très difficile, avec une dette de plus de 30 milliards d'euros en juin 2002 et que la cession d'une partie de ses actifs, notamment celle du mois de décembre 2004, s'inscrit dans un objectif de redressement de sa situation financière.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société Vivendi est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande en décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005, pour un montant total, en droit et intérêts de retard, de 1 133 295 euros.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Vivendi et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1308860 du 15 juin 2015 est annulé.

Article 2 : La SA Vivendi est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 et des intérêts de retard correspondant à concurrence de 1 133 295 euros.

Article 3 : L'Etat versera à la SA Vivendi la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

N° 19VE03940 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE03940
Date de la décision : 24/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-03 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Déductions.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Nicolas TRONEL
Rapporteur public ?: M. ILLOUZ
Avocat(s) : CABINET BAKER et MCKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-09-24;19ve03940 ?
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