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22/09/2020 | FRANCE | N°19VE02770

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 22 septembre 2020, 19VE02770


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 13 mai 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par une ordonnance n° 1905302 du 12 juillet 2019, le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure deva

nt la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2019, Mme D..., représentée par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 13 mai 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par une ordonnance n° 1905302 du 12 juillet 2019, le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2019, Mme D..., représentée par Me Bernard, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler l'ordonnance attaquée ;

2° de renvoyer l'affaire devant le Tribunal administratif de Montreuil ;

3° subsidiairement, d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

4° d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant cet examen, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

5° de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande était recevable dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article R. 776-18 du code de justice administrative, la décision attaquée devait être produite pas l'administration ;

- elle n'a pas été destinataire de la demande de régularisation qui lui aurait été adressée le 23 mai 2019 ;

- le litige doit être renvoyé devant la juridiction de première instance ;

A titre subsidiaire,

- la décision portant obligation de quitter le territoire est prise par une personne incompétente ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'erreurs de fait quant à sa situation personnelle, concernant son entrée régulière en France, le fait qu'elle dispose d'un passeport, et la stabilité de ses liens familiaux en France, et d'un défaut d'examen complet ;

- cette décision porte une atteinte excessive à sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- la décision d'interdiction de retour est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale par exception d'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... relève appel de l'ordonnance du 12 juillet 2019 par laquelle le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mai 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel elle sera reconduite et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué (...) ". Toutefois, par dérogation, l'article R. 776-18 de ce code, auquel renvoient les articles R. 776-13-1 et R. 776-13-2 du code de justice administrative s'agissant de la contestation des obligations de quitter le territoire prises sur le fondement des 1°, 2°, 4° ou 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit des étrangers, prévoit que : " (...) Les décisions attaquées sont produites par l'administration ".

3. En l'espèce, l'obligation faite par le préfet de Seine-Saint-Denis à Mme D... de quitter le territoire sans délai, qui relève que celle-ci ne justifiait pas être entrée régulièrement en France et n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, a été prise sur le fondement des 1° et 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour et du droit des étrangers. Il s'ensuit qu'en application des dispositions rappelées au point 2, il incombait à l'administration de produire cet arrêté et par suite que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande pour irrecevabilité manifeste, faute pour Mme D... d'avoir régularisé sa requête par la production de la version complète de la décision contestée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Sur la légalité de l'arrêté du 13 mai 2019 :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser de délivrer un titre de séjour à un ressortissant étranger, d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., ressortissante cap-verdienne née le 12 décembre 1986, mariée depuis le 22 janvier 2005 avec un compatriote résidant régulièrement en France et titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2021, est entrée en France le 14 décembre 2011 avec un visa, que le couple est parent de trois enfants, C... née le 29 septembre 2005 au Cap Vert, entrée en France le 5 mars 2017 munie d'un visa entrées multiples, Maellis, née le 3 février 2015 à Stains (93) et Léana, née le 8 septembre 2017 à Saint-Denis (93), tous trois présents sur le territoire français, que M. D... est employé en contrat à durée indéterminée dans le bâtiment pour une rémunération supérieure au SMIC, et que la famille réside ensemble à Epinay-sur-Seine. Mme D... soutient sans être contredite qu'elle a formé une demande de titre de séjour le 25 mai 2016 qui aurait été "perdue" et qu'elle est en attente d'un nouveau rendez-vous en préfecture. Dans ces conditions, alors même qu'elle avait fait l'objet d'une précédente décision l'obligeant à quitter le territoire en juillet 2013, Mme D... est fondée à soutenir que l'arrêté du 13 mai 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme. Mme D... est par suite fondée à en demander l'annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

7. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'annulation par le juge de la décision portant obligation de quitter le territoire français implique qu'il soit mis fin aux mesures de surveillance de l'intéressé et que lui soit délivrée une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son droit au séjour. En dehors de cette mesure, l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, lorsqu'elle n'est pas la conséquence de l'annulation de la décision de refus de titre de séjour, n'implique aucune mesure d'exécution particulière.

8. En l'espèce, l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de Mme D... implique, d'une part, le cas échéant, qu'il soit mis fin aux mesures de surveillance dont l'intéressée ferait l'objet et, d'autre part, que lui soit délivrée dans un délai de quinze jours une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau, dans un délai de deux mois, statué sur son cas. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 1905302 du 12 juillet 2019 du président du Tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 13 mai 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour jusqu'à qu'il soit statué à nouveau sur son cas.

Article 3 : L'Etat versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

2

N° 19VE02770


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02770
Date de la décision : 22/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière. Règles de procédure contentieuse spéciales.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : BERNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-09-22;19ve02770 ?
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