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17/09/2020 | FRANCE | N°19VE01257

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 17 septembre 2020, 19VE01257


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Méditerranée a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner la société Aéroports de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 6 292 016,71 euros en réparation des préjudices subis à raison de la sortie de piste de l'Airbus A321-200 immatriculé F-GYAJ, le 8 février 2009, à l'aéroport Paris - Charles de Gaulle.

Par ailleurs, la compagnie d'assurances, le GIE La Réunion aérienne, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner la société Aéroport

s de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 7 692 474,92 euros en réparation des préjudi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air Méditerranée a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner la société Aéroports de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 6 292 016,71 euros en réparation des préjudices subis à raison de la sortie de piste de l'Airbus A321-200 immatriculé F-GYAJ, le 8 février 2009, à l'aéroport Paris - Charles de Gaulle.

Par ailleurs, la compagnie d'assurances, le GIE La Réunion aérienne, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner la société Aéroports de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 7 692 474,92 euros en réparation des préjudices subis à raison des frais exposés au bénéfice de son assurée, la société Air Méditerranée.

Par un jugement n° 1309637-1309641-1309673-1309677 du 19 mars 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, condamné la société Aéroports de Paris à verser la somme de 1 809 951,50 euros à la société Air Méditerranée et la somme de 2 692 366,22 euros à la compagnie d'assurances La Réunion aérienne et, d'autre part, condamné l'Etat à verser la somme de 775 693,50 euros à la société Air Méditerranée et la somme de 1 153 871,24 euros à la compagnie d'assurances La Réunion aérienne.

Par un arrêt n° 15VE01630 du 25 avril 2017, la Cour a, sur appel de la société Air Méditerranée et sur appel incident de la société Aéroports de Paris, annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Air Méditerranée, a condamné la société Aéroports de Paris à verser à Me A...-I... F..., agissant en qualité de liquidateur de la société Air Méditerranée, la somme de 2 585 645 euros avec les intérêts, a mis à la charge de la société Aéroports de Paris les frais d'expertise et a rejeté le surplus des conclusions des parties. La Cour a également donné acte du désistement du GIE La Réunion aérienne.

Par une décision n° 411839 du 10 avril 2019, le Conseil d'Etat a annulé les articles 2 à 8 de l'arrêt du 25 avril 2017 de la Cour et lui a renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée.

Procédure devant la Cour après renvoi :

.....................................................................................................................

Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2019, Me A...-I... F..., liquidateur de la société Air Méditerranée, représenté par Mes Noël et Minaire, avocats, demande à la Cour :

1° de réformer le jugement en ce que le Tribunal administratif de Montreuil a partiellement rejeté ses demandes indemnitaires tendant à la condamnation de la société Aéroports de Paris et de l'Etat à verser à cette société, en réparation du préjudice subi, la somme de 6 292 016,71 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable d'indemnisation du 29 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts ;

2° de condamner la société Aéroports de Paris et l'Etat à indemniser la société Air Méditerranée de la totalité du préjudice s'élevant à la somme de 6 292 016,71 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable d'indemnisation du 29 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts ;

3° de condamner la société Aéroports de Paris et l'Etat à lui verser chacun la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la société Aéroports de Paris et l'Etat sont responsables de l'intégralité, et à une hauteur supérieure des taux découlant du partage de responsabilités décidé par le tribunal, des préjudices que la société a subis à l'occasion de la sortie de piste de son avion.

Vu :

- le rapport du bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile ;

- le rapport de M. C... G..., expert agréé ;

- l'ordonnance du 1er février 2013 du président du Tribunal administratif de Montreuil portant taxation et liquidation des frais de l'expertise à hauteur de la somme de 95 161,71 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Chicago, relative à l'aviation civile internationale ;

- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission européenne du 20 août 2008 modifiant le règlement (CEE) nº 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion ;

- le code civil ;

- le code de l'aviation civile ;

- la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports ;

- le décret n° 2005-200 du 28 février 2005 portant création de la direction des services de la navigation aérienne ;

- le décret n° 2005-828 du 20 juillet 2005 relatif à la société Aéroports de Paris ;

- l'arrêté du 3 mars 2006 relatif aux règles de l'air et aux services de la circulation aérienne ;

- l'arrêté du 10 juillet 2006 relatif aux caractéristiques techniques de certains aérodromes terrestres utilisés par les aéronefs à voilure fixe ;

- l'arrêté du 6 mars 2008 relatif aux inspections de l'aire de mouvement d'un aérodrome ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Bouzar, rapporteur public,

- et les observations de Me H... pour la société Air Méditerranée, de Me E... pour la société Aéroports de Paris, et de Me B... pour le ministre de la transition écologique.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le 8 février 2009 à 23:24 heure UTC (9 février 2009 à 00:24 heure de Paris), l'Airbus A321-200 immatriculé F-GYAJ, exploité par la société Air Méditerranée, avec à son bord 229 passagers et membres d'équipage, a atterri en provenance de Dakar à l'aéroport de Paris - Charles de Gaulle. L'atterrissage s'est déroulé dans des conditions météorologiques défavorables, avec des précipitations de neige à gros flocons et des températures négatives, sur la piste 08R/26L, d'une longueur de 2 700 mètres, désignée à cet effet par les services de la circulation aérienne et sur laquelle la société Aéroports de Paris avait, au vu des messages d'avertissement émis par Météo France, procédé à un traitement préventif par épandage de formiate de potassium, produit destiné à empêcher la formation de verglas. Lors de l'atterrissage, peu après le toucher des roues sur le sol, les pilotes ont constaté un manque d'adhérence de l'appareil et une diminution insuffisante de sa vitesse. Dans l'urgence, ils ont décidé d'emprunter, à une vitesse excessive, la dernière bretelle de sortie V1, de laquelle l'appareil est finalement sorti sur la gauche, pour s'immobiliser dans la terre meuble. Du fait de l'ingestion par les deux moteurs d'une grande quantité de boue et de neige fondue et de l'enlisement des deux roues jusqu'aux essieux, l'avion immobilisé a dû être tracté jusqu'à une aire d'entretien. Les dégâts subis par l'aéronef ayant affecté sa structure, ses trains d'atterrissage et ses moteurs, il a dû être retiré de l'exploitation du 9 février au 11 juin 2009.

2. La société Air Méditerranée et son assureur, la compagnie d'assurances La Réunion aérienne, ont demandé à l'Etat et à la société Aéroports de Paris de les indemniser des préjudices subis. Par un jugement du 19 mars 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a jugé que les services de la circulation aérienne et la société Aéroports de Paris avaient commis des fautes ayant concouru à la réalisation du dommage mais que les fautes commises par les préposés de la société Air Méditerranée étaient de nature à les exonérer de leur responsabilité à hauteur de 50 % et n'a que partiellement fait droit aux conclusions à fin d'indemnisation dont il était saisi. Par un arrêt du 25 avril 2017, la Cour de céans a, sur appel de la société Air Méditerranée et sur appel incident de la société Aéroports de Paris, donné acte du désistement de la compagnie d'assurances La Réunion aérienne, annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Air Méditerranée, condamné la société Aéroports de Paris à verser à Me F..., agissant en qualité de mandataire judiciaire, liquidateur de la société Air Méditerranée, la somme de 2 585 645 euros assortie des intérêts aux taux légal, mis à la charge de la société Aéroports de Paris les frais d'expertise et rejeté le surplus des conclusions des parties. La société Aéroports de Paris et Me F... se sont pourvus en cassation contre cet arrêt. Par une décision n° 411839 du 10 avril 2019, le Conseil d'Etat a annulé les articles 2 à 8 de l'arrêt du 25 avril 2017 de la Cour et lui a renvoyé l'affaire, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. Lorsque l'affaire est susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public, en application de l'article R. 732-1-1, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, si le rapporteur public prononcera ou non des conclusions et, dans le cas où il n'en est pas dispensé, le sens de ces conclusions. ". En vertu de ces dispositions, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire.

4. En l'espèce, le sens des conclusions porté dans l'application " Sagace " le 17 février 2015 à 11:00 mentionnait une proposition de condamnation de la société Aéroports de Paris et un partage de responsabilités avec la victime sans toutefois préciser le montant des indemnités que le rapporteur public proposait d'allouer respectivement à la société Air Méditerranée et au GIE La Réunion aérienne. Les éléments ainsi communiqués ne peuvent être regardés comme ayant constitué l'indication de l'ensemble des éléments du dispositif de l'arrêt à intervenir que le rapporteur public comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. Si, en réponse à la demande adressée par la société Aéroports de Paris le 18 février 2015, le greffe du tribunal lui a communiqué le 19 février à 8:56 le montant de l'indemnisation envisagée, cette information n'a pas été réalisée dans un délai raisonnable avant l'audience qui se tenait le même jour à 10:00. Par suite, la société Air Méditerranée est fondée à soutenir que cette communication tardive a entaché d'irrégularité le jugement contesté.

5. En second lieu, il résulte du jugement attaqué que si le Tribunal administratif de Montreuil a reconnu la responsabilité de l'Etat à raison de l'information erronée sur l'état de la piste 08R/26L délivrée par les services de navigation aérienne à l'équipage de l'avion, il ne s'est pas, en revanche, prononcé sur la faute, qui était également invoquée par la société Air Méditerranée, qu'auraient également commise les services de navigation aérienne en attribuant à l'avion la piste 08R/26L alors que des pistes plus adaptées étaient disponibles pour l'atterrissage. Ce moyen, s'il avait été fondé, aurait pu conduire le tribunal à retenir un partage de responsabilité différent entre la société Aéroports de Paris, l'Etat et la société Air Méditerranée. Par suite, la société Air Méditerranée est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché sur ce point d'une omission à statuer affectant sa régularité.

6. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Air Méditerranée. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par cette société devant le Tribunal administratif de Montreuil.

Sur le bien-fondé du jugement contesté :

En ce qui concerne le cadre juridique :

7. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de la loi du 20 avril 2005 susvisée : " (...). Les ouvrages appartenant à la société Aéroports de Paris et affectés au service public aéroportuaire sont des ouvrages publics. ". De surcroît, la société anonyme ADP assure, dans les conditions fixées par un cahier des charges approuvé par le décret du 20 juillet 2005 susvisé et conformément aux dispositions de droit commun relatives à tout exploitant d'aérodrome ainsi qu'aux dispositions particulières qui lui sont applicables, l'exploitation des aérodromes qui lui sont confiés. L'article 10 de ce cahier des charges relatif à l'exploitation des aires aéronautiques dispose que : " a) Dispositions générales : / ADP veille à l'intégrité des aires de mouvement sur les aérodromes qu'elle exploite et réalise les visites techniques nécessaires à cette fin. / ADP se dote notamment de l'ensemble des moyens destinés, le cas échéant, au déneigement des aires de mouvement sur les aérodromes de Paris - Charles-de-Gaulle, de Paris-Orly et de Paris-Le Bourget, ainsi que de ceux destinés à la prévention de formation de verglas sur ces mêmes aires. / (...) c) Aires de manoeuvre: / (...) ADP réalise les mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance, selon la périodicité et dans les conditions techniques prévues par la réglementation ainsi que sur demande du prestataire de services de navigation aérienne. Les résultats de ces mesures sont transmis au prestataire de services de navigation aérienne, selon des modalités fixées par un protocole d'accord entre ADP et ce prestataire, qui en informe, le cas échéant, les équipages par les voies appropriées. / ADP surveille l'état de la piste et de ses abords et inspecte l'aire de manoeuvre selon la périodicité et dans les conditions techniques prévues par la réglementation ainsi que sur demande du prestataire de services de navigation aérienne (...) ".

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 mars 2008 susvisé : " Le présent arrêté (...) définit les dispositions relatives aux inspections de premier niveau dans le cadre de l'entretien de l'aire de mouvement de l'aérodrome. / L'objet de ces inspections est de vérifier son état apparent, sans expertise approfondie ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Les inspections de premier niveau de l'aire de mouvement de l'aérodrome consistent notamment à : / collecter des informations sur l'état global de l'aire ; / informer le représentant local de l'organisme chargé de fournir les services de la circulation aérienne, s'il existe, des constats de l'inspection de l'aire de mouvement ; / effectuer, en tant que de besoin, des actions immédiates ". Selon l'article 4 du même arrêté : " Les vérifications dans le cadre de ces inspections de l'aire de mouvement portent en particulier sur la détérioration visible de la surface de la chaussée, y compris les aides visuelles éventuelles, sur la présence de contaminants, de dangers temporaires comme des débris, objets, animaux ou aéronefs mal placés ainsi que l'existence de travaux non prévus ". Aux termes du IV de l'article 5 de cet arrêté : " en cas de doute sur l'état de l'aire de manoeuvre, des inspections partielles supplémentaires sont effectuées ". Selon l'article 7 du même arrêté : " L'exploitant de l'aérodrome établit, avec les différents organismes et services impliqués dans le bon déroulement des inspections de l'aire de mouvement, des protocoles permettant leur coordination. / Ces protocoles prévoient : / une coordination préalable à toute inspection d'une piste afin de s'assurer que celle-ci est libre de tout trafic ; / les conditions de pénétration sur l'aire de manoeuvre ; / les procédures de transfert d'information relatives aux inspections de l'aire de mouvement entre l'exploitant de l'aérodrome et le représentant local de l'organisme chargé de fournir les services de la circulation aérienne, s'il existe ; / les conditions d'arrêt, de modification ou de reprise de l'exploitation d'une piste. / L'exploitant informe sans délai le représentant local de l'organisme chargé de fournir les services de la circulation aérienne de toute évolution nécessitant une mise à jour du protocole ".

9. En troisième et dernier lieu, selon l'article 2 du décret du 28 février 2005 susvisé : " La DSNA est chargée de fournir les services de la circulation aérienne, de communication, de navigation et de surveillance afférents, ainsi que les services d'information aéronautique, aux aéronefs évoluant en circulation aérienne générale dans l'espace aérien dont la gestion a été confiée à la France par l'organisation de l'aviation civile internationale et sur les aérodromes désignés par le ministre chargé de l'aviation civile ". Aux termes de l'article 2.2 de l'annexe 2 de l'arrêté du 3 mars 2006 susvisé qui transpose les dispositions du point 2.2 de l'annexe 11 à la convention relative à l'aviation civile internationale, relatif aux services de la circulation aérienne : " Les services de la circulation aérienne ont pour objet : a) d'empêcher les collisions entre aéronefs ; b) d'empêcher les collisions entre les aéronefs sur l'aire de manoeuvre et les obstacles se trouvant sur cette aire ; c) d'accélérer et d'ordonner la circulation aérienne ; d) de fournir les avis et les renseignements utiles à l'exécution sûre et efficace des vols ; e) d'alerter les organismes appropriés lorsque des aéronefs ont besoin de l'aide des organismes de recherches et de sauvetage, et de prêter à ces organismes le concours nécessaire ". Selon le point 4.2 de l'annexe 11 précitée à la convention relative à l'aviation civile internationale, le service d'information de vol, définit comme le " service assuré dans le but de fournir les avis et les renseignements utiles à l'exécution sûre et efficace des vols " par le chapitre 1 de cette annexe, " comportera la communication des éléments suivants : / (...) e) renseignements sur les modifications de l'état des aérodromes et des installations et services connexes, y compris des renseignements sur l'état des aires de mouvement de l'aérodrome quand leurs caractéristiques sont modifiées par la présence de neige, de glace ou d'une épaisseur significative d'eau ; / (...) enfin, tous autres renseignements susceptibles d'influer sur la sécurité ".

En ce qui concerne les responsabilités encourues :

10. Il résulte de la combinaison des dispositions mentionnées aux points 7 à 9 que, d'une part, la mission de surveillance de l'état des pistes de l'aérodrome de Paris - Charles de Gaulle incombe à la société Aéroports de Paris. Cette mission implique la réalisation de visites techniques des aires de mouvement, notamment pour vérifier la présence de contaminants, et, le cas échéant, leur déneigement et la prévention de formation de verglas sur ces mêmes aires. Elle comporte également l'obligation de réaliser régulièrement des mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance et d'informer les services de la circulation aérienne de l'état des aires de mouvement. D'autre part, les services de la circulation aérienne, qui sont chargés de la surveillance afférente à leurs missions et qui doivent transmettre à l'équipage des aéronefs des informations sur l'état des pistes utiles à l'exécution sûre et efficace des vols et spécialement des atterrissages, peuvent demander à la société Aéroports de Paris une nouvelle inspection des aires de manoeuvre et de nouvelles mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance de ces aires.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Aéroports de Paris pour défaut d'entretien normal :

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que la société Aéroport de Paris est chargée de l'entretien des pistes de décollage et d'atterrissage, des aires de stationnement et de circulation de l'aéroport Paris - Charles-de-Gaulle à l'époque des faits litigieux, lesquelles constituent des ouvrages publics à l'égard desquels la société Air Méditerranée a la qualité d'usager. Le 8 février 2013, la société Aéroports de Paris a procédé à l'épandage de formiate de potassium dont la quantité de 20g/m² s'est révélée insuffisante à prévenir la formation à la surface de la piste d'une pellicule neigeuse de nature à induire une diminution de l'efficacité du freinage des avions. Ainsi, même si deux aéronefs s'étaient posés sur la même piste environ une demi-heure avant l'accident et n'avaient signalé aucune difficulté, et compte tenu de l'accumulation de neige survenue dans l'intervalle, la société Aéroports de Paris n'établit pas sur ce point avoir correctement entretenu l'ouvrage public. De surcroît, l'adhérence de la piste 08R/26L sur laquelle l'avion s'est posé se dégradait progressivement, du fait de l'existence de résidus d'engommage dans les zones de toucher et de l'absence de rainurage sur les 600 derniers mètres de la piste. Cet état de dégradation avait été porté à la connaissance de la société Aéroports de Paris par lettre du 28 novembre 2008 de son laboratoire interne, sans susciter les mesures correctives adéquates. Enfin, si cette société a satisfait, le 8 février 2009, à son obligation d'assurer trois inspections quotidiennes, elle s'est, en revanche, abstenue de procéder à une inspection supplémentaire et à des mesures de glissance (mesures de coefficients de frottement), alors que la présence de neige au sol et les prévisions météo défavorables étaient de nature, ainsi que l'a relevé l'expert, à créer un doute au sens des dispositions réglementaires précitées et à justifier la mise en oeuvre de ces mesures. Elle s'est ainsi placée dans l'impossibilité de fournir au service de la circulation aérienne les informations pertinentes sur l'état des pistes dont elle avait la charge dans les heures qui ont suivi le traitement au formiate. Dans ces conditions, l'épandage insuffisant de formiate de potassium, la dégradation antérieure anormale de l'état de surface de la piste, l'absence d'inspection supplémentaire de l'état de la piste 08R/26L, l'absence de mesure de glissance comme de transmission d'information au service de la navigation aérienne sur l'état réel de la piste, sont constitutifs d'un défaut d'entretien normal de la piste d'atterrissage ci-dessus par la société Aéroport de Paris, de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de l'action des services de la circulation aérienne :

12. Il résulte de l'instruction, notamment de la lecture du rapport du bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA), que les messages " ATIS " (" Automatic Terminal Information Service ") diffusés par les services de la circulation aérienne à l'équipage de l'aéronef faisaient seulement état d'une piste dégivrée chimiquement avec du formiate de potassium, correspondant au traitement préventif mis en oeuvre par la société Aéroports de Paris à 21:30 heure UTC, et laissant supposer une piste simplement mouillée. Par ailleurs, les messages " METAR " (" Meteorological Aerodrome Report ") établis par Météo France à partir de 20:30 et transmis par la tour de contrôle à l'équipage de l'aéronef comprenaient un code erroné signifiant un retour à la normale des pistes de l'aérodrome alors qu'étaient observés à 21:36 des précipitations de neige à gros flocons et à 22:30 des températures négatives et un verglas généralisé, soit postérieurement au traitement de la piste par la société Aéroports de Paris, dont l'efficacité était méconnue, et avant l'atterrissage de l'aéronef. Malgré la dégradation des conditions météorologiques, les services de la circulation aérienne n'ont pas émis de doute sur l'état de la piste d'atterrissage ni demandé d'inspection complémentaire à la société Aéroports de Paris de sorte qu'aucune actualisation des messages relatifs à son état réel adressés à l'équipage de l'aéronef n'a été opérée. Ainsi, l'équipage du vol d'Air Méditerranée n'a pas été informé par les services de la circulation aérienne de la glissance anormale de la piste 08R/26L de l'aéroport de Paris - Charles de Gaulle. En outre, dans son rapport, le BEA, qui conclut que les inspections supplémentaires de piste sont du ressort de la société Aéroports de Paris et des services de la navigation aérienne, relève que, depuis 2005, de nombreux rapports de sécurité des vols montraient que les équipages des aéronefs recevaient des informations ne correspondant pas à l'état réel des pistes et des voies de circulation, mettant ainsi en jeu la sécurité des manoeuvres et faisant courir le risque d'une sortie de piste. Il estime qu'ont contribué à la survenance de l'accident la contamination de la piste et la dégradation de l'état de sa surface, la détermination erronée des conditions de la piste en raison de l'inadaptation de l'organisation des opérations au sol, du suivi de la situation de la plateforme en cas de neige et de la maintenance des pistes, les informations erronées sur l'état de la piste transmises à l'équipage par la tour de contrôle qui ne lui ont pas permis d'adopter les mesures nécessaires à un atterrissage sûr et efficace.

13. Ainsi, en l'espèce, alors qu'il leur incombait de fournir des avis et renseignements utiles à l'exécution sûre et efficace des vols, les services de la circulation (ou navigation) aérienne relevant de la DGAC ont transmis à l'équipage de l'Airbus A321-200 de la société Air Méditerranée, des informations qui, si elles correspondaient aux éléments qui leur avaient été précédemment communiqués par la société Aéroports de Paris et Météo France sur l'état de la piste 08R/26L, n'étaient pas conformes à l'état réel de l'aire de manoeuvre, faute d'avoir été actualisés deux heures après le traitement préventif de la piste. Dans ces conditions, en s'abstenant de demander à la société Aéroports de Paris de procéder à de nouvelles inspections et mesures de contrôle d'adhérence et de taux de glissance de l'aire de manoeuvre, alors que, comme le relève le rapport du BEA, les conditions météorologiques auraient dû inciter à le faire, et en ne transmettant pas à l'équipage de l'aéronef des informations pertinentes sur l'état de la piste sur laquelle cet avion s'apprêtait à atterrir, ces services ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. En revanche, si la société Air Méditerranée invoque une autre faute résultant de ce que le service de la navigation aérienne aurait à tort attribué à l'avion la piste 08R/26L alors que d'autres pistes plus longues étaient disponibles et sans doute plus adaptées pour l'atterrissage comme l'a relevé l'expert, il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu notamment des manquements constatés de la société Aéroports de Paris, que le choix de cette piste puisse être caractérisé de fautif.

14. Il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant la part de responsabilité de la société ADP à 70% et la part de responsabilité de l'Etat à 30% des conséquences dommageables de l'accident survenu le 8 février 2009.

En ce qui concerne la faute de la victime et la responsabilité de la société Air Méditerranée :

15. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, comme l'ont relevé les premiers juges, que des erreurs de pilotage de l'avion accidenté ont été commises consistant dans le passage de cet aéronef au-dessus du plan nominal de descente, un toucher trop long, un toucher trop doux du train principal sur la piste au lieu d'un toucher ferme, le non déploiement des " reverses " sur la position maximale dès le toucher du train principal alors que le copilote avait annoncé que l'avion ne décélérait pas, un maintien en l'air du train avant plusieurs secondes après son toucher, une ignorance de la procédure d'atterrissage interrompu alors qu'une remise des gaz était techniquement possible, en méconnaissance des instructions de pilotage du manuel d'exploitation de la compagnie Air Méditerranée. En outre, ces pilotes ont choisi de procéder à une sortie en virage à plus de quarante-cinq degrés à une vitesse de roulage trop élevée, au lieu d'un maintien de l'appareil dans l'axe pour bénéficier du prolongement d'arrêt. A cet égard, si la société Air Méditerranée fait valoir que ces erreurs sont en réalité dues à la mise en oeuvre de procédures adaptées à l'état des informations délivrées par la société Aéroports de Paris et les services de la circulation aérienne et compatibles avec l'apparence blanche de la piste qui aurait pu correspondre à la présence de neige sèche et non fondante, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du BEA, que l'accident aurait pu être évité ou ses conséquences très largement atténuées si, à tout le moins, les pilotes avaient décidé de prolonger l'itinéraire d'atterrissage en ligne droite en fin de piste, plutôt que d'effectuer une sortie en virage, et choisi d'utiliser les " autoreverse " ainsi que la fonction " autobreak " à plein régime conformément aux règles techniques applicables en l'espèce.

16. Il résulte de ce qui précède que le comportement fautif des pilotes de la société Air Méditerranée est de nature à exonérer la société Aéroports de Paris et l'Etat de leur responsabilité à hauteur de 50% chacun. Par voie de conséquence, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant la part de responsabilité de la société Aéroports de Paris à 35% et la part de responsabilité de l'Etat à 15% des conséquences dommageables de l'accident de l'avion de la société Air Méditerranée.

Sur l'indemnisation des préjudices de la société Air Méditerranée :

En ce qui concerne le préjudice commercial et financier :

17. Il résulte de l'instruction que l'accident de l'avion exploité par la société Air Méditerranée a, du fait de son immobilisation au sol et de son indisponibilité opérationnelle, occasionné des dépenses, non contestées en défense, consistant en des surcoûts effectifs de vols, un préjudice financier, des frais de travaux de réparation complémentaires, un surcoût d'hébergement des équipages, des frais relevage de l'aéronef et de coût de personnel, ainsi que de location de moteurs que l'expert et le sapiteur financier ont évalué respectivement à 2 216 659 euros, 365 958 euros, 263 096 euros, 167 575 euros, 84 056 euros, 48 451 euros et 691 107 euros, ainsi que de pertes commerciales à hauteur de 274 838 euros résultant de l'annulation par un tour opérateur de onze vols qui n'ont pas pu être remplacés. Par suite le préjudice commercial et financier global s'élève à la somme totale de 4 111 740 euros. La société Air Méditerranée est fondée à demander l'indemnisation de ce préjudice commercial et financier. Compte tenu du partage de responsabilités retenu au point 16, l'indemnité mise à la charge de la société Aéroports de Paris s'établit à 1 439 109 euros et celle à la charge de l'Etat à 616 761 euros.

En ce qui concerne le préjudice d'assurance :

18. Il résulte de l'instruction que la société Air Méditerranée a versé, à raison de l'accident de l'avion, une surprime de 1 059 550 euros à son assureur, le GIE La Réunion aérienne, laquelle s'est désistée dans l'instance n° 15VE01630. Cette prime supplémentaire ne pouvant être légalement restituée à l'assurée, la société Air Méditerranée est fondée à demander l'indemnisation de ce préjudice d'assurance. Compte tenu du partage de responsabilités retenu au point 16, l'indemnité mise à la charge de la société Aéroports de Paris s'établit à 370 842,50 euros et celle assignée à l'Etat à 158 932,50 euros.

En ce qui concerne le préjudice moral :

19. Il ne résulte pas de l'instruction que l'accident de l'avion aurait terni sa réputation, porté atteinte à sa notoriété, nui à son image de marque. Dans ces conditions, ce chef de préjudice ne peut pas donner lieu à indemnisation.

20. Il résulte de ce qui précède que la société Aéroports de Paris et l'Etat doivent être condamnés à verser à Me A...-I... F..., mandataire judiciaire de la société Air Méditerranée, respectivement l'indemnité de 1 809 951,50 euros et l'indemnité de 775 693,50 euros.

En ce qui concerne les intérêts :

21. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts au taux légal courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En outre, la capitalisation des intérêts échus peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts échus dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

22. Me F..., mandataire judiciaire de la société Air Méditerranée, a droit aux intérêts au taux légal afférents aux sommes précitées à compter du 29 juin 2013, date à laquelle cette société a recherché la responsabilité de la société Aéroports de Paris et de l'Etat, sur le fondement de l'article 1231-6 du code civil. Par ailleurs, si cette société a demandé la capitalisation des intérêts dans ses demandes enregistrées le 16 septembre 2013 devant le Tribunal administratif de Montreuil, les intérêts n'étaient pas à cette date dus pour une année entière. Il y a lieu dès lors de ne faire droit à cette demande qu'à compter du 29 juin 2014 et à chaque échéance annuelle à partir de cette date, en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les frais d'expertise :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Aéroports de Paris et de l'Etat, à hauteur de respectivement 70% et 30%, les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de la somme de 95 161,71 euros par ordonnance du 1er février 2013 du président du Tribunal administratif de Montreuil.

Sur les frais liés à l'instance :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ADP et de l'Etat le versement de la somme globale de 5 000 euros à Me F..., mandataire judiciaire liquidateur de la société Air Méditerranée au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que Me F..., représentant la société Air Méditerranée, soit condamné à verser à la société Aéroports de Paris et à l'Etat les sommes qu'ils demandent au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1309637-1309641-1309673-1309677 du 19 mars 2015 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la société Air Méditerranée.

Article 2 : La société Aéroports de Paris est condamnée à verser à Me F..., mandataire judiciaire de la société Air Méditerranée, la somme de 1 809 951,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2013. Les intérêts échus à la date du 29 juin 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Me F..., mandataire judiciaire de la société Air Méditerranée, la somme de 775 693,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2013. Les intérêts échus à la date du 29 juin 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 95 161,71 euros par ordonnance du 1er février 2013 du président du Tribunal administratif de Montreuil, sont mis à la charge de la société Aéroports de Paris et de l'Etat, à hauteur respectivement de 70% et 30%.

Article 5 : La société Aéroports de Paris et l'Etat verseront une somme globale de 5 000 euros à Me F..., mandataire de la société Air Méditerranée, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la demande indemnitaire de première instance de la société Air Méditerranée et des conclusions en indemnisation présentées en appel par Me F... est rejeté.

Article 7 : Les conclusions du ministre de la transition écologique et solidaire et celles de la société Aéroports de Paris, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

2

N° 19VE01257


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01257
Date de la décision : 17/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Transports - Transports aériens - Aéroports - Contrôle de la navigation aérienne.

Transports - Transports aériens - Aéroports - Dommages causés aux aéronefs.


Composition du Tribunal
Président : M. BRUMEAUX
Rapporteur ?: M. Benoist GUÉVEL
Rapporteur public ?: M. BOUZAR
Avocat(s) : SELARL PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-09-17;19ve01257 ?
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