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31/08/2020 | FRANCE | N°16VE02844

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 31 août 2020, 16VE02844


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société COMARIN a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite par laquelle la société Bureau Veritas a refusé de faire droit à sa demande indemnitaire préalable en date du 9 septembre 2013 et de condamner la société Bureau Veritas à lui verser la somme de 4 350 309 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises par cette société dans le cadre des opérations de vérification et de validation relatives à la stabilité du navire le Sain

t Barth Jet Ferry, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la date ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société COMARIN a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite par laquelle la société Bureau Veritas a refusé de faire droit à sa demande indemnitaire préalable en date du 9 septembre 2013 et de condamner la société Bureau Veritas à lui verser la somme de 4 350 309 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises par cette société dans le cadre des opérations de vérification et de validation relatives à la stabilité du navire le Saint Barth Jet Ferry, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de première assignation, le 4 avril 2000, ou, au plus tard, à compter de la date d'envoi de sa demande indemnitaire préalable.

Par un jugement n° 1310590 du 4 juillet 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 septembre 2016 et des mémoires complémentaires enregistrés les 16 septembre 2016, 5 septembre et 27 novembre 2017, la société COMARIN, représentée par Me A..., avocat, demande à la Cour :

A titre principal :

1° d'annuler le jugement du 4 juillet 2016 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2° de juger illégales et fautives les décisions de la société Bureau Veritas portant délivrance d'un certificat de franc-bord le 31 mai 1999 et renouvellement dudit certificat le 5 novembre 1999 ;

3° d'engager en conséquence la responsabilité de la société Bureau Veritas du fait des fautes commises dans le cadre de la réalisation des opérations de vérification et de validation de la stabilité du navire le Saint-Barth Jet Ferry ayant abouti à la délivrance d'un certificat de franc-bord le 31 mai 1999 et à son renouvellement le 5 novembre suivant ;

4° d'annuler en conséquence la décision implicite de rejet de sa demande préalable d'indemnisation en date du 11 septembre 2013 ;

5° de condamner le Bureau Veritas à lui verser une somme de 4 350 309 euros ;

Subsidiairement :

6° dans l'hypothèse où serait retenu un partage de responsabilité entre la société Bureau Veritas et la société COMARIN, de dire et juger que la responsabilité de la société COMARIN dans la réalisation de son préjudice ne saurait excéder un taux de 20% et condamner la société Bureau Veritas à lui verser une somme minimale de 3 480 247 euros ;

En tout état de cause :

7° de dire et juger que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal et à compter du 5 novembre 2003, date de sa première demande d'indemnisation adressée à la société Bureau Veritas par voie d'assignation devant le Tribunal de commerce de Quimper ou, au plus tard, à la date de l'envoi de sa demande préalable indemnitaire ;

8° de prononcer l'anatocisme dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

9° de condamner la société Bureau Veritas à verser une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal ne pouvait retenir une faute de l'armateur entièrement exonératoire de responsabilité pour la société Bureau Veritas dès lors que les obligations incombant à l'armateur aux termes du contrat de construction sont distinctes des missions incombant à la société Bureau Veritas et ne sauraient attribuer à l'armateur un rôle de surveillance et de contrôle des opérations qui incombe à la société Bureau Veritas ;

- il ne saurait lui être reproché de s'être abstenue des contrôles qu'elle était censée exercer et d'avoir émis toutes réserves quant aux opérations de vérification effectuées alors qu'aucune stipulation du contrat de construction et aucune disposition de l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires n'impose de telles obligations à l'armateur ;

- si l'armateur est responsable du dossier de stabilité du navire à l'état intact, cette responsabilité ne saurait davantage exonérer la société Bureau Veritas de sa mission d'examen et de validation du contenu dudit rapport ;

- sa présence lors de l'expérience de pesée et de stabilité ne saurait purger le vice tiré de l'absence de représentant de la société Bureau Veritas lors de cette expérience, ni exonérer cette dernière d'avoir approuvé le dossier de stabilité définitif fondé sur des données recueillies au cours de cette expérience et auxquelles il n'a jamais eu accès faute de se les être fait communiquer ;

- la signature du procès-verbal de recette du 4 juin 1999 ne saurait emporter validation par la société COMARIN des éléments contrôlés et visés à tort par la société Bureau Veritas ;

- la société Bureau Veritas a commis une faute en validant un dossier prévisionnel erroné ;

- la société Bureau Veritas a commis une faute en n'assistant pas à l'expérience de stabilité du 19 mai 1999 ;

- la société Bureau Veritas n'a procédé à aucune vérification des valeurs estimées postérieurement à l'expérience de stabilité et a néanmoins validé le dossier de stabilité définitif ;

- la société Bureau Veritas a ainsi délivré illégalement un certificat de franc-bord le 31 mai 1999 puis a renouvelé illégalement ledit certificat le 5 novembre 1999 ;

- le tribunal administratif aurait dû procéder à un partage de responsabilités ;

- il existe un lien de causalité entre les fautes de la société Bureau Veritas et les préjudices causés à la société COMARIN ;

- les préjudices subis résident dans les frais exposés en relation avec la construction et l'exploitation du navire, des pertes d'exploitation, la perte d'un avantage fiscal et un préjudice moral.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 83-581 du 5 juillet 1983 ;

- le décret n° 84-810 du 30 août 1984 modifié ;

- l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

- les observations de Me A... pour la société COMARIN et celles de Me B... pour la société Bureau Veritas Marine et Offshore SAS.

Une note en délibéré, présentée pour la société COMARIN, a été enregistrée le 10 juillet 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La société COMARIN, dont l'activité est la création, l'exploitation et la gestion de lignes de transports maritimes, s'est engagée dans la mise en service d'une ligne de transport de passagers entre les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy en signant un contrat de construction d'un navire de transport de passagers, destiné à assurer cette liaison, le 14 mai 1998 avec le chantier naval Gléhen Pierre et Fils. Aux termes de ce contrat de construction, le navire à passagers devait avoir une capacité minimale de 72 passagers et une longueur maximale de 24,60 mètres. Le chantier naval Gléhen Pierre et Fils a lui-même signé, le 30 octobre 1998, un contrat avec la société Bureau Veritas, en vue de l'intervention de celui-ci dans le cadre du règlement français de sécurité des navires, notamment pour la délivrance du certificat national de franc-bord et le visa du dossier de stabilité du navire neuf. Le 19 mai 1999, une première expérience de pesée et stabilité préconisée par la commission régionale de sécurité de Bretagne était conduite, à la suite de laquelle un certificat national de franc-bord provisoire a été délivré le 31 mai 1999 par la société Bureau Veritas. Ce certificat a été renouvelé le 5 novembre 1999. Pourtant, dès le 22 mai 1999, des essais en mer révélaient une importante instabilité directionnelle du navire. Par ailleurs, à la suite d'investigations complémentaires, il est apparu que la ligne de flottaison du navire ne correspondait pas à celle du procès-verbal de l'expérience de stabilité du 19 mai 1999 et que le navire mis à l'eau, à vide, atteignait quasiment ses marques de flottaison. A la suite d'une visite spéciale de sécurité, le 9 novembre 1999, la société Bureau Veritas a décidé la suspension du certificat de franc-bord et le permis de navigation, qui avait été délivré le 2 juin 1999, a été retiré par une décision du ministre de l'équipement en date du 5 mars 2002. La société COMARIN a donc recherché la responsabilité de la société Bureau Veritas, société de classification agréée investie d'une mission de service public dans le cadre de la délivrance d'un certificat de franc-bord et du visa du dossier de stabilité, à raison des fautes que celle-ci aurait commises dans le cadre de sa mission de certification. Elle a ainsi présenté, le 12 décembre 2013, une demande indemnitaire préalable, rejetée par décision implicite de la société Bureau Veritas. La société COMARIN a ensuite saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande indemnitaire rejetée par jugement en date du 4 juillet 2016 dont la société relève régulièrement appel.

Sur les fins de non-recevoir :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué [...] ".

3. Contrairement à ce que fait valoir la société Bureau Veritas en défense, la société COMARIN a joint à sa requête d'appel une copie du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 4 juillet 2016 dont elle demande l'annulation. Cette fin de non-recevoir doit, dès lors, être écartée.

4. En deuxième lieu, la société COMARIN s'est prévalue, en première instance comme dans sa requête introductive d'appel, de la responsabilité de la société Bureau Veritas au titre des illégalités fautives commises par cette dernière dans le cadre de sa mission de certification des navires. La circonstance qu'elle n'ait détaillé les fautes, invoquées succinctement dans la requête introductive d'appel, que dans le cadre de son mémoire ampliatif parvenu après l'expiration du délai d'appel, ne saurait faire de ces conclusions, qui reposent sur la même cause juridique que celle invoquée dès la première instance, des conclusions nouvelles en appel et irrecevables à ce titre.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. La présente requête présentant le caractère de recours de plein contentieux, les conclusions, qui ne sont au demeurant assorties d'aucun moyen, dirigées contre la décision ayant rejeté les prétentions indemnitaires de la société COMARIN, qui a eu pour seul objet de lier le contentieux en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 susvisée qui n'inclut pas dans son champ d'application les personnes privées, même chargées d'une mission de service public : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public. ".

7. Les personnes morales de droit privé ne sont pas au nombre des personnes au profit desquelles sont prescrites les créances en application des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968. La société Bureau Veritas n'est donc pas fondée à opposer l'exception de prescription quadriennale aux demandes présentées par la société COMARIN. Si la société Bureau Veritas se prévaut également des prescriptions de " toute nature " susceptibles d'être opposées à la requête, l'exception de prescription est, dans cette branche, et alors que la prescription ne peut être soulevée d'office par le juge administratif, trop imprécise, pour que le juge puisse y faire droit.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Bureau Veritas :

8. Aux termes, d'une part, de l'article 3 de la loi susvisée du 5 juillet 1983 : " La délivrance, le renouvellement et la validation des titres de sécurité et des certificats de prévention de la pollution sont subordonnés à des visites du navire effectuées dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret susvisé du 30 août 1984 : " I. - Doit être muni d'un permis de navigation :/ - tout navire à passagers ; [...]1. Le permis de navigation n'est délivré et renouvelé que si tous les autres certificats de sécurité et de prévention de la pollution sont en cours de validité. Sa date d'échéance ne peut dépasser la date de fin de validité de l'un quelconque des autres certificats. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " I. - Tous les navires français à passagers et tous les autres navires d'une longueur égale ou supérieure à douze mètres, à l'exception des navires de plaisance de longueur hors tout inférieure à trente mètres et des navires sous-marins , doivent, s'ils ne possèdent pas de certificat international de franc-bord, être munis d'un certificat national de franc-bord délivré en tenant compte notamment de la structure et de l'échantillonnage, de la stabilité, de l'étanchéité et des conditions d'exploitation du navire./ II. - Le certificat national de franc-bord est délivré pour une durée maximale de cinq ans par une société de classification reconnue./ Il est renouvelé pour une durée maximale de cinq ans par une société de classification reconnue en ce qui concerne les navires d'une longueur de référence égale ou supérieure à vingt-quatre mètres. Pour les autres navires, il est renouvelé pour une période maximale de cinq ans par une société de classification reconnue ou par un centre de sécurité des navires dans des conditions définies par le ministre chargé de la marine marchande./ Pendant sa période de validité, le certificat national de franc-bord est visé annuellement par l'autorité ou la société de classification reconnue qui en a effectué la délivrance ou le précédent renouvellement. ". Aux termes de l'article 140-1.A.1 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires, dans sa version alors en vigueur, la société Bureau Veritas fait partie des sociétés de classification agréées.

9. D'autre part, aux termes du paragraphe 1.2.9 de l'article 222-2.08 du chapitre 222-2 relatif au franc-bord, à la stabilité, au compartimentage et à l'assèchement du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 : " 1.2.9. Les résultats obtenus doivent concorder d'une manière jugée acceptable avec les éléments, déplacement et position du centre de gravité, évalués dans le dossier prévisionnel de stabilité pour que ce dernier soit considéré comme dossier définitif. Dans le cas contraire, en particulier lorsque le GM trouvé à l'expérience est inférieur au GM prévisionnel diminué de 10 %, ou lorsque l'augmentation du déplacement excède 10 %, le dossier de stabilité doit être refait à partir des éléments, déplacement et GM, trouvés à l'expérience./ La commission de sécurité compétente approuve, s'il y a lieu, le dossier prévisionnel ou le nouveau dossier calculé après l'expérience. Ce document devient le dossier définitif de stabilité du navire. ".

10. En premier lieu, la société COMARIN soutient que le contenu du dossier de stabilité prévisionnel était gravement erroné ainsi que l'auraient démontré les investigations menées ultérieurement, et donc que la société Bureau Veritas ne pouvait se borner aux remarques qu'elle a alors formulées et aurait dû, dès ce stade, faire des observations complémentaires. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Chantier Naval Gléhen Père et fils a fait établir le 1er mars 1999 un dossier de stabilité prévisionnel ayant fait l'objet d'un premier examen par la société Bureau Veritas avant une première expérience de pesée et stabilité conduite le 19 mai 1999 sur le compte-rendu de laquelle figure le cachet de la société Bureau Veritas indiquant " document vérifié dans le cadre de la stabilité selon les conditions précisées dans le rapport n° 99/024/FPC ci-joint ". Ce rapport d'examen du dossier relève " des incohérences (...) dans la description de la carène entre le plan d'ensemble, le plan des formes et la description des formes du brion sur le logiciel informatique " tout en précisant que " Cependant ces différences font intervenir de faibles volumes " et surtout, indique au point 2.4.6 : " Des calculs de vérification montrent que l'angle de gite maximal dû à l'effet du tassement des passagers et du vent pour le cas " arrivée " ne respecte pas le critère requis. Celui-ci est égal à 19, 7° au lieu de 18,2° requis. Si la pression de vent est réduite à 347 Pa, ce critère n'est pas respecté (la pression réglementaire est de 370 Pa) ". Dans le procès-verbal de la commission régionale de sécurité établi le 23 mars 1999, ces observations ont été prises en considération et la commission a estimé que sous réserve que les caractéristiques du navire lège soient confirmées par une expérience de stabilité, dans cette attente, la stabilité prévisionnelle " pouvait être acceptée ".

11. Si, à l'appui de son moyen, la requérante soutient, plus précisément, que la société Bureau Veritas ne pouvait se satisfaire de l'indication d'un poids du navire " lège armé avec fluides " alors que le dossier devait comporter cette donnée " navire lège ", sans fluide donc, il résulte de l'instruction que le poids des fluides était lui-même indiqué dans les tableaux établis dans le rapport de sorte qu'il était possible de le déduire pour obtenir le calcul du poids du navire lège sans fluides. S'agissant des formes de la coque, ainsi qu'il a été rappelé, la société Bureau Veritas avait relevé des incohérences à ce titre. Elle n'a donc pas failli à sa mission sur ce point. Enfin, il n'est pas établi que la validation, à l'étape du dossier prévisionnel, d'un franc-bord situé à 1 462 mm, donnée qui ne présentait pas d'invraisemblance à ce stade, et alors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait la présence physique de la société de certification à l'étape de validation du dossier prévisionnel, ait présenté un caractère fautif. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont pu estimer que la société Bureau Veritas n'avait commis aucune faute en visant le dossier prévisionnel de stabilité établi par le bureau d'études Coprema sans formuler d'observations complémentaires à celles rappelées au point 10 du présent arrêt.

12. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du paragraphe 2.6 de l'article 222-2.01 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 : " 2.6. L'autorité chargée de la délivrance du certificat de franc-bord doit fournir à l'armateur un rapport de visite de franc-bord faisant apparaître clairement : / .1 tous les éléments qui ont été pris en considération dans l'attribution du franc-bord. / .2 l'ensemble des conditions acceptées pour l'attribution du franc-bord. ". Aux termes des paragraphes 1.2.3 et 1.2.4 de l'article 222-2.08 du même règlement : " 1.2.3. Les navires doivent subir, après leur achèvement et, dans toute la mesure du possible, navire terminé, engins de sauvetage à leur poste, une expérience de stabilité destinée à déterminer le déplacement réel du navire à l'état lège et les coordonnées de son centre de gravité. / 1.2.4. L'expérience de stabilité doit être conduite et ses résultats doivent être dépouillés par un responsable qualifié, nommément désigné par le chantier ou l'armateur./ Elle doit être effectuée en présence d'un représentant de la société de classification assignatrice du franc-bord pour les navires de longueur hors tout supérieure ou égale à 12 mètres et d'un représentant du centre de sécurité des navires concernés. Ce dernier contrôle la bonne exécution de l'expérience de stabilité. ". Aux termes du paragraphe 1.2.8 du même article : " 1.2.8. Le responsable qualifié dépouille l'expérience de stabilité et établit le procès-verbal de l'expérience donnant les résultats et les calculs correspondants et qui est envoyé au centre de sécurité et à la commission de sécurité compétente. ". Aux termes du paragraphe 1.2.10 du même article : " 1.2.10. Le procès-verbal de l'expérience de stabilité est signé par le responsable qualifié, visé par le représentant du centre de sécurité des navires et le représentant de la société de classification lorsque le navire a une longueur hors tout supérieure ou égale à 12 mètres. ". Aux termes des dispositions de l'article 211-1.04 de l'arrêté du 23 novembre 1987, alors en vigueur, relatif à l'examen du dossier de stabilité à l'état intact : " Modalités d'examen du dossier./ 1. Toutes les pièces constituant le dossier doivent être soumises en même temps à l'autorité compétente et porter les références d'identification du navire concerné (nom du navire et repère du chantier). Le dossier doit recevoir au préalable le visa d'une société de classification reconnue. Ce visa atteste qu'a été vérifié le dossier établi par le chantier ou l'architecte naval ; la société fournit à l'autorité compétente un rapport d'étude indiquant les documents contrôlés et le résultat des contrôles effectués./ 2. Chaque dossier est établi sous la responsabilité de l'armateur ou du propriétaire du navire./ 3. Au vu du rapport d'examen de la société de classification, l'autorité compétente décide de l'acceptation ou du refus du dossier, assorti de prescriptions qu'elle juge nécessaires./ 4. Pour tenir compte des changements survenant au cours de la vie du navire, tout changement d'exploitation non prévu au dossier approuvé ou toute transformation notable à bord fera l'objet d'un nouveau dossier et, si l'autorité compétente le juge nécessaire, d'une nouvelle expérience de stabilité. ".

13. Il est constant, ainsi qu'en attestent notamment les termes du procès-verbal de ces opérations produit au dossier, que la société Bureau Veritas n'a pas assisté à l'opération de pesée et à l'expérience de stabilité du navire, qui se sont déroulées le 19 mai 1999, en méconnaissance des dispositions précitées du paragraphe 1.2.4 de l'article 222-2.08 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987. Le procès-verbal de ces opérations, établi par le bureau d'études Coprema, responsable de l'expérience, n'a pas davantage été visé par la société Bureau Veritas, ainsi que l'exigent pourtant les dispositions du paragraphe 1.2.10 du même article 222-2.08 du règlement relatif à la sécurité des navires. La société Bureau Veritas a néanmoins délivré, le 31 mai 1999, un certificat de franc-bord valable cinq mois en confirmant le positionnement des marques de franc-bord, puis a renouvelé ce certificat. Par ailleurs, le 2 juin suivant, le procès-verbal de visite de mise en service du navire, établi par une commission au sein de laquelle un représentant de la société Bureau Veritas était présent et qui comporte la signature de ce représentant, a conclu en ce sens que le navire réunissait les conditions réglementaires de navigation pour la délivrance d'un certificat de franc-bord et d'un permis de navigation national, alors même d'ailleurs que ce procès-verbal relève, sans qu'aucune conséquence n'en ait été tirée ou interrogation formulée, un différentiel de poids entre celui relevé lors de l'expérience de stabilité du 19 mai 1999 et le poids relevé lors de cette visite. Enfin, la lecture du rapport d'examen du dossier prévisionnel établi par la société Bureau Veritas le 25 juin 1999 confirme que le dépouillement de l'expérience de stabilité du 19 mai 1999 n'a pas été fourni et conclut " il appartient à la commission de sécurité compétente de statuer sur le présent dossier compte tenu des observations précédentes et de demander tout complément de calculs et ou d'informations qu'elle jugerait nécessaire ". Il résulte dès lors de tout ce qui précède que la société Bureau Veritas, outre qu'elle n'a pas assisté à l'expérience de stabilité du 19 mai 1999, ne s'est ensuite livrée à aucune investigation afin de vérifier les conditions dans lesquelles cette expérience avait été menée et la fiabilité des données qui lui avait été communiquées à sa suite puis a délivré, sur le seul fondement de ces données non vérifiées, un certificat de franc-bord qu'elle a ensuite renouvelé alors même que le navire était impropre à la navigation. Elle n'a ainsi jamais alerté l'armateur sur les malfaçons affectant le navire. C'est donc à bon droit, et sans méconnaître l'autorité relative de la chose jugée qui s'attache au jugement du Tribunal administratif de Saint-Martin en date du 15 décembre 2009, à l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux n° 10BX00403 en date du 14 décembre 2010, et au jugement du Tribunal administratif de Rennes n° 1003752 en date du 19 avril 2013, qui se rapportent, pour les deux premiers, à la mise en cause de la responsabilité de l'État par la société COMARIN, et, pour le dernier à la mise en cause de la responsabilité de l'État par la copropriété maritime Saint-Barth Ferry, que les premiers juges ont estimé les fautes commises par la société Bureau Veritas étaient de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société COMARIN.

14. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise rédigé par M. D... C... missionné par le Tribunal de Commerce de Quimper, que les désordres litigieux, qui ont affecté le positionnement vertical du centre de gravité du navire, au demeurant " bien construit " ainsi que l'a relevé l'expert, trouvent leur origine dans une augmentation du devis de poids initial du navire liée à la nécessité de lui apporter des modifications en vue d'assurer sa stabilité statique et dynamique, elle-même affectée de graves défauts. Ces modifications, dont le poids a été mal anticipé en raison, notamment, de la succession de deux bureaux d'études au cours du chantier, ont conduit à un alourdissement du navire et donc à un abaissement de son centre de gravité. Si ces désordres auraient dû être constatés lors de l'expérience de stabilité, mais que cette dernière n'a pas été conduite dans les règles de l'art et que l'absence de la société Bureau Veritas à cette réunion, puis sa négligence, n'ont pas permis de relever, ni de corriger, ces irrégularités dans le déroulement des opérations et donc d'informer l'amateur sur les malfaçons du navire, il demeure que le bateau était définitivement impropre à la navigation à l'issue de sa construction et donc dès le 19 mai 1999.

15. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que l'expérience de stabilité s'est déroulée en la présence des chantiers Glehen, d'un représentant des Affaires maritimes, du bureau d'études et de la société COMARIN qui était également responsable du dossier de stabilité du navire à l'état intact en vertu de l'article 211.1.04 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 2007. Le procès-verbal de recette, indiquant que les essais avaient été concluants, a par ailleurs été signé le 4 juin 1999 par la copropriété Saint Barth Ferry à laquelle la société COMARIN appartient. Dès lors, compte tenu de l'origine des désordres telle que décrite au point précédent et de la multiplicité des parties en présence et donc des responsabilités, notamment lors de l'expérience de pesée et de stabilité menée 19 mai 1999 qui aurait dû révéler les malfaçons affectant le navire, il y a lieu de fixer à 30% la part de responsabilité de la société Bureau Veritas susceptible d'être engagée pour la réparation des préjudices dont la société COMARIN se prévaut.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice de pertes d'exploitation et des frais engagés par COMARIN à l'occasion d'instances antérieures :

16. Si la société COMARIN se prévaut d'un préjudice de pertes d'exploitation, il résulte de l'instruction que ce dernier présente un caractère éventuel. Il résulte par ailleurs de ce qui a été dit au point 14 du présent arrêt que ce préjudice est la conséquence de l'impropriété définitive du navire à sa fonction à laquelle les diligences de la société Bureau Veritas n'auraient pu, en tout état de cause, remédier, et ne peut être regardé comme résultant directement des fautes commises par la société de certification. De même, les frais exposés par la société COMARIN à raison des précédentes instances introduites contre d'autres personnes publiques ou privées, notamment l'Etat ou les chantiers Glehen, ne peuvent être regardés comme l'ayant été en conséquence des fautes commises par la société Bureau Veritas. Les demandes de la société tendant à la réparation de ces deux postes de préjudices ne peuvent donc qu'être rejetées.

S'agissant du préjudice de pertes d'avantage fiscal :

17. Il résulte en revanche de l'instruction, que la société COMARIN se prévaut d'une perte d'avantage fiscal dont l'expert a reconnu l'existence à hauteur de 428 839 euros. La faute de la société Bureau Veritas a concouru à cette perte. Dès lors, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 15 du présent arrêt, il y a donc lieu de mettre à la charge de la société Bureau Veritas une somme de 128 651 euros.

S'agissant du préjudice de frais divers exposés par la société COMARIN :

18. Ainsi que l'a reconnu l'expert également, la société COMARIN a exposé en pure perte des frais de bureau, billetterie et publicité afin de préparer l'entrée en service du navire, ainsi que des frais liés à la nécessité de mener des investigations complémentaires et nouvelles mises en eau, rendues nécessaires par les résultats erronés de l'expérience du 19 mai 1999. La société COMARIN a également déboursé des frais liés à l'ajout de nouveaux équipements destinés à remédier, en vain, au défaut de stabilité du navire alors que ce dernier était, en tout état de cause, trop lourd pour assurer sa fonction, et des frais d'étude facturés par la société SBCN intervenue pour proposer des moyens de remédier à ces malfaçons du navire. Le rapport d'expertise judiciaire a estimé ces frais à la somme, non contestée au cours des opérations d'expertise, de 1 446 363 euros. Il y a donc lieu de mettre à la charge de la société Bureau Veritas, compte tenu du même partage de responsabilité retenu au point 15, une somme de 433 908 euros.

S'agissant du préjudice moral :

19. Enfin, la société COMARIN se prévaut à juste titre d'un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 5 000 euros, dont 1 500 euros doivent être mis à la charge de la société Bureau Veritas, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 15.

20. Il résulte de ce qui précède que la société COMARIN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande et à demander la condamnation de la société Bureau Veritas à lui verser une somme de 564 059 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

21. La somme de 564 059 euros portera intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2003, date de la première demande d'indemnisation adressée par la société COMARIN à la société Bureau Veritas par la voie de son assignation présentée devant le Tribunal de commerce de Quimper.

22. La capitalisation des intérêts a été demandée le 5 septembre 2016. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande, à cette même date et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les dépens :

23. En l'absence de dépens exposés au cours de l'instance, l'expertise judiciaire de M. D... C..., architecte naval, expert maritime, ayant été ordonnée par le Tribunal de commerce de Quimper, les conclusions présentées par la société Bureau Veritas à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

24. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 de justice administrative par la société Bureau Veritas ne peuvent qu'être rejetées, la société COMARIN n'ayant pas la qualité de partie perdante à la présente instance. Il y a lieu, en revanche de mettre à la charge de la société Bureau Veritas la somme de 2 000 euros à verser à la société COMARIN sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La société Bureau Veritas Marine et Offshore SAS venant aux droits de la société Bureau Veritas SA est condamnée à verser à la société COMARIN la somme de 564 059 (cinq cent soixante-quatre mille cinquante-neuf) euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2003. Les intérêts échus à la date du 5 septembre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La société Bureau Veritas Marine et Offshore SAS venant aux droits de la société Bureau Veritas SA versera à la société COMARIN une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la société Bureau Veritas Marine et Offshore SAS venant aux droits de la société Bureau Veritas SA relatives aux dépens et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le jugement n° 1310590 du 4 juillet 2016 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

2

N° 16VE02844


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE02844
Date de la décision : 31/08/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : CABINET LERINS et BCW AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-08-31;16ve02844 ?
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