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09/06/2020 | FRANCE | N°19VE04052

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 09 juin 2020, 19VE04052


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 1er mai 2019 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans, l'a informé qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, et a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de ren

voi.

Par un jugement n° 1908327 du 8 novembre 2019, le magistrat désigné par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 1er mai 2019 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans, l'a informé qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, et a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1908327 du 8 novembre 2019, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Versailles annulé les décisions du 1er mai 2019 par lesquelles le préfet des Hauts-de-Seine a refusé d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrées le 5 décembre 2019, M. B... A..., représenté par Me E..., demande à la Cour :

1°d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'annulation de la décision du 1er mai 2019 du préfet des Hauts-de-Seine portant obligation de quitter le territoire français ;

2° d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français susmentionnée ;

3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; ou à défaut, d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de procéder au réexamen de sa situation, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et de travail ;

4° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté contesté a été pris par une autorité incompétente ;

- la décision l'obligeant de quitter le territoire française a été prise en méconnaissance du droit à être préalablement entendu consacré par les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- il remplit les conditions pour se voir délivrer de plein droit un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement de l'article 6-4 de l'accord franco- algérien ;

- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 6-5 de l'accord susmentionné et de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale.

Vu le jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de New York relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Beaujard, président, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 14 juin 1972 à Tifra (Algérie), fait appel du jugement du 8 novembre 2019 par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er mai 2019 du préfet des Hauts-de-Seine l'obligeant à quitter le territoire français.

2. En premier lieu, l'arrêté du 1er mai 2019 a été signé par M. D... C..., sous-préfet, directeur de cabinet, qui disposait, par un arrêté PCPIIT n° 2019-05 du 18 janvier 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs du 22 janvier 2019, d'une délégation de signature dans le cadre de la permanence préfectorale qu'il est amené à assurer pendant les jours non ouvrés (samedis, dimanches et jours fériés) accordée par le préfet des Hauts-de-Seine à l'effet de signer, pour l'ensemble du département, les décision d'obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit donc être écarté comme manquant en fait.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : (...) - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Si les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union relatif au respect des droits de la défense imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.

4. Le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des principes généraux du droit de l'Union européenne et qui implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne, a été méconnu.

5. Toutefois, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision défavorable est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie. En l'espèce, M. A... soutient qu'il s'est vu notifier la décision contestée lorsqu'il se trouvait au dépôt du Tribunal de Grande Instance de Nanterre, sans le truchement d'un interprète ni même lecture faite par l'agent, comme en atteste la mention " lu par l'intéressé " alors même qu'il n'est pas contesté qu'il ne sait pas lire., qu'il n'a donc pas compris les termes de la décision et n'a pas été effectivement mis en mesure de présenter avant sa notification des observations qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, qu'il avait des arguments à faire valoir sur la durée de sa résidence habituelle et régulière sur le territoire français, relativement à ses liens familiaux étant père de quatre enfants de nationalité française dont deux en bas âge. Toutefois, il ressort des motifs de la décision en litige que le préfet des Hauts-de-Seine avait parfaitement connaissance de la situation personnelle et familiale de M. A.... En outre, il n'est pas établi que M. A... ne sait pas lire le français, et à supposer même cette circonstance établie, elle n'est pas de nature à priver M. A... de s'exprimer en français, langue qu'il parle et qu'il comprend. Ainsi, M. A... n'établit pas qu'il aurait été empêché de présenter ses observations avant que ne soit pris l'arrêté contesté, qui lui a été notifié lors de son incarcération. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé du droit d'être entendu qu'il tient d'un principe général du droit de l'Union européenne.

6. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 4. Au ressortissant algérien ascendant direct d'un enfant français mineur résident en France, à la condition qu'il exerce même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité d'ascendant direct d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, le certificat de résidence d'un an n'est délivré au ressortissant algérien que s'il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an. 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". ". La situation des algériens étant régie de manière complète par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et les avenants qui l'ont modifié, seul l'article 6 précité est applicable au ressortissant algérien parent d'un enfant français mineur.

7. Indépendamment de l'énumération faite par l'article L. 5114 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Ainsi, lorsque la loi ou une convention internationale prévoit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement.

8. Toutefois, aucune disposition de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ne prive l'administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour d'un algérien en se fondant sur un motif d'ordre public.

9. M. A... fait valoir qu'il est père de quatre enfants français dont trois mineurs sur lesquels il exerce l'autorité parentale confiée par une ordonnance du 14 mars 2018 du juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Nanterre. Cette même ordonnance lui accorde un droit de visite médiatisé sur ses deux plus jeunes enfants, qu'il a exercé jusqu'à son incarcération. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a relevé le premier juge, que cette même ordonnance qui lui accorde conjointement l'autorité parentale avec son épouse, lui fait interdiction de recevoir ou de rencontrer cette dernière ainsi que d'entrer en relation avec elle de quelque façon que ce soit, et qu'à la suite de cette ordonnance, M. A... a été condamné à huit mois de prison ferme pour harcèlement d'une personne étant ou ayant été conjoint, après qu'il eut tenté de rentrer en contact avec son épouse, et incarcéré à la maison d'arrêt de Nanterre jusqu'au 31 octobre 2019. Eu égard à ces actes délictueux, il n'est pas établi que le préfet n'aurait pas fait usage du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour de M. A... en se fondant sur un motif d'ordre public. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il remplissait les conditions pour se voir attribuer de plein droit un titre de séjour en application des stipulations de l'articles 6 de l'accord francoalgérien.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que l'a relevé le premier juge, que M. A... est entré en France en 2015 avec son épouse et leurs quatre enfants. Il a travaillé jusqu'en avril 2018, notamment en qualité de technicien câbleur dans la téléphonie mobile. Mais il ressort également des pièces du dossier, notamment de l'ordonnance de protection du 14 mars 2018, qu'il vit séparé de son épouse et de ses enfants, dont son épouse a la garde exclusive, qu'il a exercé sur son épouse des violences conjugales, que des violences physiques et psychologiques ont également été exercées à l'encontre de ses deux aînés, et plus particulièrement à l'encontre de sa fille née en 1999, qu'il ne voit ses deux plus jeunes enfants que dans le cadre de visites médiatisées dans une unité de psychothérapie, que les rencontres avec ses enfants ont, au demeurant, été interrompues à la suite de son incarcération pour harcèlement de son épouse. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la situation familiale de M. A... et à la circonstance qu'il n'est présent en France que depuis 2015, le préfet des Hauts de Seine n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée une atteinte disproportionnée au regard des motifs de sa décision, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'a pas non plus commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

13. M. A... soutient que le préfet a omis de s'interroger sur les conséquences qu'aurait la mesure litigieuse sur la vie de ses enfants mineurs, sur lesquels il exerce conjointement l'autorité parentale. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 11, le comportement de M. A... à l'égard de ses enfants, et les conditions extrêmement strictes dans lesquelles il est autorisé à exercer son droit de visite, ne permettent pas d'établir que le préfet, en prenant une décision d'éloignement de M. A..., n'aurait pas pris en considération l'intérêt supérieur des enfants de l'intéressé. Dans les conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, ne pourra qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Il y lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions aux fins d'injonction ainsi, que, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

2

N° 19VE04052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19VE04052
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Alice DIBIE
Rapporteur public ?: Mme AVENTINO-MARTIN
Avocat(s) : PATUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-06-09;19ve04052 ?
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