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02/06/2020 | FRANCE | N°18VE04212

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 02 juin 2020, 18VE04212


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2018 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer sa situation, de lui délivrer un récépissé dans un délai d'un mois et de met

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2018 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer sa situation, de lui délivrer un récépissé dans un délai d'un mois et de mettre fin à son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Par un jugement n° 1807260 du 3 décembre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 décembre 2018 et 11 décembre 2019, M. A... B..., représenté par Me C..., avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

Et, à titre principal :

2° d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2018 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

3° d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour et de procéder à un réexamen de sa situation administrative ;

A titre subsidiaire :

4° d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2018 du préfet de la Seine-Saint-Denis en tant qu'il fixe le pays dont il a la nationalité comme pays de renvoi et prononce une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

En tout état de cause :

5° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me C... en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- son droit à être entendu, consacré par les stipulations de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne, a été méconnu ;

- le préfet s'est estimé lié par la décision de la Cour nationale du droit d'asile ;

- les décisions attaquées méconnaissent les dispositions de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet ne pouvait fonder son interdiction de retour sur la circonstance qu'il se serait soustrait à une précédente mesure d'éloignement alors qu'il était en présence d'éléments nouveaux lui interdisant de rentrer dans son pays d'origine ; la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français est disproportionnée eu égard à la durée de son séjour en France et sa volonté d'intégration.

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 30 juillet 2018, le préfet de la Seine-Saint-Denis a obligé M. B..., ressortissant bangladais né le 10 mars 1986, à quitter sans délai le territoire français à destination du pays dont il a la nationalité et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... a demandé l'annulation de ces décisions au Tribunal administratif de Montreuil qui, par jugement n° 1807260 en date du 3 décembre 2018, a rejeté sa demande. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions attaquées :

2. En premier lieu, M. B... soutient que le préfet n'aurait pas procédé à un examen sérieux de sa situation. M. B... se plaint de ce que le préfet a pris la décision attaquée sans tenir compte de ce qu'il attendait l'envoi, depuis le Bangladesh, de documents de nature à attester des risques encourus en cas de retour dans ce pays. Toutefois, et en tout état de cause, le préfet n'était pas tenu de différer, dans l'attente alléguée de l'envoi de tels documents, l'édiction de sa décision, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier que le requérant est entré en France en 2010 et qu'il a sollicité, depuis lors, l'asile puis le réexamen de sa demande à quatre reprises sans parvenir à établir les risques encourus. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa demande.

3. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ". Le paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte stipule que : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. (...) ".

4. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision. Ainsi qu'il a été dit, M. B... a sollicité, à cinq reprises depuis 2010, l'examen puis le réexamen de sa demande d'asile, jusqu'au dernier rejet de sa demande par la Cour nationale du droit d'asile le 6 juin 2017. A la date de la décision attaquée, il ne disposait d'aucun document nouveau de nature à établir les risques encourus au Bangladesh. En effet, les derniers documents dont il se prévaut ont été reçus postérieurement à la décision attaquée et sont relatifs aux mêmes faits allégués par M. B... à l'appui de ces demandes successives d'asile. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration des informations pertinentes tenant à sa situation personnelle avant que ne soit prise à son encontre la mesure d'éloignement et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 41 de la charte susvisée et le principe général des droits de la défense, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, ni des termes de la décision attaquée, que le préfet, ayant pris connaissance des décisions des autorités compétentes en matière d'asile, se serait estimé en situation de compétence liée pour prendre les décisions attaquées.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France en 2010 après avoir vécu 24 années dans son pays d'origine dans lequel il ne conteste pas ne plus avoir d'attaches familiales. Il est célibataire, sans charge de famille sur le territoire national et la circonstance qu'il ait travaillé, déclaré ses revenus et qu'il apprenne le français ne suffisent pas à regarder la décision attaquée comme portant à son droit de mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée.

Sur le moyen propre à la décision fixant le pays de destination :

8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

9. Ainsi qu'il a été rappelé par les premiers juges, la demande d'asile de M. B... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 24 janvier 2011 et par la Cour nationale du droit d'asile le 10 février 2012. Sa première demande de réexamen a été rejetée par le même office le 28 décembre 2012 et par la même cour le 26 novembre 2013. Sa deuxième demande de réexamen a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 24 juin 2014 et par la Cour nationale du droit d'asile le 4 décembre 2014. Son pourvoi en cassation contre cette décision a fait l'objet d'une ordonnance de non-admission du Président de la 10ème sous-section de la Section du contentieux du Conseil d'État le 11 mai 2015. Sa troisième demande de réexamen de sa demande d'asile a été rejetée par Cour nationale du droit d'asile comme irrecevable le 25 novembre 2015 et la Cour nationale du droit d'asile a rejeté son nouveau recours le 14 avril 2016. Sa quatrième demande de réexamen a de nouveau été rejetée comme irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 19 mai 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile le 12 septembre 2017.

10. A l'appui des allégations selon lesquelles il aurait eu connaissance de nouveaux éléments relatifs aux risques qu'il encourrait en cas de retour au Bangladesh postérieurement à la dernière décision de la Cour nationale du droit d'asile, le requérant produit une lettre de son frère et un courrier d'avocat en date des 5 et 6 septembre 2018, qui évoquent l'existence de deux procédures judiciaires en cours depuis huit ans et dirigées contre l'intéressé et font état de l'ouverture d'une nouvelle procédure judiciaire et d'un mandat d'arrêt récemment émis contre lui. Toutefois, d'une part, s'agissant des deux premières procédures judiciaires, ainsi qu'il a été dit, les autorités compétentes en matière d'asile ont été saisies, à plusieurs reprises, du dossier de M. B... et ont estimé que les allégations du requérant relatives à ces procédures étaient dénuées de toute crédibilité. Les documents nouveaux dont il se prévaut ne permettent pas davantage, eu égard aux termes dans lesquels ils sont rédigés, de regarder ces faits comme établis. D'autre part, et de la même façon, s'agissant de la nouvelle procédure judiciaire dont l'existence est alléguée, les documents produits sont insuffisamment circonstanciés pour établir que M. B... encourrait des risques pour sa situation personnelle en cas de retour au Bangladesh. Dès lors, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont pas été méconnues.

Sur les moyens propres à la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. (...). La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

12. Si M. B... peut être regardé comme se prévalant de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans prononcée à son encontre, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige est intervenue après que le préfet de la Seine-Saint-Denis a pris en considération la durée de séjour sur le territoire national du requérant, ses liens personnels et familiaux en France, et la circonstance qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. La volonté d'intégration dont M. B... se prévaut ainsi que les documents nouveaux produits en appel relatifs à sa demande d'asile ne sont pas, nonobstant la durée de séjour en France de l'intéressé, de nature à établir que la décision attaquée serait intervenue en méconnaissance des dispositions précitées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 30 juillet 2018. Sa requête doit dès lors être rejetée dans toutes ses conclusions y compris ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte et celles présentées sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.

N° 18VE04212 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04212
Date de la décision : 02/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : TARON

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-06-02;18ve04212 ?
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