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27/05/2020 | FRANCE | N°19VE00413

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 27 mai 2020, 19VE00413


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'établissement public de santé de Ville-Evrard :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'établissement a rejeté sa demande du 7 juin 2017 tendant notamment à l'octroi de la protection fonctionnelle, à la reconnaissance de son accident de service et au bénéfice d'un congé de formation ;

2°) d'enjoindre à l'établissement de saisir la commission de réforme afin qu'elle statue sur sa demande de reconnaissa

nce d'accident du service ;

3°) d'enjoindre à l'établissement de réexaminer sa demande d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'établissement public de santé de Ville-Evrard :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'établissement a rejeté sa demande du 7 juin 2017 tendant notamment à l'octroi de la protection fonctionnelle, à la reconnaissance de son accident de service et au bénéfice d'un congé de formation ;

2°) d'enjoindre à l'établissement de saisir la commission de réforme afin qu'elle statue sur sa demande de reconnaissance d'accident du service ;

3°) d'enjoindre à l'établissement de réexaminer sa demande de congé de formation ;

4°) de condamner l'établissement à lui verser la somme totale de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait du harcèlement moral qu'elle a dû endurer, ainsi que la somme de 4 902 euros au titre de la prise en charge des frais et honoraires en application des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

Par un jugement n° 1709068 du 7 décembre 2018 le tribunal administratif de Montreuil a annulé le refus de l'établissement public de santé de Ville-Evrard de reconnaître l'accident de service dont se prévaut Mme C..., a enjoint l'établissement de saisir la commission de réforme dans un délai d'un mois et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 février 2019, 20 décembre 2019, 21 janvier 2020 et 10 février 2020, Mme C..., représentée par Me Cayla-Destrem, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'établissement public de santé de Ville-Evrard a rejeté sa demande de protection fonctionnelle et de congé de formation ;

3°) de condamner l'établissement à lui verser une somme totale de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle a fait l'objet, ainsi que la somme de 4 902 euros au titre de la prise en charge des frais et honoraires en application des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

4°) d'enjoindre à l'établissement public de santé de Ville-Evrard de réexaminer sa demande de congé de formation ;

5°) d'enjoindre à l'établissement de lui accorder la protection fonctionnelle ;

6°) de mettre à la charge de l'établissement public de santé Ville-Evrard la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de refus de lui accorder la protection fonctionnelle est entachée d'un défaut de motivation ;

- cette décision n'est, en outre, pas fondée dès lors qu'elle a été victime de harcèlement moral ;

- en refusant de lui accorder la protection fonctionnelle, l'établissement public de Ville-Evrard a méconnu les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail ;

- la décision de lui accorder un congé de formation est entachée d'un défaut de motivation ;

- cette décision révèle, en outre, le harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;

- la responsabilité de l'établissement public de santé de Ville-Evrard doit être engagée, en raison du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de sa cadre de santé ;

- elle a subi un préjudice de santé qu'elle évalue à la somme de 5 000 euros et un préjudice de carrière qu'elle évalue à la somme de 10 000 euros ;

- l'établissement public de santé de Ville-Evrard doit être condamné à prendre en charge les frais de procédure résultant de son refus de lui accorder la protection fonctionnelle, soit la somme de 4 902 euros.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C..., éducatrice spécialisée, a été recrutée par l'établissement public de santé de Ville-Evrard, le 11 février 2013, avec un contrat à durée déterminée, avant d'être titularisée le 1er novembre 2013. Elle exerce son activité au sein de l'unité clinique " adolescents " de l'établissement. Par un courrier du 7 juin 2017, elle a demandé à l'établissement de santé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime, de réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis de ce fait, de reconnaître l'imputabilité au service de son état de santé et de lui accorder le bénéfice d'un congé de formation. Par un jugement du 7 décembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision implicite de rejet de reconnaissance de l'imputabilité au service de son état de santé et a enjoint à l'établissement de saisir la commission de réforme. Mme C... fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur les faits de harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. [...] ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

En ce qui concerne les dysfonctionnements du service :

4. Si Mme C... se prévaut des graves dysfonctionnements affectant l'unité clinique " adolescents ", révélés notamment selon elle par l'absence de toute réaction de la cadre de santé aux alertes de la requérante sur des vols de nourriture, ces éléments, à les supposer fondés, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à l'encontre de la requérante de la part de la cadre de santé de l'unité clinique " adolescents ".

En ce qui concerne les menaces proférées par cette cadre de santé :

5. Aucune des nombreuses pièces produites par la requérante ne permet d'établir que la cadre supérieure de santé aurait menacée Mme C... de représailles, dont la nature n'est au demeurant pas précisée, si elle s'avisait à alerter, à nouveau, ses supérieurs sur les dysfonctionnements du service ou les manquements professionnels d'autres agents du service.

En ce qui concerne les brimades et les remises en cause des compétences professionnelles :

6. Mme C... produit 8 attestations de personnes qui ont travaillé à ses côtés au sein de l'unité clinique " adolescents ", qui mettent toutes en exergue les qualités professionnelles et l'implication de la requérante, lesquelles ressortent également des évaluations de la requérante, qui ont, au demeurant, été signées par la cadre de santé de l'unité. Toutefois, ces attestations ne concordent pas toutes sur la situation et les relations au sein de l'unité, seules trois d'entre elles mentionnant expressément des tensions entre Mme C... et la cadre de santé. Deux de ces attestations ont été rédigées en avril 2017 et en janvier 2020 par une ancienne éducatrice spécialisée, stagiaire dans l'unité entre décembre 2013 et juillet 2014. Si l'attestation de 2017 se bornait à rapporter des propos entendus auprès d'autres membres du personnel, à l'exception d'un événement survenu en raison du stationnement du véhicule de Mme C... qui aurait gêné le véhicule de la cadre supérieure de santé, laquelle se serait alors énervée contre la requérante, le témoignage produit en 2020 mentionne l'attitude quotidienne méprisante, critique et violente de la cadre de santé à l'égard de Mme C..., dont l'auteur s'est souvenu avoir été le témoin. De même, une troisième attestation, rédigée en janvier 2020 par une ancienne infirmière du service, qui avait déjà produit un premier témoignage en 2017 dans lequel elle se bornait à mettre l'accent sur le fait que le service traversait une période difficile, fait état des relations tendues entre la cadre de santé et Mme C... et d'un incident survenu au moment de congés pris Mme C..., dont la cadre de santé n'aurait pas été informée. A supposer même établis les événements, au demeurant non datés, rapportés par ces attestations, ainsi que les difficultés relationnelles entre la requérante et la cadre de santé de l'unité, ces éléments ne peuvent à eux seuls faire présumer le harcèlement moral dont se prévaut Mme C....

En ce qui concerne le refus de la laisser entreprendre une formation :

7. En premier lieu, si Mme C... soutient que la cadre de santé de l'unité lui a plusieurs fois opposé un refus de la laisser entreprendre une formation universitaire en psychologie, il ne résulte pas de l'instruction que la requérante aurait introduit une telle demande. Les seules fiches de " recensement des besoins de formation " pour les années 2015 et 2016, versées au dossier par la requérante, ne sauraient être regardées comme constituant des demandes de congé de formation pour reprise d'études. Au demeurant, ces fiches ne sont pas datées et n'ont pas été signées par le supérieur hiérarchique de Mme C..., qui comme elle le fait elle-même valoir, n'était pas la cadre supérieure de santé de l'unité. Par ailleurs, le seul témoignage d'une psychologue qui travaillait à mi-temps à l'unité clinique " adolescents " entre février 2014 et février 2016, qui a été rédigé le 16 janvier 2020 pour les besoins de l'instance, et qui contient des divergences avec les écritures de la requérante, est insuffisant à lui seul pour établir les " refus répétés " qui aurait été opposés à Mme C... par la cadre de santé.

8. En second lieu, le seul refus implicite opposé par l'établissement public de santé Ville-Evrard à sa demande de congé de formation adressée le 7 juin 2017 est insuffisant à faire présumer l'existence d'agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre, auquel aurait concouru la direction de l'établissement.

En ce qui concerne les pressions de l'établissement en vue d'obtenir sa démission et les menaces de poursuites pénales :

9. Il résulte de l'instruction que Mme C... a été reçu en entretien par le directeur des ressources humaines et la coordinatrice de l'action sociale le 3 février 2017, à la suite du signalement d'une situation de harcèlement moral dont la requérante aurait été à l'origine, et à la transmission à la direction des ressources humaines d'autres témoignages venant au soutien de ce signalement. La retranscription de cet entretien, qui a été enregistré par la requérante à l'insu de ses interlocuteurs, fait apparaitre, comme l'ont relevé les premiers juges, que c'est la requérante elle-même qui a fait part de son intention de démissionner, conduisant ses interlocuteurs à abonder en son sens. Cet enregistrement ne permet, en tout état de cause, pas d'identifier une situation de harcèlement moral.

10. Les éléments rapportés aux points précédents, pris isolément ou dans leur ensemble, ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

Sur le refus de la protection fonctionnelle :

11. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " [...] IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. [...] ".

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

13. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... ait demandé, postérieurement à la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle du 7 juin 2017, la communication des motifs de celle-ci. Le moyen tiré de l'existence d'un défaut de motivation ne peut qu'être écarté.

14. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 10, Mme C... n'établit pas avoir subi les faits de harcèlement moral dont elle se prévaut. Par suite, en l'absence d'agissements constitutifs de harcèlement moral imputables à la cadre de santé ou à la direction de l'établissement public de santé de Ville-Evrard, ce dernier n'a pas méconnu les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précitées en refusant à Mme C... le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Sur le refus de congé de formation professionnelle :

15. Il est constant que Mme C... n'a pas introduit de demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande de congé de formation professionnelle. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.

16. Pour contester le refus de lui accorder le bénéfice d'un congé de formation professionnelle, Mme C... se borne à soutenir que ce refus témoigne du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 8, il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel refus serait constitutif de harcèlement moral. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

17. Il résulte de ce qui précède que l'établissement public de santé de Ville-Evrard n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité. Par suite, les conclusions de Mme C... tendant à l'indemnisation de son préjudice de santé et de son préjudice de carrière, tout comme celles tendant à la prise en charge des frais de procédure dans le cadre de la protection fonctionnelle, ne peuvent qu'être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions lui ayant refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et d'un congé de formation et à ce que l'établissement de santé soit condamné à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis. Par voie de conséquence, les conclusions de Mme C... à fin d'injonction et celles tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'établissement une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... la somme que demande l'établissement public de santé sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'établissement public de santé de Ville-Evrard présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 19VE00413


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE00413
Date de la décision : 27/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-01-01 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales. Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Catherine BOBKO
Rapporteur public ?: Mme DANIELIAN
Avocat(s) : CAYLA-DESTREM

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-05-27;19ve00413 ?
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