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22/04/2020 | FRANCE | N°18VE04126

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 22 avril 2020, 18VE04126


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie du 20 novembre 2014 prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle, d'enjoindre à ce centre hospitalier de le réintégrer en qualité de praticien hospitalier, avec effet rétroactif au 20 novembre 2014, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, de condamner ce centre hospitalier à lui verser la so

mme de 32 772 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie du 20 novembre 2014 prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle, d'enjoindre à ce centre hospitalier de le réintégrer en qualité de praticien hospitalier, avec effet rétroactif au 20 novembre 2014, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme de 32 772 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence subis du fait de son éviction illégale et de mettre à la charge de cet établissement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1500373 du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 30 juin 2017, sous le numéro 17VE02084, M. E..., représenté par Maître A..., a demandé à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement et la décision du directeur du centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie du 20 novembre 2014 ;

2°) d'enjoindre à ce centre hospitalier de le réintégrer en qualité de praticien hospitalier, avec effet rétroactif au 20 novembre 2014, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme de 32 772 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence subis du fait de son licenciement ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier François Quesnay de Mantes-la-Jolie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. E... soutient que :

- la décision du directeur du centre hospitalier est insuffisamment motivée ;

- la matérialité des faits n'est pas établie ;

- il ne peut pas être tenu compte des courriers et rapports de M. B..., avec qui il est en concurrence et qui n'a pas les compétences professionnelles pour apprécier son travail, ni de ceux de Mme C..., qui n'est pas médecin et ne travaille pas au contact des patients, et est récemment arrivée dans le service et ne s'est jamais présentée auprès de lui ;

- le conseil départemental de l'ordre des médecins du Val-de-Marne n'a retenu aucun manquement à ses obligations déontologiques ;

- le rapport de la directrice adjointe du centre hospitalier doit être lu en tenant compte de ce qu'il entretient des relations conflictuelles avec la direction de l'hôpital ;

- la gravité des faits n'est pas démontrée ;

- la décision est entachée d'un détournement de pouvoir dans la mesure où elle a pour seuls buts de réduire les effectifs du centre hospitalier, de l'évincer d'une procédure de titularisation et de le sanctionner pour avoir saisi le défenseur des droits en raison de discriminations ;

- des postes de praticien hospitalier sont disponibles ;

- le licenciement a porté atteinte à sa réputation et lui a causé un préjudice moral et financier.

Par une ordonnance n°17VE02084 du 26 septembre 2017, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. E... contre ce jugement.

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision n° 415982 du 11 décembre 2018, annulé l'ordonnance du président de la 4ème chambre de la Cour administrative d'appel de Versailles du 26 septembre 2017 et renvoyé l'affaire devant la Cour où elle a été enregistrée le 11 décembre 2018 sous le numéro 18VE04126.

Procédure devant la Cour après renvoi :

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

- le décret n°2003-769 du 1er août 2003 relatif aux praticiens attachés et praticiens attachés associés des établissements publics de santé ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Tronel, président assesseur,

- et les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le directeur du centre hospitalier François Quesnay situé à Mantes-la-Jolie a, par décision du 20 novembre 2014, licencié pour insuffisance professionnelle M. E..., qui exerçait en qualité de praticien attaché associé, sous contrat à durée indéterminée, les fonctions de stomatologue. M. E... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler cette décision et de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme de 32 772 euros en réparation des préjudices subis. Par un jugement intervenu le 16 mai 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par une requête enregistrée le 30 juin 2017 sous le n° 17VE02084, M. E... a demandé à la Cour d'annuler ce jugement ainsi que la décision du directeur du centre hospitalier et de condamner cet hôpital à lui verser la somme de 32 772 euros. Par une ordonnance du 26 septembre 2017, le président de la 4ème chambre de la Cour a rejeté la requête de M. E.... Par une décision n° 415982 du 11 décembre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette ordonnance et a renvoyé l'affaire devant la Cour où elle a été enregistrée sous le numéro 18VE04126.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. La décision par laquelle est prononcé le licenciement d'un agent non titulaire recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée est au nombre de celles qui, en vertu de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable à la date de la décision attaquée, doivent être motivées.

3. La décision du 20 novembre 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier François Quesnay a licencié M. E... fait état " de fréquentes prises en charge de patients " par l'intéressé ayant eu des " conséquences dommageables graves ", de la mise en cause de ses compétences professionnelles au niveau du bloc opératoire et en consultations externes, des complications subies par des patients suivis par l'intéressé et d'importants manquements lors de la prise en charge de ces patients. La décision ne donne cependant aucune précision, même sommaire, sur les faits constatés et retenus. Si elle se réfère à un courrier d'information daté du 7 juillet 2014 et au rapport du 1er septembre 2014 établis par le coordonnateur du service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale du service, au rapport du cadre de santé des consultations externes du 10 septembre 2014 et au rapport de la directrice adjointe chargée de la qualité et de la gestion des risques du 17 septembre 2014, aucun de ces documents n'a été annexé à la décision. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens d'annulation invoqués, M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de cette décision.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. Si l'illégalité qui entache une décision administrative constitue une faute, celle-ci n'est de nature à engager la responsabilité de l'administration et à ouvrir droit à la réparation du préjudice subi que si, au regard de la nature de l'illégalité commise et de la circonstance que la décision était ou non justifiée au fond, est établi un lien de causalité entre l'illégalité fautive et le préjudice subi.

5. Aux termes de l'article R. 6152-601 du code de la santé publique : " Les praticiens attachés exercent des fonctions hospitalières et participent aux missions définies aux articles L. 6111-1 et L. 6112-1 / Ils sont placés sous l'autorité du chef de pôle ou, à défaut, du responsable du service, de l'unité fonctionnelle ou de toute autre structure interne dont ils relèvent ". Aux termes de l'article R. 6152-628 du même code : " L'insuffisance professionnelle consiste en une incapacité dûment constatée du praticien à accomplir les travaux ou à assumer les responsabilités relevant normalement des fonctions de praticien attaché. / (...) Le praticien attaché ou praticien attaché associé qui fait preuve d'insuffisance professionnelle fait l'objet soit d'une modification de la nature de ses fonctions, soit d'une mesure de licenciement avec indemnité. (...) ".

6. Il résulte de la fiche de signalement datée du 6 février 2014 et du rapport de la direction de la qualité et de la gestion des risques du 17 septembre 2014, que M. E... a effectué, le 31 janvier 2014, une consultation préopératoire de stomatologie dans le cadre du traitement d'une pathologie valvulaire. Il a remis au patient une ordonnance de sortie alors que ce dernier était hospitalisé en service de cardiologie, au lieu d'inscrire la prescription sur le dossier médical du patient. Les infirmières du service de cardiologie ont eu une connaissance tardive de cette prescription et n'ont pas pu administrer les médicaments en temps utile. Le 6 février, le patient a présenté une infection et cinq dents supplémentaires lui ont été retirées. La fiche de signalement indique que cet évènement est rare et de gravité très élevée.

7. Il ressort également d'une réclamation orale enregistrée le 24 mars 2014 et confirmée par un écrit du patient concerné, que le 18 mars 2014, ce patient, après avoir été hospitalisé pour une extraction de quatre dents de sagesse par M. E..., a perdu la sensibilité de sa langue et le goût. Malgré ses demandes, il n'a pas été revu dans les jours suivant l'intervention par un stomatologue et notamment M. E.... Le rapport de la direction de la qualité et de la gestion des risques du 17 septembre 2014 indique que M. E... n'avait pas informé le patient de ce risque et que s'il l'a revu seulement le 4 juin, ce dernier a de nouveau exprimé son mécontentement à l'issue de cette consultation et a demandé, le 6 juin, un suivi médical et des explications sur l'origine de sa paralysie et son évolution.

8. Il ressort en outre d'un courrier d'une patiente adressé au centre hospitalier le 5 avril 2014 et du rapport de la direction de la qualité et de la gestion des risques du 17 septembre 2014, que M. E... a réalisé, le 1er avril, une extraction dentaire. Programmée sur deux dents de sagesse, il a extrait une dent supplémentaire sans avoir informé la patiente sur cette éventualité et sans qu'il résulte de l'instruction que M. E... avait identifié ce risque sur le scanner et la radiographie réalisés avant l'intervention.

9. Il ressort par ailleurs du rapport de Mme C..., cadre supérieure de santé de service des consultations externes du centre hospitalier du 10 septembre 2014 que lors de sa prise en charge de patients admis dans ce service, M. E... ne les a pas informés sur les interventions et les suites opératoires et qu'il a pu avoir à leur égard un comportement grossier et vulgaire. Il est par ailleurs relevé que pour terminer plus rapidement son geste médical et au détriment du confort des patients qui ressortent la bouche en sang, il n'a pas demandé aux infirmières d'utiliser l'appareil d'aspiration. Ce rapport indique en outre que M. E... est intervenu sur des enfants sans attendre l'effet de l'anesthésie locale en demandant aux infirmières de " plaquer l'enfant comme les chevaux " et qu'il lui est arrivé de quitter le service à partir de 15 heures sans prendre en charge les urgences pouvant se présenter.

10. Enfin, dans son courrier du 7 juillet 2014 et son rapport du 1er septembre 2014, le docteur B..., médecin coordonnateur du service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale du 1er septembre 2014 fait par ailleurs état d'autres interventions de M. E... qui n'ont pas été pratiqués dans les règles de l'art.

11. Si M. E... allègue d'une prétendue rivalité entre lui et le docteur B... et conteste, en remettant en cause ses compétences professionnelles, les appréciations que ce dernier porte sur son travail, il résulte de ce qui précède que les faits précédemment relatés sont suffisamment documentés et circonstanciés par d'autres pièces que le courrier et le rapport du docteur B..., pour les regarder comme suffisamment établis. De même, la circonstance que Mme C... n'est arrivée au service des consultations externes qu'au mois de mai 2014, qu'elle n'est pas médecin et qu'elle ne s'est jamais présentée au requérant, ne prive pas de valeur probante son rapport du 10 septembre 2014, précis et circonstancié. En outre, M. E... ne remet pas en cause la matérialité des faits relevés lors de l'intervention du 18 mars 2014 et exposés au point 6 en se bornant à relever que le conseil départemental de l'ordre des médecins du Val-de-Marne n'a retenu aucune faute déontologique à son égard à la suite de cette intervention. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que ni la commission médicale d'établissement, dans son avis unanimement favorable au licenciement de M. E... du 30 septembre 2014, ni le chef de pôle " chirurgie - urgence - réanimation ", dans son avis également favorable à ce licenciement, n'ont remis en cause la matérialité des faits précédemment relatés. Compte tenu des manquements constatés et dont la matérialité est établie, M. E... a pu être légalement regardé comme ne présentant pas les aptitudes nécessaires à l'exercice des fonctions de praticien attaché et être licencié pour insuffisance professionnelle. Le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. E... étant justifié au fond, l'illégalité fautive de la décision de licenciement pour motivation insuffisante n'est pas de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. M. E... n'est pas suite, pas fondé à soutenir que c'est tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'illégalité de la décision de licenciement de M. E... en sa qualité de praticien attaché n'implique pas que le centre hospitalier, le réintègre, comme il le demande, en qualité de praticien hospitalier. Les conclusions à fin d'injonction présentées en ce sens doivent, par suite, être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par M. E....

D E C I D E :

Article 1er: Le jugement du Tribunal administratif de Versailles du 16 mai 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions d'annulation présentées par M. E....

Article 2 : La décision du directeur du centre hospitalier François Quesnay du 20 novembre 2014 est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier François Quesnay présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 18VE04126


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04126
Date de la décision : 22/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-12-03-01 Fonctionnaires et agents publics. Agents contractuels et temporaires. Fin du contrat. Licenciement.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Nicolas TRONEL
Rapporteur public ?: Mme DANIELIAN
Avocat(s) : TOUDJI-BLAGHMI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-04-22;18ve04126 ?
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