Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... G..., M. C... G..., Mme I... D..., M. A... E..., ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner le Centre hospitalier intercommunal (CHI) de Montreuil (Hôpital André Grégoire), à leur payer la somme de 482 433,26 euros en raison des fautes commises en raison du retard de diagnostic et de l'organisation du service ayant entrainé le décès de Mme H... E....
Par un jugement n°1608306 du 27 juin 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a condamné le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil à verser à M. F... G... une somme de 271 826,69 euros, à M. C... G... une somme de 60 653,83 euros, à Mme I... D... une somme de 6 525 euros, et à M. A... E... une somme de 14 079,35 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de ces derniers.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires enregistrés les 31 aout 2017, 15 septembre 2017 et 10 avril 2019, le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil, représenté par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande de M. F... G..., de M. C... G..., de Mme I... D... et de M. A... E....
Il soutient que :
- sa responsabilité n'est pas engagée, l'hôpital n'ayant pas commis d'erreur de diagnostic, en ce qu'il était, en l'espèce, difficile ; les conclusions de l'expert étant contradictoires avec l'analyse des sapiteurs et n'étant pas conforme à l'état des données de la science au regard du tableau médical de Mme E... ;
- la responsabilité de l'hôpital n'est pas non plus engagée au titre de l'organisation du service, aucune faute n'ayant été commise à ce titre ; en effet il ressort en effet de l'analyse des sapiteurs que la prise en charge de la patiente a été immédiate après que le diagnostic a été effectué, et conforme aux bonnes pratiques ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'hôpital ne saurait atteindre le taux de 90 %, au titre de la perte de chance, fixé par le tribunal ;
- à titre encore plus subsidiaire, l'évaluation des préjudices faites par le tribunal est excessive :
-s'agissant des préjudices patrimoniaux, les frais d'obsèques allégués devront être rejetés car somptuaires ;
- s'agissant de la perte de revenus futurs est excessivement évaluée par le tribunal, dès lors qu'elle prend comme référence la seule année 2012, et non les trois dernières années, et selon une méthode fausse s'agissant des périodes et des taux de rente retenus pour Kevin et Jérémy G... ;
- la demande de la CAMIEG en appel est irrecevable faute d'avoir été d'abord présentée en première instance.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J...,
- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour M. F... G..., M. C... G..., Mme I... D..., M. A... E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... E... épouse G..., alors âgée de 33 ans, et enceinte de son deuxième enfant, s'est rendue le 22 août 2012 aux urgences gynécologiques de l'Hôpital André Grégoire, établissement relevant du Centre hospitalier intercommunal de Montreuil (CHI de Montreuil), en raison de douleurs abdominales. Elle y est décédée le 23 août 2012, à la suite d'une embolie pulmonaire et de plusieurs arrêts cardiorespiratoires. Par ordonnances de référé du 24 avril 2013, du 18 novembre 2013 et du 18 mars 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a ordonné des expertises et désigné le docteur Bartolin en qualité d'expert, ainsi que les docteurs Bretelle et Kiegel comme sapiteurs et le docteur Jacqueme comme sapiteur pneumologue. Le rapport d'expertise final a été remis le 30 avril 2016. Par un courrier daté du 9 septembre 2016 et reçu le 13 septembre 2016 par le CHI de Montreuil, les requérants ont demandé à ce dernier de les indemniser à hauteur de 482 433,26 euros des différents préjudice subis. En l'absence de réponse du CHI de Montreuil dans un délai de deux mois, une décision implicite de rejet est née. M. F... G..., époux de Mme E..., son fils M. C... G... et ses parents Mme I... D... et M. A... E... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil à leur payer la somme de 482 433,26 euros en raison des fautes commises en raison du retard de diagnostic et de l'organisation du service ayant entrainé le décès de Mme H... E.... Par un jugement du 27 juin 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a condamné le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil à verser à M. F... G... une somme de 271 826,69 euros, à M. C... G... une somme de 60 653,83 euros, à Mme I... D... une somme de 6 525 euros, et à M. A... E... et une somme de 14 079,35 euros, et a rejeté le surplus des conclusions de ces derniers. Le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur la responsabilité du CHI de Montreuil :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique :
" I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut de produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-33 du même code : " Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés. " ;
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme H... E... épouse G..., alors âgée de 33 ans, enceinte de son deuxième enfant dont la grossesse était dans son premier trimestre, souffrait de douleurs abdominales et s'est rendue le 3 août 2012 aux urgences gynécologiques de l'Hôpital André Grégoire, qui relève du Centre hospitalier intercommunal de Montreuil (CHI de Montreuil). Elle est retournée à son domicile avec une prescription d'échographie à réaliser au 1er semestre 2013 en raison de kystes ovariens ne nécessitant pas de traitement immédiat. Elle a souffert de nausées et de douleurs abdominales du 20 au 22 août 2012, a eu des malaises et une perte de connaissance, et a été admise le 22 août 2012, à 14h30, à l'hôpital André Grégoire où elle a été transportée par les sapeurs-pompiers. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise final du 30 avril 2016 du docteur Bartolin, qui n'est pas entaché de carences ou d'incohérences contrairement à ce que soutient l'hôpital en défense, au seul motif que l'expert aurait suivi l'avis d'un des trois sapiteurs, le Dr Jaqueme, pneumologue, que la prise en charge de Mme E... épouse G... à l'hôpital André Grégoire, dans le service de gynécologie en raison de son état de grossesse, s'est traduite, à 16h07, par la réalisation d'un bilan biologique révélant la présence d'un kyste ovarien gauche et une grossesse intra-utérine normale puis, à 17h31 et à 20h21, par la réalisation de deux échographies pelviennes. Selon le rapport de l'expert, Mme E... disait ressentir un étouffement depuis le matin et présentait également une tachychardie. Il n'est pas contesté qu'après réalisation de ces deux examens, et alors même que Mme E... était algique, elle a été invitée à rejoindre son domicile, et a dû insister pour que sa prise en charge au sein du service se poursuive. Mme E... à nouveau été examinée par un gynécologue à 20h30, soit 6 heures après son admission. Mme E... se plaignant toujours de douleurs, elle a fait l'objet d'une nouvelle échographie pelvienne à 22h. A 23h20 de nouveaux signes cliniques sont apparus, à savoir une tachypnée et des douleurs thoraciques. Un électrocardiogramme réalisé à 23h46 a alors fait apparaître un axe des ondes QRS à droite et un angioscanner à 0h55 établissant une embolie pulmonaire massive. Le médecin interne a décidé de transférer la patiente en service de soins intensifs en cardiologie et en service de réanimation à 1h30 mais n'a pu y procéder faute de place dans ces services. Après plusieurs arrêts cardiorespiratoires Mme E... est décédée à 3 h 05.
4. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des deux sapiteurs du 23 août 2014, respectivement gynécologue et anesthésiste-réanimateur, que la grossesse engendre des modifications de la coagulation, que les accidents thrombo-emboliques surviennent dans 1 grossesse sur 1000, et qu'ils constituent un des premières causes de mortalité pour les femmes enceintes. Si ces mêmes sapiteurs relèvent que le diagnostic d'embolie pulmonaire est difficile à établir, en raison du caractère diffus des premiers symptomes, il résulte du rapport du 24 février 2016 du Dr Jacqueme, pneumologue, qu'un tel diagnostic demeure possible, la réalisation de quatre examens " simples " pouvant permettre d'évaluer la probabilité clinique d'une embolie pulmonaire, à savoir un dosage des D-Dimères, un électrocardiogramme, un examen des membres inférieurs, une radiographie du thorax. Il est constant qu'aucun de ces examens n'a été réalisé avant 23h46, heure à laquelle l'embolie était déjà très avancée. Si le CHI soutient que la réalisation d'un dosage des D-dimères n'était pas indiqué chez la patiente en raison de son état de grossesse, état au cours duquel de fréquents faux positifs sont constatés, un tel dosage aurait pu être couplé à d'autres examens et permettre d'orienter le diagnostic. De plus, il est constant que Mme E..., qui présentait des antécédents familiaux thromboemboliques, son père ayant été victime d'une embolie pulmonaire à l'âge de 59 ans, et des phlébites ayant été diagnostiquées chez ses grands parents paternels ainsi que chez son père, ne s'est pas vu poser des questions relatives à ceux-ci par le personnel médical, alors pourtant qu'elles auraient également pu permettre d'orienter le diagnostic. Ces carences ont conduit l'équipe médicale à ignorer les signes d'embolie décelables dès l'admission de Mme E... avant la survenue des signes avancés d'embolisation. Dès lors, le CHI de Montreuil n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'en ne réalisant aucun des quatre examens " simples " entre 14h30 et 23h20 en dépit de la fréquence de ce type d'accident et de l'apparition de certains symptômes, et en n'interrogeant pas Mme E..., ou son époux qui l'accompagnait, sur ses antécédents médicaux familiaux, il avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la prise en charge de l'embolie pulmonaire est une urgence vitale. En ne réalisant un angioscanner qu'à 0h55 afin de permettre d'établir le diagnostic certain de l'embolie pulmonaire, soit plus d'une heure après l'électrocardiogramme, dont les résultats montraient un état pathologique, et plus d'une heure trente après la manifestation de symptômes indiquant une probable embolie, le CHI de Montreuil a commis une faute dans l'organisation du service. Il ressort des énonciations circonstanciées du rapport d'expertise que les deux fautes dans le diagnostic et l'organisation des soins de Mme E... ont eu des conséquences médicales directes sur son état de santé et sur son décès par embolie pulmonaire.
6. Le CHI de Montreuil n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a considéré que ces fautes étaient susceptibles d'engager sa responsabilité sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
7. Toutefois que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. Il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions des rapport d'expertise du 30 avril 2016 et du 24 février 2016 du sapiteur, que les erreurs commises n'ont entraîné pour l'intéressée qu'une perte de chance d'échapper à l'aggravation fatale de son état. Ce rapport évaluait cette perte de chance dans une fourchette comprise entre 70 et 90%. Le Tribunal administratif de Montreuil a estimé que cette perte de chance devait être évaluée à 90 %, compte tenu de l'âge et de l'état de santé de Mme E..., jeune mère de 33 ans en bonne santé. Compte tenu de ces éléments, le CHI de Montreuil n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement litigieux, le tribunal a mis à la charge du CHI de Montreuil, à hauteur de 90 %, la réparation des préjudices subis par les requérants et les caisses.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne la perte de revenus futurs de M. F... G... et de M. C... G... :
9. S'agissant de la perte de revenus futurs, il ne résulte pas qu'en prenant en compte la seule année 2012, et non les années 2010 à 2012, le tribunal, s'agissant d'une jeune femme de 33 ans appelée à connaitre une augmentation certaine de ses revenus, aurait entaché son raisonnement d'une erreur de droit.
10. Il ressort de l'avis d'imposition de 2012 pour les revenus de l'année 2011 de Mme E..., que son revenu déclaré était de 24 556 euros. Les revenus de M. G..., conjoint de la victime, s'établissant à 18 084 euros, le revenu annuel global pour l'année 2011 du foyer était de 42 640 euros. Il y a lieu de retrancher de cette somme les revenus de M. G... ainsi qu'une part d'autoconsommation de Mme E... qui doit être regardée comme étant de 30%. Dans ces conditions, la perte annuelle patrimoniale de M. G... et de son fils s'élève à 11 764 euros. Cette perte annuelle doit être évaluée à 70% pour M. G..., soit à 8 234,80 euros, et à 30% pour son enfant, soit 3 529,20 euros ; que l'euro de rente viagère doit, compte tenu de l'âge de M. G... au jour du décès de son épouse le 23 août 2012, à savoir 35 ans, être fixé à 39,051 et que son préjudice au titre de la perte de revenus s'élève donc à 321 577,17 euros. Après application du taux de perte de chance retenu, il y a donc lieu de condamner le CHI de Montreuil à indemniser M. F... G... au titre de la perte des revenus futurs pour un montant de 289 419,453 euros.
11. S'agissant de la perte de revenus futurs de M. C... G..., il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la perte annuelle de revenus de M. C... G... doit être évaluée à 3 529,20 euros. Il avait 11 ans au moment du décès de sa mère Mme H... E..., et le prix d'euros de rente temporaire masculin jusqu'à l'âge de 25 ans pour un garçon de 11 ans doit être fixé à 13,458. Son préjudice au titre de la perte de revenus s'élève donc à 47 495,97 euros. Compte tenu du pourcentage précité de 90%, il y a donc lieu de condamner le CHI de Montreuil à indemniser M. C... G... au titre de la perte des revenus futurs pour un montant de 42 746,373 euros.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de M. A... E... :
12. M. E..., père de la victime, à qui les factures des obsèques ont été adressées, soutient avoir exposé des frais d'obsèques pour un montant total de 7 342 euros. Si le caractère somptuaire de ces frais n'est pas établi, ils sont suffisamment justifiés et doivent être regardés comme étant en lien de causalité direct avec le décès de la victime. Il y a toutefois lieu d'exclure les frais de réalisation d'un caveau pour quatre personnes, seuls les frais correspondant la personne de Mme E..., dès lors que les frais portant sur les trois autres places ne peuvent être regardés comme la conséquence directe du décès de son épouse, pouvant être pris en compte. Compte tenu du pourcentage précité de 90%, il a lieu de condamner le CHI Montreuil à indemniser M. E... au titre des frais d'obsèques pour un montant de 7 201 euros.
Sur les conclusions présentées par la CAMIEG:
13. Les conclusions par lesquelles la CAMIEG demande à la Cour de condamner le CHI de Montreuil à lui verser la somme de 2 985,30 euros au titre des prestations en nature servies pour le compte de la victime, assortie des intérets au taux légal avec capitalisation de ces intérêts, d'une part, et de condamner le CHI de Montreuil à lui verser la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, d'autre part, sont nouvelles en appel et ne peuvent qu'être rejetées comme étant irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHI de Montreuil le versement d'une somme de 2 000 euros aux requérants.
D E C I D E :
Article 1er : Le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil versera à M. F... G... une somme de 289 419,453 euros au titre de la perte de revenus futurs.
Article 2 : Le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil versera à M. C... G... une somme de 42 746,373 euros au titre de la perte de revenus futurs.
Article 3 : Le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil versera à M. A... E... et une somme de 7 201 euros au titre des frais d'obsèques.
Article 4 : Le Centre hospitalier intercommunal de Montreuil versera aux requérants une somme globale de 2 000 (mille)euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le jugement n°1608306 du 27 juin 2017 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Les conclusions de la CAMIEG sont rejetées.
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N°17VE02805