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03/03/2020 | FRANCE | N°18VE00585

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 03 mars 2020, 18VE00585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2010 au 29 février 2012.

Par un jugement n° 1509319 du 20 décembre 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février, 7 septembre et 22 nove

mbre 2018, la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE, représentée par Mes Moraine et de Béchade...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2010 au 29 février 2012.

Par un jugement n° 1509319 du 20 décembre 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 février, 7 septembre et 22 novembre 2018, la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE, représentée par Mes Moraine et de Béchade, avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

3° d'ordonner la restitution des impositions contestées et des majorations correspondantes, augmentées de l'application des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

4° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle ne pouvait savoir qu'elle participait à une fraude parce qu'il n'y a pas eu de schéma frauduleux en tant que tel, faute de sociétés écrans, de montage complexe ou encore de caractère fictif des services rendus ;

- l'administration fiscale échoue à rapporter la preuve, qui lui incombe, de ce qu'elle aurait eu connaissance ou qu'elle aurait dû avoir connaissance de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle se sont livrés ses fournisseurs, les sociétés Grey Satellite et KD Concept ; ces dernières, qui ne représentaient d'ailleurs que 2 % et 11 % du volume total de ses commandes au titre, respectivement, des années 2010 et 2011, avaient une activité commerciale réelle et, si certains de ses salariés se sont interrogés sur le comportement de ces entreprises au regard de la loi fiscale française, il ne saurait en être inféré que la société soupçonnait l'existence d'une fraude à la taxe de la part de ces fournisseurs, lesquels étaient d'ailleurs en affaires avec d'autres opérateurs de télécommunications ; elle a, en outre, opéré des vérifications sur la situation de la totalité de ses fournisseurs, notamment en se procurant leurs extraits K Bis ainsi que la preuve de leur immatriculation au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- l'administration ne démontre pas davantage qu'elle était impliquée dans un circuit de fraude, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qui aurait justifié la remise en cause de la déductibilité de la taxe grevant les prestations de services facturées par ses fournisseurs ;

- dans la mesure où le service a mis en oeuvre au cours de l'année 2011 le droit d'enquête prévu par les articles L. 80 F à L. 80 H du livre des procédures fiscales en ce qui concerne les factures émises par la société SARL Voice, à laquelle a succédé la société KD Concept, et n'a pas remis à cette occasion en cause la déductibilité de la taxe grevant ces factures, il a fait naître une espérance légitime relative au principe de la déduction de la taxe facturée par ses fournisseurs ; le service, en procédant aux rappels litigieux, a ainsi méconnu le principe, garanti par le droit de l'Union, de confiance légitime.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 11 février 2020 :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me B... substituant Mes Moraine et de Béchade, avocats, représentant la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS France.

Considérant ce qui suit :

1. La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE, dont le siège est à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) exerce une activité de négoce de droits de télécommunications. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2009 au 29 février 2012. A l'issue de cette dernière, le service a notifié à cette société, selon la procédure contradictoire prévue par l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, des rappels de taxe portant sur cette période, et résultant de la remise en cause de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le prix de prestations de fourniture de droits d'appel téléphoniques, dénommés " minutes ", facturées par les sociétés Grey Satellite et KD Concept, dont le service a estimé qu'elles se livraient à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée consistant à s'abstenir de reverser les montants de taxe collectés par elles. La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE fait appel du jugement n° 1509319 du 12 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :

2. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.(...) ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II 1. (...) la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures d'achat qui leur sont délivrées par leurs vendeurs, dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures (...) ".

3. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du CGI citées au point 2 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations.

4. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales. Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

5. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude.

6. Il résulte de l'instruction que les sociétés Grey Satellite et KD Concept, qui a d'ailleurs succédé à compter de l'année 2011 à une société dénommée SARL Voice et ayant la même activité, partageaient les mêmes dirigeants, confondaient leurs activités respectives et procédaient à de fréquentes modifications sociales, en l'occurrence des changements de dirigeants, de siège social, y compris en recourant parfois à des adresses de domiciliation. En outre, il n'est pas contesté que ces deux sociétés se sont abstenues systématiquement de reverser les montants de taxe sur la valeur ajoutée collectés à l'occasion des prestations de services de télécommunications qu'elles facturaient à leurs clients. Dans ces conditions, l'administration fiscale rapporte la preuve, qui lui incombe, de la participation de ces sociétés à un circuit de fraude alors même qu'elles n'auraient pas eu recours à des sociétés écrans ou des montages complexes et que les services rendus n'étaient pas fictifs.

7. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE n'a établi de liens commerciaux avec ces deux sociétés que par le truchement d'un apporteur d'affaires, M. A..., sans avoir de relations d'affaires directes avec elles et qu'elle n'a commandé, au cours de la période considérée, des prestations de services auprès des deux fournisseurs en cause que pour une part minime de ses approvisionnements en droits de télécommunications, représentant environ 2 % du montant total de ses achats au titre de l'année 2010 et 11 % au titre de l'année 2011. L'administration fiscale n'établit pas, comme elle l'affirme, que ces transactions auraient été menées à un prix inférieur au prix du marché dans des proportions telles qu'elles auraient dû attirer l'attention de la société requérante sur la régularité des conditions financières de l'achat de ces prestations de service, dont la réalité n'est, au demeurant, pas contestée. Elle n'établit pas davantage, en se bornant à faire état de la faiblesse des moyens financiers et humaines dont disposaient ces sociétés que, eu égard aux particularités de leur activité de fourniture de prestations informatiques immatérielles et notamment aux moyens réduits avec lesquels elle peut être réalisée, que les fournisseurs de la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS France n'auraient pas été en mesure de fournir effectivement les prestations de services acquises par cette dernière. En outre, si le service a obtenu, dans le cadre d'une visite domiciliaire réalisée au siège de la SOCIETE WAVECREST COMMUNICTIONS FRANCE en vertu de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, des courriels internes à cette société, et en particulier deux messages en langue anglaise rédigés respectivement le 4 octobre 2011 par une employée du service commercial de la société Wavecrest Communication France, et le 6 octobre 2011 par la directrice financière de la société, aux termes desquelles les intéressées, s'exprimant au sujet d'un changement prochain de dénomination sociale de la société KD Concept et relevant l'intégration de cette société dans un réseau d'entreprises partageant les mêmes dirigeants, expliquaient cette perspective par des motifs tenant à la situation fiscale de ce fournisseur, les termes très généraux de ces propos, adressés à des salariés de la société-mère de la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS France dont le siège est au Royaume-Uni, et qui de surcroît n'ont été formulés qu'à la toute fin de la période vérifiée, peu avant la fin des relations commerciales, ne permettent pas de conclure, comme le fait valoir le service, que la société requérante aurait eu connaissance ou soupçonné spécifiquement, dès le début de ces relations d'affaires, une fraude commise par ces fournisseurs en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, bien que la société requérante ne soit pas entrée en contact direct avec les sociétés Grey Satellite et KD Concept et se soit bornée à obtenir leurs certificats d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ainsi que la preuve de leur immatriculation au titre du régime de la taxe sur la valeur ajoutée, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, l'administration fiscale, en relevant ces seuls éléments, ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE savait ou aurait dû savoir qu'elle participait à l'opération de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée menée par les deux fournisseurs en cause. Par suite, le service n'était pas fondé, pour ce motif, à remettre en cause son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée facturée par les sociétés Grey Satellite et KD Concept à raison de la fourniture de prestations de livraison de droits de télécommunications.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 29 février 2012 ainsi que des majorations correspondantes.

Sur la demande de versement des intérêts moratoires :

9. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de remboursements effectués en raison de dégrèvements d'impôt prononcés par un tribunal, les intérêts moratoires dus au contribuable sont, conformément aux dispositions de l'article R. 208-1 du même livre, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées au contribuable par le comptable chargé du recouvrement des impôts ". La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE ne fait état d'aucun litige né et actuel avec le comptable compétent pour procéder au paiement des intérêts dus sur le fondement de ces dispositions. Dès lors, ses conclusions tendant au paiement de ces intérêts sont sans objet et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du livre des procédures fiscales :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE au titre des frais exposés par elle dans la présente instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1509319 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 décembre 2017 est annulé.

Article 2 : La SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 29 février 2012, ainsi que des majorations correspondantes.

Article 3 : L'État versera à la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de la SOCIETE WAVECREST COMMUNICATIONS FRANCE est rejeté.

2

N° 18VE00585


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE00585
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-04 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Fraude.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Yann LIVENAIS
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : CABINET FIDAL DIRECTION INTERNATIONALE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-03-03;18ve00585 ?
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