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27/02/2020 | FRANCE | N°19VE00738

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 27 février 2020, 19VE00738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sofina, société anonyme de droit belge et résidente fiscale en Belgique, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la restitution des sommes de 3 980 668,98 euros, 3 982 677,27 euros et 2 906 102,40 euros, correspondant aux retenues à la source ayant frappé les dividendes qui lui ont été distribués par plusieurs sociétés françaises en 2008, 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1207775 du 20 septembre 2013, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

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rocédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 janvier 2014...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sofina, société anonyme de droit belge et résidente fiscale en Belgique, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la restitution des sommes de 3 980 668,98 euros, 3 982 677,27 euros et 2 906 102,40 euros, correspondant aux retenues à la source ayant frappé les dividendes qui lui ont été distribués par plusieurs sociétés françaises en 2008, 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1207775 du 20 septembre 2013, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 janvier 2014, 20 juin 2014, 17 octobre 2014, 9 juin 2015 et 7 octobre 2015, la SA Sofina, représentée par Me D... et Me C..., avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer la restitution sollicitée ;

3°) à défaut, de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure d'infraction ouverte par la Commission européenne à l'encontre de la France relativement au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts ou de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 octobre 2011 n° C-284/09 révèle la non-conformité du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts au principe communautaire de libre circulation des capitaux posé aux articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- elle est par conséquent recevable, en vertu des dispositions alors en vigueur du 4ème alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, à présenter une demande de restitution afférente à l'année 2008 ;

- le refus de restitution des retenues à la source, acquittées en 2008, au motif de la tardiveté de sa demande, est contraire au principe de libre circulation des capitaux dès lors qu'une discrimination serait créée entre les sociétés résidentes, qui, pour 2008, disposent d'un délai de réclamation courant jusqu'au 31 décembre 2011, alors que pour les sociétés non résidentes ce délai expirerait le 31 décembre 2010 ;

- les premiers juges ont omis de statuer sur ce point ;

- il est incontestable que deux sociétés implantées dans deux États membres différents, qui reçoivent un dividende d'une société résidente d'un de ces États, sont dans une situation comparable lorsque cet État a décidé de soumettre à l'impôt les dividendes reçus par les deux sociétés ;

- étant déficitaire et n'étant ainsi redevable d'aucun impôt en Belgique au titre de ses exercices clos en 2008, 2009 et 2010, elle ne peut imputer la retenue à la source en raison tant de l'absence de base imposable, que des dispositions fiscales belges qui n'accordent pas de crédit d'impôt au titre de la retenue prélevée par l'État de source, alors qu'une société résidente française déficitaire qui perçoit des dividendes ne paye aucun impôt ;

- la non-conformité de la législation française au principe de libre circulation des capitaux est d'autant plus avérée que cette législation conduit à une imposition des dividendes de source française sur une assiette différente en fonction de l'État de résidence de la société bénéficiaire ;

- en ne permettant pas à une société non-résidente de démontrer que l'imposition de dividendes de source française aurait été moins lourde en application des règles de droit commun qu'elle ne l'est en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, la législation française crée une discrimination ;

- l'administration fiscale ne peut soutenir que, dès lors qu'elle a conclu avec la Belgique une convention fiscale en vue de l'élimination de la double imposition, la France aurait satisfait à son obligation de corriger elle-même la différence de traitement qu'elle a elle-même fait naître du fait de l'application de la retenue à la source, dès lors que les stipulations conventionnelles ne permettent pas de corriger effectivement la charge fiscale supportée en France ;

- enfin, l'administration fiscale ne saurait utilement tirer argument du mécanisme du a du I de l'article 220 du code général des impôts qui concerne l'élimination de la double imposition des dividendes entrants ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-10/14, C-14/14 et C-17/14 du 17 septembre 2015 rend caduques les solutions précédemment dégagées en droit interne.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 mai 2014, 11 juillet 2014, 24 juillet 2015 et 12 octobre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la réclamation relative à l'année 2008, déposée le 30 décembre 2011, est tardive et donc irrecevable ;

- l'appelante ne peut se prévaloir, en invoquant l'affaire jugée par la Cour de justice de l'Union européenne le 20 octobre 2011, des dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dès lors que la France n'est pas partie dans cette affaire ;

- le présent litige, qui ne soulève aucune question nouvelle qui n'ait déjà été tranchée par la jurisprudence nationale ou communautaire, n'impose pas de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

- les autres moyens soulevés par la société Sofina ne sont pas fondés.

Une note en délibéré, présentée par Me D... pour la SA Sofina, a été enregistrée le 26 octobre 2015.

Par un arrêt n° 14VE00289 du 10 décembre 2015, la Cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de la société Sofina.

Par une décision n° 398662, 398663, 398666, 398672, 398674, 398675 du 27 février 2017, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la SA Sofina, annulé l'arrêt susvisé de la Cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Seconde procédure devant la Cour :

Par des mémoires, enregistrés les 20 mai 2019, 25 juillet 2019, 13 septembre 2019 et 3 novembre 2019, la société Sofina, représentée par Me D... et Me B..., avocats, demande, à titre principal, la restitution de la somme de 3 980 668,98 euros, correspondant aux retenues à la source acquittées au titre des dividendes perçus en 2008, ou à titre subsidiaire, la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, ainsi que le versement d'intérêts moratoires afférents à la somme demandée, conformément aux dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 000 euros au titre des frais de justice.

Elle soutient que :

- sa demande de restitution des retenues à la source prélevées en 2008 n'est pas tardive, dès lors que l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-248/09 du 20 octobre 2011 a ouvert un délai spécial de réclamation en application des dispositions de l'article L. 190 du livre de procédures fiscales ;

- en tout état de cause, les dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors qu'elles créent une différence de traitement non justifiée entre les sociétés résidentes et non-résidentes ;

- il y a lieu de tirer toutes les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-575/17 du 22 novembre 2018 et de faire droit à sa demande de restitution, dès lors qu'elle établit avoir été déficitaire au titre des années 2008, 2009 et 2010.

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, tendant à éviter les doubles impositions et à établir les règles d'assistance administrative et juridique réciproques en matière d'impôts sur le revenu ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA contre ministre de l'action et des comptes publics (affaire n° C-575/17) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour la société Sofina.

Considérant ce qui suit :

1. La société Sofina, établie en Belgique, a demandé à l'administration fiscale la restitution des retenues à la source prélevées sur les dividendes de source française qui lui ont été versés en 2008, 2009 et 2010, soit la somme totale de 10 869 448,65 euros. Saisi par cette société, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande par un jugement du 20 septembre 2013. Par un arrêt n° 14VE00289 du 10 décembre 2015, la Cour administrative d'appel de Versailles a confirmé cette solution. La société s'est pourvue en cassation contre cet arrêt. A la suite de l'intervention de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne sur renvoi d'une question préjudicielle n° C-575/17 du 22 novembre 2018, le Conseil d'Etat a, par une décision du 27 février 2019, annulé l'arrêt de la Cour et renvoyé l'affaire devant elle. La société requérante demande, dans le dernier état de ses écritures, la restitution de l'intégralité des retenues à la source acquittées en 2008.

Sur l'étendue du litige :

2. Le directeur des impôts des non-résidents a, par trois décisions du 1er juillet 2019, 28 août 2019 et 30 septembre 2019, prononcé la restitution des retenues à la source acquittées par la société Sofina au titre de l'année 2009, à hauteur de 3 982 677,27 euros, la restitution d'une somme de 172 390,43 euros au titre d'une partie des retenues à la source prélevées sur les dividendes perçus par la société requérante au cours de l'année 2010, et la restitution de 2 733 711,98 euros au titre du reliquat des retenus à la source prélevées sur les dividendes perçus par la requérante en 2010. Dès lors, les conclusions à fin de restitution de ces retenues à la source au titre des années 2009 et 2010 sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n'y a, par suite, plus lieu d'y statuer.

Sur la demande de restitution des retenues à la source au titre de 2008 :

3. L'article L. 190 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au litige dispose que : " [...] Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu./ Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ". Aux termes de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) de la mise en recouvrement du rôle ou de l'avis de mise en recouvrement ; b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. / Toutefois, dans les cas suivants, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas : / a) De la réception par le contribuable d'un nouvel avis d'imposition réparant les erreurs d'expédition que contenait celui adressé précédemment ; / b) Au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s'il s'agit de contestations relatives à l'application de ces retenues ; / c) Au cours de laquelle le contribuable a eu connaissance certaine de cotisations d'impôts directs établies à tort ou faisant double emploi. ".

4. En premier lieu, le délai de réclamation prévu par le b) de la première partie de l'article R. 196-1 ne s'applique qu'aux personnes ou sociétés ayant versé à l'administration fiscale les retenues à la source opérées par leurs soins et non aux contribuables ayant supporté les retenues à la source. Par suite, la société Sofina, qui n'a pas versé les retenues à la source en litige mais les a seulement supportées, ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions. Le moyen tiré de l'inconventionnalité de celles-ci doit, dès lors, en tout état de cause, être écarté comme inopérant, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

5. En second lieu, seules les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, retenant une interprétation du droit de l'Union européenne qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d'une règle applicable en France sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un tel événement, au sens et pour l'application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre. En principe, tel n'est pas le cas d'arrêts de la Cour de justice concernant la législation d'un autre Etat membre, sous réserve, notamment, de l'hypothèse dans laquelle une telle décision révèlerait, par l'interprétation qu'elle donne d'une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français.

6. Si la société requérante se prévaut de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n° C-284/09 du 20 octobre 2011, cet arrêt rendu dans le cadre d'un recours en manquement introduit par la Commission européenne contre l'Allemagne se borne à révéler la non-conformité de la législation allemande au droit de l'Union européenne, mais ne se prononce pas sur les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts français. Il suit de là que cet arrêt ne constitue pas la réalisation d'un évènement au sens et pour l'application du c) de la première partie de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

7. Il résulte de ce qui précède que, par application des dispositions précitées de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, le délai de réclamation afférent aux retenues à la source prélevées en 2008 expirait le 31 décembre de l'année 2009. La réclamation présentée par la société requérante le 22 décembre 2011 au titre de ces retenues à la source était donc tardive, et sa demande présentée sur ce point devant le Tribunal administratif de Montreuil irrecevable. La fin de non-recevoir soulevée par le ministre doit, par suite, être accueillie.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'aucune question préjudicielle, que la société Sofina n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de restitution des retenues à la source acquittées au titre de l'année 2008. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce remboursement, assorti des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la société Sofina tendant à la restitution de retenues à la source acquittées au titre de l'année 2009 à hauteur de 3 982 677,27 euros et au titre de l'année 2010 à hauteur de 2 906 102,40 euros, qui ont été remboursées en cours d'instance.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Sofina est rejeté.

2

N° 19VE00738


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE00738
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Règles de procédure contentieuse spéciales - Réclamations au directeur - Délai.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Catherine BOBKO
Rapporteur public ?: Mme DANIELIAN
Avocat(s) : FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-02-27;19ve00738 ?
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