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25/02/2020 | FRANCE | N°17VE03500

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 25 février 2020, 17VE03500


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 18 octobre 2016 portant refus d'autorisation d'exportation de gamètes et d'enjoindre à la directrice générale de l'Agence de la biomédecine d'autoriser l'exportation de ses gamètes vers la Russie dès la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1610490 du 26 septembre 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de

la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 18 octobre 2016 et enjoint à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 18 octobre 2016 portant refus d'autorisation d'exportation de gamètes et d'enjoindre à la directrice générale de l'Agence de la biomédecine d'autoriser l'exportation de ses gamètes vers la Russie dès la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1610490 du 26 septembre 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 18 octobre 2016 et enjoint à l'Agence de la biomédecine de procéder au réexamen de la demande visant à obtenir l'autorisation d'exporter des gamètes au bénéfice de M. C... aux fins d'assistance médicale à la procréation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 novembre, 4 décembre 2017 et 12 mars 2018, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal ;

2° de mettre à la charge de M. C... le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Agence de la biomédecine soutient que :

- le jugement est irrégulier faute de comporter les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur l'intérêt supérieur de l'enfant à naître invoqué en défense et est entaché d'une omission à statuer sur un moyen ou, à tout le moins, d'une insuffisance de motivation ; en se bornant à constater qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne fixe un âge au-delà duquel un homme n'est plus apte à procréer, alors qu'elle avait fait valoir que la condition tenant à ce que les membres du couple soient en âge de procréer s'applique tant à la femme qu'à l'homme, le jugement est également insuffisamment motivé sur ce point ;

- en excluant que l'âge du bénéficiaire puisse être le seul élément pris en considération dans certaines circonstances, en particulier lorsque l'homme a atteint un âge avancé, pour refuser une autorisation d'exportation de gamètes et de tissus germinaux, alors que la loi pour des raisons tant sanitaires, en raison de risques génétiques pour l'enfant à naître, que sociales, du fait d'un important décalage générationnel, écarte des bénéficiaires possibles de l'assistance médicale à la procréation les couples trop âgés, les premiers juges ont commis une erreur de droit ; les parlementaires ont souhaité compléter les règles d'accès à l'assistance médicale à la procréation en précisant que les deux membres du couple devaient être en âge de procréer afin d'éviter les demandes de convenance ; la commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction a d'ailleurs proposé, en juillet 2004, la révision du guide des bonnes pratiques en recommandant, pour des raisons associant l'efficacité des techniques d'assistance médicale à la procréation et l'intérêt de l'enfant, de ne pas accéder à une demande d'assistance médicale à la procréation lorsque l'âge de la femme est supérieur à 42 ans et celui de l'homme à 59 ans révolus, étant rappelé qu'en matière de dons de spermatozoïdes la limite d'âge est fixée à 44 ans ; en effet plusieurs recherches scientifiques ont mis en évidence l'impact négatif de l'âge avancé du géniteur tant sur sa fertilité que sa descendance, exposée à des risques de maladies génétiques ;

- elle a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique auquel renvoie l'article L. 2141-11 du même code en estimant qu'eu égard à son âge M. C... ne pouvait être regardé comme étant en âge de procréer ;

- l'intérêt de l'enfant à naître milite en faveur d'une limitation de l'accès à l'assistance médicale à la procréation pour un homme trop âgé.

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né en 1945, et Mme E..., née en 1977, se sont mariés en 2006. Peu de temps après ce mariage, M. C... a développé un cancer de la prostate et a dû subir une prostatectomie. Afin de pouvoir mener à bien le projet de parentalité du couple, M. C... a effectué une conservation de paillettes de sperme au sein du Cecos de Paris Cochin en 2006. Le centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme humain du Groupe hospitalier Cochin-Broca-Hôtel Dieu-Site Port Royal a ainsi présenté le 27 septembre 2016 à l'Agence de la biomédecine une demande visant à obtenir l'autorisation d'exporter vers la Russie des gamètes au bénéfice des époux M. B... C... et Mme A... E... aux fins d'assistance médicale à la procréation. Toutefois, par une décision du 18 octobre 2016, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a rejeté cette demande d'autorisation au motif que M. C..., né en 1945, ne pouvait être considéré comme étant en âge de procréer au sens de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. M. C... a demandé l'annulation de cette décision au Tribunal administratif de Montreuil qui, par jugement en date du 26 septembre 2017 a annulé cette décision et enjoint un réexamen de la situation de M. C.... L'Agence de la biomédecine relève appel de ce jugement.

Sur l'exception de non-lieu à statuer soulevée par M. C... :

2. Lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette délivrance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Ainsi, si au cours de l'instruction de l'instance d'appel introduite par l'Agence de la biomédecine, le transfert des gamètes sollicité par M. C... a été autorisé, effectué et que les paillettes ont été recueillies dans un établissement de santé en Russie lequel a procédé à une assistance médicale à la procréation sur la personne de l'épouse de M. C..., cette circonstance n'a pas pour effet de priver d'objet le présent litige. L'exception de non-lieu à statuer ne saurait, dès lors, être accueillie.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif :

3. L'article L. 2141-2 du code de la santé publique dispose que : " L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué. / L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination (...) ". Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement de l'intéressé et, le cas échéant, de celui de l'un des titulaires de l'autorité parentale, ou du tuteur, lorsque l'intéressé, mineur ou majeur, fait l'objet d'une mesure de tutelle. / Les procédés biologiques utilisés pour la conservation des gamètes et des tissus germinaux sont inclus dans la liste prévue à, l'article L. 2141-1, selon les conditions déterminées par cet article ". Il résulte de ces dispositions qu'en principe, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique.

4. En outre, en vertu des dispositions de l'article L. 2141-11-1 de ce même code : " L'importation et l'exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine. / Seul un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire de l'autorisation prévue à l'article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d'assistance médicale à la procréation peut obtenir l'autorisation prévue au présent article. / Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu'aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3,

L. 2141-7 et L. 2141-11 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l'objet d'une autorisation d'importation ou d'exportation. / Toute violation des prescriptions fixées par l'autorisation d'importation ou d'exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l'Agence de la biomédecine. ". Il résulte de ces dispositions, qui visent à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l'article L. 2141-2 précité, que les gamètes déposés en France ne peuvent faire l'objet d'une exportation, s'ils sont destinés à être utilisés, à l'étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national.

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, citées au point 2, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dont elles sont issues, que le législateur a subordonné, pour des motifs d'intérêt général, le recours à une technique d'assistance médicale à la procréation à la condition que la femme et l'homme formant le couple soient en âge de procréer. En ce qui concerne l'homme du couple, la condition relative à l'âge de procréer, qui revêt, pour le législateur, une dimension à la fois biologique et sociale, est justifiée par des considérations tenant à l'intérêt de l'enfant, à l'efficacité des techniques mises en oeuvre et aux limites dans lesquelles la solidarité nationale doit prendre en charge le traitement médical de l'infertilité.

6. Pour déterminer l'âge de procréer d'un homme, au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique précité, il y a lieu de se fonder, s'agissant de sa dimension strictement biologique, sur l'âge de l'intéressé à la date du recueil des gamètes et, s'agissant de sa dimension sociale, sur l'âge de celui-ci à la date du projet d'assistance médicale à la procréation.

7. Or, il ressort des pièces du dossier qu'il existe une corrélation entre l'âge du donneur lors du prélèvement du gamète et le niveau des risques de développement embryonnaire, ainsi que des risques sur la grossesse et la santé du futur enfant. Il apparaît ainsi que le taux d'anomalies à la naissance et le risque de maladies génétiques augmentent avec l'âge du père. Dans ces conditions et alors même que le vieillissement n'entraîne pas systématiquement chez l'homme un arrêt du fonctionnement gonadique, l'Agence de la biomédecine a pu légalement fixer, compte tenu du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, à 59 ans révolus, en principe, l'âge de procréer au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique.

8. En l'espèce, la demande d'autorisation d'exportation des gamètes congelés de M. C..., recueillis en 2006 préalablement à l'altération de sa fertilité, a été refusée par la décision attaquée au motif que M. C..., né en 1945, ne pouvait être regardé comme étant encore en âge de procréer au sens de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. Dès lors qu'il est constant que M. C... était âgé de 61 ans à la date du prélèvement de ses gamètes, et en l'absence de circonstances particulières, l'Agence de la biomédecine est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur sa régularité, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du 24 juin 2016 au motif que M. C... ne pouvait pas être regardé comme n'étant plus en âge de procréer au sens de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique.

9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant devant le Tribunal administratif de Montreuil. Or il résulte de ce qui précède que, pour les mêmes motifs, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à leur titre par M. C....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1610490 du Tribunal administratif de Montreuil du 26 septembre 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions d'appel tendant au non-lieu à statuer sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de l'Agence de la biomédecine et de M. C... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 17VE03500 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE03500
Date de la décision : 25/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05-05 Santé publique. Bioéthique.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : GALIEN AFFAIRES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-02-25;17ve03500 ?
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