Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA SOFINA a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution, à concurrence de la somme de 333 900 euros, de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014, à raison des dividendes qui lui ont été versés par une société française dans laquelle elle détenait des participations ouvrant droit à l'application du régime mère-fille.
Par un jugement n° 1607789 du 20 mars 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2018, et deux mémoires en réplique, enregistrés les 25 avril 2019 et 8 novembre 2019, la SA SOFINA, représentée par Mes Valentin et Brasart, avocats, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la restitution de la retenue à la source en litige à hauteur de la somme de 333 900 euros ;
3° d'assortir cette somme des intérêts moratoires en application des dispositions de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4° à défaut, de sursoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles qu'elle pose ;
5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts instaure entre les sociétés françaises et les sociétés résidentes fiscales d'un autre Etat membre de l'Union européenne percevant des dividendes de source française provenant de leurs filiales une différence de traitement incompatible avec la liberté d'établissement, ainsi que l'a dit pour droit la Cour de justice des Communautés européennes par son arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal BV (C-170/05), qui résulte en l'espèce de l'impossibilité d'imputer dans son Etat de résidence, eu égard à la législation belge en vigueur au titre de l'année litigieuse, la retenue à la source supportée en France ;
- en l'espèce, il existe un faisceau d'indices permettant de conclure qu'elle exerçait une influence certaine sur les décisions de la société Orpéa SA au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne à la date du versement du dividende soumis à la retenue à la source en litige ; par conséquent, elle peut se prévaloir d'une atteinte à la liberté d'établissement ;
- l'instruction BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40 du 12 septembre 2012, dont les termes sont identiques à ceux de l'instruction BOI-RPPM-RCM-30-30-20-40 du 1er avril 2015 mentionnée jusqu'alors par une erreur matérielle, est applicable à la date de l'imposition en litige et opposable au service sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; elle ne conditionne pas l'exonération de la retenue à la source litigieuse à l'existence d'une influence sur les décisions de la société distributrice mais seulement à une participation au moins égale à 5 % du capital de cette société et à l'impossibilité d'imputer la retenue à la source, alors même que cette impossibilité ne résulte pas notamment d'un régime d'exonération d'impôt dans l'Etat de résidence de la société mère ;
- en tout état de cause, les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts portent également atteinte à la liberté de circulation des capitaux dans la mesure où, là encore, la législation belge lui interdit d'imputer sur son résultat la retenue à la source pratiquée sur ses dividendes d'origine française et institue ainsi une différence de traitement avec les sociétés françaises incompatible avec cette liberté, garantie par le droit de l'Union, cette interprétation de droit de l'Union étant conforme à celle dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 8 novembre 2007 Amurta SGPS (C-379/05) ;
- la différence de traitement entre les sociétés résidentes et les sociétés non-résidentes doit être effectivement corrigée par le pays où est perçue la retenue à la source, lequel a l'obligation d'éviter les atteintes aux principes du droit de l'Union.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes Overseas (aff. 196/04), du 14 décembre 2006, Sté Denkavit Internationaal BV (C-170/05), et du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (aff. 379/05) ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Valentin, avocat, pour la SA SOFINA.
Considérant ce qui suit :
1. La SA SOFINA, résidente fiscale belge, détient 5,728% du capital de la société de droit français Orpéa, participation qui lui ouvre droit, en principe, à l'application du régime mère-fille au sens des articles 145 et 216 du code général des impôts. Elle a perçu en 2014 de la société Orpéa des dividendes qui ont fait l'objet d'une retenue à la source par l'application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dont le taux a été fixé à 15 % en vertu de l'article 15.2 de la convention fiscale franco-belge. Elle fait appel du jugement du
20 mars 2018 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de restitution de cette retenue à la source.
Sur les conclusions à fin de restitution de la somme acquittée au titre de la retenue à la source sur les dividendes d'origine française :
En ce qui concerne l'atteinte au principe de liberté d'établissement :
2. Aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa version applicable à la retenue à la source en litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France, autres que des organismes de placement collectif constitués sur le fondement d'un droit étranger situés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. (...) ".
3. Par son arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal BV (C-170/05), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que les articles 43 et 48 du traité instituant la Communauté européenne, repris respectivement aux articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatifs à la liberté d'établissement, s'opposaient à une législation nationale prévoyant, pour les seules sociétés non-résidentes, une imposition par voie de retenue à la source des dividendes distribués par des filiales résidentes, dès lors que la société mère ne peut procéder à l'imputation de cet impôt sur celui qu'elle doit à son Etat de résidence. Il résulte de la jurisprudence de cette même Cour, notamment de son arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes (C-196/04), qu'exerce son droit d'établissement le ressortissant d'un Etat membre qui détient dans le capital d'une société établie dans un autre Etat membre une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de la société et lui permettant d'en déterminer les activités. Pour déterminer si une participation présente ce caractère, il y a lieu de se fonder non seulement sur le pourcentage de cette participation et des droits de vote qu'elle confère, mais également sur tout autre élément pertinent, tel que la répartition du solde du capital social et des droits de vote attachés, la représentation au sein des organes de gouvernance et les liens entretenus entre eux par les différents actionnaires.
4. La SA SOFINA soutient que la part du capital de la société Orpéa qu'elle détient fait d'elle l'un des quatre principaux actionnaires de cette société. Toutefois, il résulte de l'instruction que les trois autres principaux actionnaires détiennent respectivement 6,3 %, 7 % et 14,6 % du capital dont le surplus, soit environ les deux tiers, se trouve entre les mains d'un actionnariat flottant. Si, en outre, il est établi que la société requérante dispose d'un membre au sein du conseil d'administration de la société Orpéa, lequel en compte neuf, ces deux circonstances ne constituent pas à elles seules des conditions suffisantes pour caractériser l'existence d'une influence certaine de la SA SOFINA sur les décisions de la société Orpéa, faute notamment pour la société requérante de disposer de droits de vote déterminants, ne
serait-ce qu'au travers d'un pacte d'actionnaires dont l'existence n'est pas alléguée. Par conséquent, dès lors qu'elle ne peut être regardée comme ayant une influence certaine sur les décisions de la société Orpéa, la SA SOFINA n'est pas fondée à se prévaloir de l'incompatibilité alléguée des dispositions précitées de l'article 119 bis du code général des impôts avec le principe de liberté d'établissement.
En ce qui concerne l'atteinte au principe de libre circulation des capitaux :
5. Aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites (...) " et aux termes de l'article 65 du même traité : " 1. L'article 63 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres :/ a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu ou leurs capitaux sont investis ; (...) / 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 63 ".
6. Il résulte de ces stipulations, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 8 novembre 2007, Amurta SGPS (affaire C-379/05, point 32), que les désavantages pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des différents Etats membres, pour autant qu'un tel exercice ne soit pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions interdites par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non-résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement qu'elle instaure entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. En matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables.
7. Il est constant que la SA SOFINA se trouve dans l'impossibilité, du fait de la législation belge relative au traitement fiscal des dividendes d'origine étrangère en vigueur au titre de l'année en litige, d'imputer sur son résultat imposable le montant de la retenue à la source prélevée en France sur les dividendes qu'elle a perçu au tire des participations en cause. Ainsi, la SA SOFINA est fondée à soutenir que, dans cette mesure, les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, qui ne prévoient pas de mécanisme permettant d'assurer un traitement égal entre les résidents fiscaux français et étrangers au regard du risque d'imposition en chaîne ou de double imposition de leurs dividendes de source française, instituent entre elle et les bénéficiaires de tels dividendes pouvant, pour leur part, procéder à une telle imputation sur leur résultat imposable, une différence de traitement qui n'est justifiée par aucune raison impérieuse d'intérêt général, caractérisant une atteinte à la liberté de circulation des capitaux.
8. L'administration fiscale fait valoir, il est vrai, que l'absence de possibilité pour la SA SOFINA d'imputer sur son résultat la retenue à la source litigieuse résulte d'une modification de la loi belge intervenue en 2006 et que cette circonstance, qui ne résulte que de l'exercice par l'état belge de sa compétence fiscale parallèlement à celle de l'état français, ne lui serait pas opposable. Cependant, le régime auquel a été soumis la SA SOFINA et qui conduit, pour ce qui concerne cette société, à une double imposition de ses dividendes de source française procède exclusivement de la seule mise en oeuvre des dispositions du droit français, lesquelles instaurent, ainsi qu'il est dit précédemment, une différence de traitement discriminatoire entre les sociétés résidentes et les sociétés non-résidentes au regard des mécanismes prévus pour prévenir ou atténuer le risque de double imposition de l'Union européenne. Le régime fiscal applicable aux dividendes en cause en Belgique est ainsi sans incidence sur l'incompatibilité du dispositif de retenue à la source prévu par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts avec la liberté de circulation des capitaux.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SA SOFINA est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur la demande de versement d'intérêts moratoires :
10. Les intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, sont, en vertu des dispositions de l'article R. 208-1 du même code, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts ". Dès lors qu'il n'existe aucun litige né et actuel entre le comptable et la SA SOFINA quant au versement de ces intérêts moratoires, les conclusions de cette dernière formées sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions de la SA SOFINA tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à la SA SOFINA d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1607789 du 20 mars 2018 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La SA SOFINA est déchargée des cotisations de retenue à la source au titre de l'année 2014 à hauteur de la somme de 333 900 euros.
Article 3 : L'État versera à la SA SOFINA une somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
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N° 18VE02520