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07/11/2019 | FRANCE | N°19VE02145

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 07 novembre 2019, 19VE02145


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 15 avril 2019 par lequel le préfet du Val-d'Oise a prononcé son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1905488 du 20 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 juin 2019, le préfet du Val-d'Oise

demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 15 avril 2019 par lequel le préfet du Val-d'Oise a prononcé son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1905488 du 20 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 juin 2019, le préfet du Val-d'Oise demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Il soutient que c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler son arrêté de transfert.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Illouz, conseiller,

- et les observations de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan entré irrégulièrement en France, a présenté le 10 janvier 2019 une demande d'asile auprès des services du préfet du Val-d'Oise. La consultation des données issues de l'unité centrale Eurodac lors de l'instruction de cette demande a révélé que ses empreintes avaient préalablement été relevées par les autorités allemandes. Ces dernières, saisies d'une demande de reprise en charge de l'intéressé le 12 février 2019, ont accepté cette demande le 14 février suivant. Par un arrêté du 15 avril 2019, le préfet du

Val-d'Oise a ainsi prononcé le transfert de M. B... aux autorités allemandes. Ce préfet relève régulièrement appel du jugement du 20 mai 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté.

Sur le moyen d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". L'article 17 de ce règlement dispose que : " 1. (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers (...), même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 que, par dérogation à l'article 3 paragraphe 1 de ce règlement, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le même règlement.

4. Pour annuler la décision de transfert de M. B... aux autorités allemandes, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a relevé que la demande d'asile que l'intéressé a présentée lors de son séjour en Allemagne a été définitivement rejetée, que les autorités de ce pays ont pris à son encontre une mesure de reconduite à destination de l'Afghanistan, que le transfert de M. B... en Allemagne aurait ainsi inévitablement pour conséquence son renvoi vers l'Afghanistan et que la situation sécuritaire qui prévaut dans ce pays, et particulièrement à Kaboul, où il sera appelé à transiter en cas de reconduite dans son pays, se caractérise par un haut degré de violence qui résulte d'un conflit armé opposant les forces de sécurité nationales afghanes, assistées par les forces militaires internationales, et diverses organisations antigouvernementales.

5. Toutefois, la décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner M. B... vers l'Afghanistan, mais prononce son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. Si la demande d'asile que M. B... a présentée lors de son séjour en Allemagne a été définitivement rejetée par les autorités allemandes et que celles-ci ont pris une décision de retour à son encontre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas été en mesure de contester cette décision, ni de faire valoir devant ces autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle, compte tenu des conflits qui prévalent dans son pays. M. B... ne donne d'ailleurs aucune précision circonstanciée sur les risques qu'il encourrait personnellement dans son pays d'origine. En outre, l'Allemagne est membre de l'Union européenne et partie tant à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 qu'à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et doit, à ce titre, être présumée procéder à un examen sérieux et complet de chacune des demandes d'asile dont ses autorités sont saisies. Par suite, le préfet du Val d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour prononcer l'annulation de son arrêté portant transfert de M. B... aux autorités allemandes.

6. Il y a toutefois lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, se autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ".

8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

9. M. B... soutenait devant le premier juge que l'information requise par les dispositions précitées ne lui avait pas été délivrée et que les brochures qu'elles mentionnent ne lui avaient pas été remises avant l'adoption de l'arrêté en litige. Si le préfet du Val d'Oise a versé aux débats une copie de la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ", rédigée dans une langue que M. B... comprend et signée par celui-ci le 10 janvier 2019, il ne ressort en revanche pas des pièces du dossier que la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ", dont le préfet ne produit pas davantage copie en appel qu'en première instance, ait été remise à l'intimé. La circonstance que l'intéressé ait signé le document intitulé " résumé de l'entretien individuel ", lequel comporte la mention selon laquelle le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires lui auraient été remis, ne saurait s'analyser comme étant de nature à pallier cette carence dès lors que ce document n'indique pas explicitement que deux brochures distinctes lui auraient été remises. M. B... doit, par suite, être regardé comme ayant été privé de la garantie qui s'attache à la délivrance d'une information complète sur l'ensemble de ses droits en sa qualité de demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 avant l'adoption de l'arrêté de transfert en litige. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 de ce règlement doit, par suite, être accueilli.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande de première instance, que le préfet du Val-d'Oise n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 15 avril 2019 prononçant le transfert de M. B... aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du préfet du Val-d'Oise est rejetée.

2

N° 19VE02145


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02145
Date de la décision : 07/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. TRONEL
Rapporteur ?: M. Julien ILLOUZ
Rapporteur public ?: Mme DANIELIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-11-07;19ve02145 ?
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