La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/10/2019 | FRANCE | N°18VE01382

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 31 octobre 2019, 18VE01382


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Versailles :

1° d'annuler la décision orale du 19 octobre 2017 par laquelle la préfète de l'Essonne a refusé d'enregistrer sa demande d'asile ;

2° d'annuler la décision implicite de suspension de versement de l'allocation pour demandeur d'asile ;

3° d'enjoindre à la préfète de l'Essonne d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1

00 euros par jour de retard ;

4° d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intég...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au Tribunal administratif de Versailles :

1° d'annuler la décision orale du 19 octobre 2017 par laquelle la préfète de l'Essonne a refusé d'enregistrer sa demande d'asile ;

2° d'annuler la décision implicite de suspension de versement de l'allocation pour demandeur d'asile ;

3° d'enjoindre à la préfète de l'Essonne d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4° d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de le rétablir dans ses droits avec effet au 1er juillet 2017 ;

5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas octroyée.

Par un jugement n° 1707947 du 19 mars 2018, le Tribunal administratif de Versailles a annulé la décision implicite par laquelle l'OFII a suspendu le bénéfice des conditions matérielles de son accueil et a enjoint à cet office de réexaminer sa situation, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, a alloué la somme de 800 euros à l'avocate de M. B..., et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 avril 2018 et le 26 septembre 2019, M. B..., représenté par Me Korn, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler l'article 2 de ce jugement en tant qu'il a seulement fait injonction à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours ;

2° d'annuler l'article 4 de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision orale du 19 octobre 2017 par laquelle la préfète de l'Essonne a refusé d'enregistrer sa demande d'asile ;

3° d'enjoindre à la préfète de l'Essonne d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de le mettre en mesure de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides en lui remettant le formulaire prévu à l'article R. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4° d'enjoindre à l'OFII de le rétablir dans ses droits avec effet au 1er juillet 2017, dans un délai de quinze jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

5° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas octroyée, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision orale de refus viole l'article 29.2 du règlement UE n° 604/2013 ; subsidiairement, elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'annulation de la décision implicite de suspension de versement de l'allocation pour demandeur d'asile implique nécessairement son rétablissement ;

- l'appel incident de l'OFII est irrecevable ;

- l'OFII n'établit pas qu'il aurait reçu la lettre de suspension des conditions d'accueil.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) du 19 mars 2019, Jawo (C-163/17) ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant éthiopien né le 15 avril 1996, a déposé une demande d'asile auprès des services préfectoraux de l'Essonne le 31 août 2016. A la suite du relevé de ses empreintes digitales, la préfète de l'Essonne a constaté que l'intéressé avait déjà présenté une demande de protection internationale auprès des autorités italiennes. Saisies le 16 septembre 2016 aux fins de la reprise en charge de M. B..., celles-ci ont implicitement fait droit à cette demande le 17 novembre 2016. Ainsi, le 24 mars 2017, la préfète de l'Essonne a décidé son transfert aux autorités italiennes et, dans cette perspective, l'a assigné à résidence dans le département de l'Essonne pour une durée de 45 jours. Par un jugement du 28 mars 2017, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision de transfert. Le 11 mai 2017, M. B... s'est vu notifier une convocation en vue de son embarquement à destination de l'Italie, par un vol prévu le 15 mai suivant. Cependant, il n'y a pas déféré. Le 19 octobre 2017, il s'est présenté de nouveau auprès des services préfectoraux de l'Essonne, en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile, ce qui lui a été refusé oralement. Par ailleurs, l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé, le 13 juillet 2017, la suspension du versement à M. B... de l'allocation pour demandeur d'asile. Par un jugement n° 1707947 du 19 mars 2018, le Tribunal administratif de Versailles a annulé seulement la décision de suspension du bénéfice des conditions matérielles d'accueil de M. B... et a enjoint à l'OFII de réexaminer sa situation, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement. M. B... relève appel de ce jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions en annulation de la décision du 19 octobre 2017, et en tant qu'il a enjoint à l'OFII de réexaminer sa situation, et non de le rétablir dans ses droits.

Sur le refus d'enregistrement de la demande d'asile selon la procédure normale :

2. Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat (...) ". Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...). / (...) 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ". La Cour de justice de l'Union européenne (grande chambre) a dit pour droit, dans son arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C-163/17), que : " L'article 29, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens qu'un demandeur " prend la fuite ", au sens de cette disposition, lorsqu'il se soustrait délibérément aux autorités nationales compétentes pour procéder à son transfert, afin de faire échec à ce dernier ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de la procédure contradictoire, menée avec l'assistance d'un interprète, préalable à la notification à M. B... de la décision de transfert aux autorités italiennes, l'intéressé a déclaré ne pas vouloir retourner en Italie. Il a, en outre, refusé de signer la notification de cette mesure, qu'il a ensuite vainement contestée devant le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Versailles. L'intéressé était donc amplement informé de ce que, pour l'examen de sa demande d'asile, il devait être transféré en Italie. Ainsi, en ne se présentant pas à l'embarquement le 15 mai 2017, M. B... s'est délibérément soustrait aux autorités françaises compétentes pour procéder à son transfert, afin de faire échec à ce dernier. La circonstance qu'il ne parle pas le français ne constitue pas, au cas d'espèce, une raison valable susceptible de justifier son absence, dès lors que les mentions des coordonnées de vol au départ de l'aéroport de Roissy-Charles-De-Gaulle à destination de l'aéroport de Rome Fiumicino jointes à la convocation à l'embarquement permettaient à M. B... d'en saisir l'objet. Il résulte de ce qui précède que M. B... devait être regardé comme ayant pris la fuite au sens du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, portant, ainsi, le délai de sa reprise en charge par les autorités italiennes à 18 mois, à compter du 17 novembre 2016. Par conséquent, c'est à bon droit que la préfète de l'Essonne a refusé d'enregistrer la demande d'asile en procédure normale de M. B....

4. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande d'annulation susvisée. Ses conclusions en injonction afférentes à la décision contestée doivent être rejetées, par voie de conséquence.

Sur la décision du 13 juillet 2017 suspendant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et l'injonction faite à l'OFII de réexaminer la situation de M. B... :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par M. B... aux conclusions d'appel incident de l'OFII :

5. Le 13 septembre 2019, l'OFII a adressé son appel incident à la Cour, par le biais l'application informatique dédiée " Télérecours ". Cet appel était accompagné d'un fichier d'inventaire des pièces transmises, et des fichiers des pièces correspondantes, présentées conformément aux prescriptions du deuxième alinéa de l'article R. 414-3 du code de justice administrative. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'appel incident de l'OFII serait irrecevable, pour méconnaître ces dispositions.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile (...) n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile ; / (...) / La décision de suspension (...) des conditions matérielles d'accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. / La décision est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article D. 744-35 de ce code, dans sa rédaction applicable à la même date : " L'interruption du versement de l'allocation prend effet à compter de la date de la décision de suspension ". Et aux termes du premier alinéa de l'article D. 744-38 du même code : " La décision de suspension, de retrait ou de refus de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue de la procédure contradictoire exigée par le 1° de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cité ci-dessus, l'OFII a envoyé à M. B..., par lettre recommandée avec accusé de réception, sa décision, en date du 13 juillet 2017, suspendant le bénéfice, à son égard, des conditions matérielles d'accueil. Quoiqu'avisé de cette lettre, M. B... ne l'a pas retirée. Il s'ensuit que l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler sa décision. Il résulte de ce qui précède que l'OFII est fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 1er du jugement du jugement du 19 mars 2018 du Tribunal administratif de Versailles, ainsi que, par voie de conséquence, l'annulation de l'article 2 de ce jugement. Les conclusions de M. B... tendant à la réformation de l'injonction prononcée par le Tribunal administratif de Versailles doivent, dès lors, être rejetées.

8. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part que la requête de M. B..., y compris ses conclusions relatives aux frais de l'instance, doit être rejetée, d'autre part que l'OFII est fondé par la voie de l'appel incident à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du Tribunal administratif de Versailles du 19 mars 2018.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : L'article 1er et l'article 2 du jugement du 19 mars 2018 du Tribunal administratif de Versailles sont annulés.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... devant le Tribunal administratif de Versailles tendant à l'annulation de la décision implicite de suspension du versement de l'allocation pour demandeur d'asile sont rejetées.

5

N° 18VE01382


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01382
Date de la décision : 31/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: M. Fabrice MET
Rapporteur public ?: M. ERRERA
Avocat(s) : KORN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-10-31;18ve01382 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award