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03/10/2019 | FRANCE | N°16VE03659

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 03 octobre 2019, 16VE03659


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil :

- d'annuler la décision du 9 juin 2015 par laquelle le directeur du conservatoire municipal de la commune de Saint-Ouen a fixé la répartition hebdomadaire de son service d'enseignement pour l'année scolaire 2015/2016 ;

- de procéder à la jonction des affaires n° 1507204, n° 1509689 et n° 1600911 ;

- de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de just

ice administrative.

Par un jugement n° 1507204 du 14 octobre 2016, le Tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil :

- d'annuler la décision du 9 juin 2015 par laquelle le directeur du conservatoire municipal de la commune de Saint-Ouen a fixé la répartition hebdomadaire de son service d'enseignement pour l'année scolaire 2015/2016 ;

- de procéder à la jonction des affaires n° 1507204, n° 1509689 et n° 1600911 ;

- de mettre à la charge de la commune de Saint-Ouen une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1507204 du 14 octobre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement le 14 décembre 2016, le

23 novembre 2017 et le 23 février 2018, Mme D..., représentée par Me C..., avocate, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de procéder à la jonction des affaires n° 16VE03659 et n° 16VE03590 ;

3° d'annuler cette décision ;

4° de mettre à la charge de la commune Saint-Ouen la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que, dans un souci de cohérence contentieuse, les premiers juges auraient dû procéder à la jonction des instances n° 1509689 et n° 1507204, qui présentent à juger des questions semblables ; faute que cette jonction ait été opérée, le jugement attaqué est confus et incohérent ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit dès lors que la faculté pour un professeur de violoncelle d'assurer des cours le samedi constitue un droit fondamental qu'il tire de son statut ; d'ailleurs, en tant qu'enseignante d'une activité à caractère artistique, elle était en droit d'exercer une profession libérale ; l'autorisation d'exercer une activité accessoire lui a toujours été accordée et aucun motif n'aurait justifié qu'elle lui soit refusée au titre de l'année en cause ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la décision attaquée n'entraînait pas une perte de rémunération au motif que les revenus perdus n'étaient pas la contrepartie directe du travail effectué ;

- en outre, cette décision est une mesure de rétorsion et constitue un des agissements constitutifs du harcèlement moral dont elle fait l'objet au sein du conservatoire municipal de musique depuis le mois d'avril 2010 ;

- la décision attaquée n'a été prise ni dans l'intérêt du service ni dans l'intérêt général ; elle revêt un caractère discriminatoire et constitue une sanction déguisée ;

- ainsi, la décision attaquée lui fait grief et ne constitue pas une mesure d'ordre intérieur ; par suite, sa demande était recevable ;

- sa requête ne présente aucun caractère abusif.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2012-437 du 29 mars 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Cabon, rapporteur public,

- les observations de Me C..., pour Mme D..., et celles de

Mme D....

Une note en délibéré, enregistrée le 19 septembre 2019, a été présentée pour

Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 9 juin 2015, le directeur du conservatoire municipal de musique de danse et de théâtre de la commune de Saint-Ouen a informé Mme D..., assistante d'enseignement artistique titulaire, chargée de l'enseignement du violoncelle, que ses heures de cours seraient, à compter de la rentrée de l'année scolaire 2015-2016, réparties sur quatre jours de la semaine, les lundi, mardi, mercredi et samedi et non plus sur trois jours.

Mme D... fait appel du jugement du 14 octobre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, si le juge administratif, saisi de plusieurs affaires présentant à juger la même question ou des questions connexes, a la faculté de joindre ces affaires pour y statuer par une seule décision, il n'en a pas l'obligation. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier faute pour le tribunal administratif d'avoir joint, comme le demandait la requérante, ses demandes enregistrées sous les n° 1509689 et 1507204 doit être écarté. Par ailleurs, il ressort de l'examen du jugement attaqué que le moyen tiré de ce que ce jugement serait incohérent et confus faute qu'il ait été procédé à la jonction des deux demandes manque, en tout état de cause, en fait et doit également être écarté.

3. En second lieu, si la requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, ce moyen, qui se rattache au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges, n'est, en tout état de cause, pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.

Au fond :

4. D'une part, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.

5. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

6. Mme D... soutient que la décision attaquée, qui compromettrait sa carrière de concertiste et l'empêcherait illégalement d'assurer, dans le cadre d'un cumul d'activités, des cours le samedi au sein d'une école de musique, n'est pas justifiée par l'intérêt du service et que, motivée par l'intention de la collectivité de lui nuire, elle constitue une sanction déguisée. Elle soutient également que cette décision constitue l'un des agissements constitutifs du harcèlement moral dont elle fait l'objet depuis plusieurs années, qui a porté atteinte à sa santé, sa dignité et sa carrière et qu'elle a dénoncé en vain dans un courrier adressé le 13 juillet 2015 au maire de la commune de Saint-Ouen.

7. En premier lieu, si l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige, prévoient que les fonctionnaires peuvent être autorisés à exercer des activités professionnelles accessoires et des activités à caractère artistique, aucune des dispositions du statut applicable à la requérante ne lui reconnaît le droit de bénéficier d'un emploi du temps lui permettant l'exercice d'activités accessoires. Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée porterait atteinte aux droits et prérogatives qu'elle tient de son statut. En outre, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que la requérante a eu la faculté, dont elle n'a pas usé, de choisir le jeudi comme quatrième jour des cours qu'elle devait dispenser au conservatoire. Par ailleurs, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que cette décision serait contraire à l'autorisation de cumul d'activités dont elle bénéficiait depuis 2007 dès lors qu'elle n'établit pas qu'elle bénéficiait d'une telle autorisation au titre de l'année scolaire 2015-2016, ni même qu'elle l'aurait sollicitée. Enfin, pour établir que la décision attaquée lui fait grief, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que cette décision entraîne une baisse des revenus qu'elle tire de ses activités accessoires, lesquels ne constituent pas un élément de la rémunération du fonctionnaire, en application de l'article 20 de la loi n° 83-634 du

13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et alors, au surplus, qu'elle n'a pas usé, ainsi qu'il vient d'être dit, de la faculté qui lui avait été ouverte de choisir le jeudi comme quatrième jour des cours qu'elle devait dispenser au conservatoire.

8. En deuxième lieu, alors que la décision attaquée pouvait régulièrement être prise par le directeur du conservatoire dans le cadre de son pouvoir d'organisation du service, aucune des pièces versées aux débats ne permet d'établir que le motif mentionné dans cette décision, à savoir améliorer " l'organisation pédagogique et l'interdisciplinarité des cours ", " la gestion de l'établissement et la cohérence des emplois du temps des enseignants du conservatoire ", serait infondé et que ladite décision aurait été prise pour des motifs etrangers à l'intérêt du service. Dans ces conditions, l'intention poursuivie par l'administration ne révélant pas, contrairement à ce qui est soutenu, une volonté de sanctionner la requérante, la décision attaquée ne présente pas le caractère d'une sanction déguisée.

9. Enfin, la requérante soutient que la décision attaquée constituerait l'un des agissements du harcèlement moral dont elle fait l'objet depuis plusieurs années. Toutefois, d'une part, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à établir qu'à compter de sa titularisation en juillet 2000 et jusqu'en 2010, elle aurait, ainsi qu'elle l'allègue, subi une dégradation de ses conditions de travail, fait l'objet d'accusations infondées et d'insultes, ainsi que de pressions au cours de l'année scolaire 2007-2008, et que les appréciations portées sur sa manière de servir, en particulier celle qui concerne l'année 2006, seraient injustifiées. De même, si la requérante fait état d'une remise en cause permanente de sa manière de servir par le directeur du conservatoire de la commune de Saint-Ouen en fonction depuis le mois d'avril 2010, les faits qu'elle invoque ne permettent pas de faire présumer l'existence du harcèlement qu'elle dénonce. A cet égard, si la requérante soutient qu'elle a manifesté à maintes reprises ses désaccords avec la direction du conservatoire, il ne résulte pas de l'instruction que ces prises de position auraient entraîné, de la part du directeur du conservatoire, des mesures de rétorsion à son encontre. Si celui-ci a pu prendre des décisions ayant eu une incidence sur l'organisation des enseignements dispensés par la requérante, il ne résulte pas de l'instruction qu'elles relèveraient d'un exercice anormal du pouvoir hiérarchique. Si la requérante fait également valoir, au titre des agissements qu'elle dénonce, qu'elle a été contrainte à plusieurs reprises de participer avec ses élèves aux répétitions et au concert de fin d'année, que le bilan d'activité du premier semestre de l'année 2015 mentionne à tort, s'agissant du cours de violoncelle, un examen de cycle " non autorisé ", et que le directeur du conservatoire lui aurait demandé de justifier la dégradation d'un violoncelle, ces circonstances ne sont en tout état de cause pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par ailleurs, il ne ressort pas des autres faits invoqués par la requérante et, en particulier, du traitement de sa demande tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie dont elle est atteinte, des notations dont elle a fait l'objet au titre des années 2010 à 2014, qui ne sont pas de nature à avoir porté atteinte à sa dignité, du blâme qui lui a été infligé le 13 mars 2012 et dont le caractère injustifié n'est pas démontré, et, enfin, des conditions dans lesquelles la commune de Saint-Ouen a procédé à une enquête administrative à la suite de la mise en cause publique du directeur du conservatoire par la requérante, l'existence d'éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral dont Mme D... prétend avoir été victime.

10. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée, par laquelle le directeur du conservatoire municipal s'est borné à répartir les heures de cours de la requérante sur quatre jours de la semaine à compter du 1er septembre 2015, ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives que l'intéressée tient de son statut ou à l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux, n'emporte pas perte de responsabilités ou de rémunération, ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée et ne traduit pas davantage l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination. Par suite, elle constitue une mesure d'ordre intérieur insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande comme irrecevable.

Sur les conclusions de la commune de Saint-Ouen tendant à l'application de l'article

R. 741-12 du code de justice administrative :

12. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros. ".

13. La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la commune de Saint-Ouen tendant à ce que Mme D... soit condamnée au paiement d'une amende pour recours abusif ne sont pas recevables et doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Saint-Ouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée au versement de la somme que Mme D... demande au titre au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la commune de Saint-Ouen présentées sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête présentée par Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Ouen tendant à l'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du même code sont rejetées.

N° 16VE03659 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE03659
Date de la décision : 03/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-01-01-02-03 Procédure. Introduction de l'instance. Décisions pouvant ou non faire l'objet d'un recours. Actes ne constituant pas des décisions susceptibles de recours. Mesures d'ordre intérieur.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: M. CABON
Avocat(s) : SELARL LANDOT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-10-03;16ve03659 ?
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