Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros au titre du préjudice moral subi par son fils, E... G..., et une indemnité de 50 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle a elle-même subi, en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de son fils.
Par un jugement n° 1603025 du 4 juillet 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme C... la somme de totale de 60 000 euros portant intérêts à compter du 5 janvier 2016 ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 août 2017 et le 10 octobre 2018, Mme C... agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils E... G... et M. G... agissant en tant que représentant légal de cet enfant, représentés par Me Febrinon-Piguet, avocat, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1° de réformer le jugement n° 1603025 du 4 juillet 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a limité à la somme de 60 000 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi ;
2° de porter à la somme de 100 000 euros le montant de l'indemnité due au titre du préjudice moral de leur fils et à la somme de 50 000 euros le montant de l'indemnité due au titre du préjudice moral que la mère de l'enfant a subi ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à juste titre que les juges de première instance ont reconnu la responsabilité pour faute de l'Etat pour défaut de prise en charge de E... dès lors qu'une obligation de prise en charge adaptée des personnes atteintes de troubles autistiques pèse sur l'Etat en vertu de l'article 26 de la déclaration universelle des droits de l'homme, des articles L. 111-1, L. 111-2 et L.112-1 du code de l'éducation, des articles L. 114-1 et L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles et de la circulaire du ministère de l'éducation nationale n° 2007-194 du 14 mai 2007 ;
- le montant évalué par les premiers juges au titre du préjudice moral de E... G... ne correspond pas à la réalité des souffrances subies et n'est pas conforme aux montants alloués dans des cas similaires d'absence totale de prise en charge par les tribunaux administratifs ; il doit être évalué à hauteur de 100 000 euros ;
- le préjudice moral subi par Mme C... ne peut être inférieur à 50 000 euros au regard de ce que lui a fait endurer le défaut de prise en charge de son fils.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2018, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête en faisant valoir qu'elle n'appelle pas d'observation de sa part.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2018, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête d'appel.
Il fait valoir que :
- l'Etat ne saurait être tenu pour responsable de l'absence ou de l'insuffisance de prise en charge lorsque les établissements désignés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées refusent d'admettre un enfant pour un autre motif que l'absence de place disponible ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné n'est pas adapté aux troubles de leur enfant ; il appartient dès lors aux parents de contester la décision de la commission devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale s'ils estiment que l'orientation qu'elle préconise n'est pas adaptée aux troubles de leur enfant soit de mettre en cause la responsabilité des établissements désignés n'ayant pas respecté cette décision en refusant l'admission ou n'assurant pas une prise en charge conforme ;
- l'appréciation du préjudice personnel de E... G... doit être limitée à la période de non prise en charge par un établissement en raison d'une carence de l'Etat et aux conséquences de cette absence de suivi par un établissement médico-social ; l'évaluation du préjudice lié à la responsabilité de l'Etat ne doit donc pas prendre en compte les refus motivés par l'éloignement géographique ou l'absence d'adaptation aux besoins propres de E... G... ;
- aucun élément versé au dossier ne permet de remettre en cause l'évaluation du montant du préjudice moral des requérants calculée par le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et le rapport de M. Bouzar, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... et M. G... sont les parents de E... G..., né le 12 novembre 1998, lequel souffre de troubles envahissants du comportement ou troubles autistiques diagnostiqués le 29 décembre 2001 par le centre médico-psycho-pédagogique de Bagnolet. Par décisions des 21 juin 2011, 22 novembre 2011, 17 décembre 2013, 29 janvier 2014 et 29 avril 2016, la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a préconisé l'orientation de E... en établissement médico-social pour un accueil en semi-internat, respectivement pour les périodes allant du 1er septembre 2011 au 31 août 2013, du 17 novembre 2011 au 31 août 2013, du 12 décembre 2013 au 12 novembre 2018 et du 16 novembre 2015 au 15 novembre 2020. Les décisions de cette Commission mentionnaient une liste d'établissements susceptibles d'accueillir l'enfant. Par recours administratifs reçus le 5 janvier 2016, Mme C... a demandé au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et au ministre de l'éducation nationale l'indemnisation de son préjudice moral ainsi que de celui de son fils E... à raison de la carence de l'Etat dans la mise en place d'une prise en charge de son enfant conforme aux orientations successives de la CDAPH. Le silence gardé par l'administration a fait naître deux décisions implicites de rejet de sa demande d'indemnisation. Mme C..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de E..., a demandé au Tribunal administratif de Montreuil que l'Etat soit condamné à réparer les préjudices subis par son fils et par elle-même en raison du défaut de prise en charge adaptée. Par un jugement du 4 juillet 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser à Mme C... la somme totale de 60 000 euros et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Mme C... et M. A... G... agissant en appel en tant que représentants légaux de E... relèvent appel de ce jugement.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques. / Adaptée à l'état et à l'âge de la personne, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. / Il en est de même des personnes atteintes de polyhandicap. ".
3. Il résulte des dispositions mentionnées au point 2 que le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation. Si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que cette prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en oeuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome.
4. En vertu de l'article L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission. Ainsi, lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la CDAPH en raison d'un manque de place disponible, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée.
5. Il résulte de l'instruction, comme il est dit au point 1, que la CDAPH a, par décisions du 21 juin 2011, 22 novembre 2011, 17 décembre 2013, 29 janvier 2014 et 26 avril 2016, préconisé l'orientation de E... dans un établissement médico-social respectivement pour les périodes du 1er septembre 2011 au 31 août 2013, du 17 novembre 2011 au 31 août 2013, du 12 décembre 2013 au 12 novembre 2018 et du 16 novembre 2015 au 15 novembre 2020. Mme C... justifie, par les pièces versées à l'instance, notamment les copies des lettres recommandées avec accusé de réception, avoir adressé des demandes de prise en charge de son fils autiste auprès de l'ensemble des établissements désignés par les décisions successives de la CDAPH. Toutes ces demandes ont donné lieu à des décisions de rejet. Si, comme le fait valoir le ministre des solidarités et de la santé, plusieurs établissements désignés dans les décisions de la commission n'ont pas répondu ou ont refusé d'admettre E... en raison de l'éloignement géographique ou d'une structure inadaptée, plusieurs d'entre eux ont motivé leur refus par le manque de places disponibles. L'Etat ne démontre d'ailleurs pas qu'une seule place aurait été disponible pour l'enfant dans l'un des établissements désignés au titre des périodes ci-dessus. Contrairement aux allégations du ministre, les parents de E... n'ont pas contesté le choix des établissements désignés par la commission qu'ils ont tous contactés sans succès. Cette absence de prise en charge adaptée de l'enfant E... depuis le 21 juin 2011 révèle ainsi une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que le fils des requérants bénéficie effectivement d'une prise en charge pluridisciplinaire au sens des dispositions, mentionnées au point 2, de l'article L. 246-1 du code l'action sociale et des familles et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur le préjudice :
6. Si Mme C... et M. G... soutiennent que l'absence de scolarisation effective de leur fils E... a renforcé chez lui un sentiment de discrimination et d'exclusion, notamment en raison de la séparation d'avec son frère jumeau qui, lui, a été pris en charge dans une structure adaptée, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une insuffisante évaluation du préjudice moral subi par E... en lui accordant la somme de 30 000 euros.
7. Enfin, si Mme C... soutient également que l'absence de prise en charge de son fils lui cause incontestablement un préjudice aggravé par le fait qu'elle élève seule son fils sans pouvoir exercer d'activité professionnelle, l'intéressée, qui ne sollicite qu'une indemnisation au titre de son préjudice moral, n'est pas fondée à soutenir que les juges de première instance auraient sous-évalué le montant alloué au titre de ce préjudice.
8. Il résulte de tout de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil n'a fait que partiellement droit à leur demande indemnitaire en limitant le montant des indemnités versées à Mme C... et à son fils à une somme totale de 60 000 euros portant intérêts de droit à compter du 5 janvier 2016 en réparation des préjudices subis du fait des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de E... G....
Sur les conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions indemnitaires, les conclusions de Mme C... et M. G... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... et de M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B... C..., à M. A... G..., à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. F..., président de chambre,
M. D..., président assesseur,
Mme Colrat, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 septembre 2019.
Le rapporteur,
B. GUEVELLe président,
M. F...
Le greffier,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
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N° 17VE02807