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11/07/2019 | FRANCE | N°17VE02259

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 11 juillet 2019, 17VE02259


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...B...et Mme C...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineurF... A...B..., ont demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune d'Argenteuil à les indemniser par l'allocation d'une somme totale de 158 000 euros des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite d'un accident dont a été victime cet enfant le 21 octobre 2011 à l'école Jules Guesde de cette commune.

Par un jugement n° 1209787 du 4 févr

ier 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ordonné une expertise méd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...B...et Mme C...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineurF... A...B..., ont demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune d'Argenteuil à les indemniser par l'allocation d'une somme totale de 158 000 euros des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite d'un accident dont a été victime cet enfant le 21 octobre 2011 à l'école Jules Guesde de cette commune.

Par un jugement n° 1209787 du 4 février 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ordonné une expertise médicale et par un jugement n° 1209787 du 18 mai 2017, ce tribunal a condamné la commune d'Argenteuil à verser, d'une part, à M. et Mme A..., en leur qualité de représentants légaux de leur filsF..., la somme de 11 666 euros, et, en leur nom propre, la somme de 600 euros chacun, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise la somme de 7 188,74 euros, et, a, enfin, mis les frais d'expertise à la charge définitive de la commune d'Argenteuil.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2017, un mémoire ampliatif, enregistré le 18 décembre 2017, et un mémoire en réplique, enregistré le 15 octobre 2018, M. A...B...et MmeE..., représentés par Me Chatelain, avocat, demandent à la Cour dans le dernier état de leurs écritures :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner la commune d'Argenteuil à leur verser, d'une part, la somme de 113 380 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis par leur fils mineur, et, d'autre part, la somme de 6 000 euros chacun, en réparation de leur préjudice moral personnel ;

3° de condamner la commune d'Argenteuil aux entiers dépens et de mettre à sa charge le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu une faute de la victime et a écarté ou réduit l'indemnisation des préjudices ; l'instabilité du radiateur de 138 kg non fixé au sol, en pente ou au mur, l'a rendu dangereux dans un espace non surveillé fréquenté par de jeunes enfants ; l'instabilité du radiateur est la cause de l'accident, nonobstant le comportement turbulent mais non imprévisible pour des enseignants et membres du personnel d'une école, du groupe d'enfants dont faisait partieF... ;

- l'indemnisation de la pose d'une prothèse préconisée par le médecin de l'institut français de la chirurgie de la main s'élève à 50 380 euros au regard de l'espérance de vie moyenne de l'enfant ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire ne saurait être inférieure à 5 000 euros ;

- l'indemnisation des souffrances endurées doit être portée à la somme de 9 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique permanent doit être portée à la somme de 9 000 euros ;

- l'indemnisation de l'incapacité permanente partielle doit être portée à la somme de 35 000 euros ;

- l'indemnisation des préjudices d'agrément et professionnel doit être accordée pour la somme de 25 000 euros ;

- l'indemnisation du préjudice moral en raison notamment des craintes sur sa guérison doit être de 6 000 euros chacun.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le de code de l'éducation ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Geffroy,

- et les conclusions de Mme Rollet-Perraud, rapporteur public.

Une note en délibéré présentée par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a été enregistrée le 4 juillet 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 octobre 2011, vers 11 heures 40, dans les toilettes des garçons de l'école Jules-Guesde à Argenteuil, le jeune F...A..., alors âgé de 9 ans, a eu les extrémités des doigts de la main droite coupées par un radiateur. Il a été amputé de la dernière phalange du troisième doigt après l'échec d'une tentative de réimplantation du même jour et a perdu cinq millimètres de la dernière phalange des deuxième et quatrième doigts. Ses parents ont saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin que la responsabilité de la commune d'Argenteuil soit engagée à raison d'un défaut de surveillance des élèves et d'un défaut d'entretien normal de l'ouvrage public. Par jugement avant-dire droit du 4 février 2016 et jugement du 18 mai 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a alloué une indemnité de 13 226 euros à M. et Mme A... et à leur fils, ainsi qu'une somme de 7 188,74 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise, aux motifs que la mise en mouvement oscillatoire du radiateur et son basculement, qui n'avaient pas été évités en l'absence d'un collier solide sur la conduite d'alimentation dudit radiateur, révélaient un défaut d'entretien normal de cet équipement. Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en raison de l'imprudence de la victime a mis à la charge de la commune d'Argenteuil la réparation des deux tiers des conséquences dommageables de l'accident. Les consorts A...relèvent appel de ce jugement et demandent, notamment en l'absence de toute faute exonératoire commise par leur fils, de majorer les sommes allouées en première instance. La caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise déclare s'associer aux conclusions des consorts A...et demande à la Cour de condamner la commune d'Argenteuil à lui verser la somme de 10 783,11 euros correspondant à l'intégralité de sa créance. La commune d'Argenteuil demande à la Cour de rejeter la requête des consorts A...et par la voie de l'appel incident de rejeter toute indemnisation des requérants et de la caisse primaire ci-dessus.

Sur la responsabilité de la commune d'Argenteuil :

2. En premier lieu, l'autorité responsable d'un ouvrage public, à laquelle il incombe de rapporter la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage, répond de plein droit à l'égard des usagers du défaut d'entretien normal tenant, notamment, à la solidité et à la fiabilité de l'ouvrage pourvu que l'usager en fasse un usage conforme à sa destination normale.

3. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'examen du rapport d'expertise du 31 octobre 2011 sollicité par le Procureur de la République du Tribunal de grande instance de Pontoise dans le cadre de la plainte déposée pour " blessures involontaires ", à la suite de témoignages recueillis par la police auprès des enfants rapportant alors, soit que deux enfants avaient fait tombé le radiateur sur F...avant de s'enfuir du bâtiment des toilettes, soit que " sans raison établie le radiateur serait tombé sur sa main ", que " ce type de radiateurs sur [quatre] pieds n'a pas vocation à être fixé au mur, dès lors qu'il est muni de pieds supports, a fortiori, fixes et solidaires des éléments ". L'expert constatant néanmoins une instabilité du radiateur de hauteur d'1m07 pesant environ 138 kg, ainsi que deux traces d'impact sur le mur derrière le radiateur et un arrachement avec sa cheville du collier " sur patte à vis, avec cheville tamponnée dans le mur ", relevait alors que le radiateur n'était " pas tombé seul. Il a fallu un élément déclencheur [ne pouvant pas] être autre chose qu'une sollicitation manuelle provoquée par une ou plusieurs personnes ". Postérieurement à cette expertise, le 18 novembre 2011, les enfants dont F...ont finalement expliqué aux enquêteurs " s'être rendus aux toilettes des garçons avec [deux enfants de leur âge] pour relever un défi, dans le but de coucher le radiateur sans faire de bruit, le radiateur trop lourd ayant engendré l'accident ". Le procès-verbal de synthèse de l'enquête pénale du 2 février 2012 retient que " l'accident serait donc directement dû à un jeu d'enfants qui aurait mal tourné, en tous les cas pour l'heure aucune autre responsabilité n'a été mise à jour./ En ce qui concerne la fixation du radiateur, il n'a pu être établi si le radiateur a été plus ou moins désolidarisé dans le temps du fait d'enfants jouant avec quotidiennement ou de dégradations, ou si celui-ci a été désolidarisé en une seule fois lors de l'accident... les investigations... ne mettent pas en lumière une quelconque négligence ".

4. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction, alors que l'instabilité n'avait pas été constatée, antérieurement à l'accident, par les personnels chargés de l'entretien de ce bâtiment ou par la commission de sécurité, que les services de l'éducation nationale ou les services techniques de la commune auraient négligé d'intervenir sur ce radiateur. Si l'expert, par comparaison avec le radiateur des toilettes des filles a relevé que " la présence d'un collier solide, sur et pour la conduite d'alimentation du radiateur aurait sans doute permis d'éviter la mise en mouvements oscillatoires du radiateur, puis sa chute par basculement s'il s'agit bien de cette hypothèse d'accident ", il n'émet qu'une hypothèse qui ne correspond pas à une norme technique impérative applicable aux bâtiments scolaires. Il ne résulte donc pas de l'instruction que le radiateur en cause, lequel au demeurant n'est peut-être même pas tombé, en l'absence de constat direct d'un adulte et de traces d'impact au sol, mais a été mis en oscillation vers le mur par les efforts conjugués sur ses colonnes de trois à cinq garçons âgés de 9 ans, présentait, tel qu'il était installé sur un sol à pente minime, un danger pour des enfants de 6 à 10 ans qui en auraient fait un usage conforme à sa destination. En particulier, l'aménagement normal de ce radiateur n'imposait pas qu'il résistât à l'action volontaire de plusieurs enfants dans le but de le faire basculer. Eu égard à la destination de l'ouvrage et à son aménagement, l'administration n'avait pas à informer les élèves de dangers particuliers ni n'avait à bloquer par des barrières de sécurité l'accès au radiateur. Par suite, la commune d'Argenteuil est fondée à soutenir que l'accident dont F...a été la victime n'a pas eu pour cause un défaut d'entretien normal de cet ouvrage public de nature à engager sa responsabilité sur ce terrain.

5. En second lieu, la circonstance que l'accident est survenu, ne saurait, à elle seule, démontrer un défaut de surveillance, dès lors que l'accident procède d'une action volontaire subite et silencieuse de plusieurs garçons âgés d'une dizaine d'années dont il n'est pas établi qu'elle aurait été précédée de semblables jeux dangereux qui auraient pu alerter les adultes. Il résulte de l'instruction que l'accident a eu lieu pendant la pause de 15 minutes précédant à 11h45 un soutien scolaire de 45 minutes avec une institutrice de CM 1, alors que ni l'institutrice qui devait accueillirF..., ni le personnel de la commune chargé de la surveillance des élèves avant le service de restauration scolaire vers lequel F...a déclaré à la police qu'il devait se rendre, n'avaient, au regard de l'âge des enfants, à assurer une surveillance continue de l'intérieur des toilettes des garçons, lesquelles, comme il vient d'être dit, étaient entretenues et n'avaient jamais provoqué d'accident. Par suite, M. A...B...et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que l'accident était dû à un défaut de surveillance des enfants.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Argenteuil est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser une indemnité à M. A...B...et Mme E...et à leur fils ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise et à demander, en conséquence, l'annulation de ce jugement.

Sur les frais d'expertise :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article 24 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Les dépenses qui incomberaient au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'il n'avait pas cette aide sont à la charge de l'Etat ". Aux termes de l'article 40 de la même loi " L'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée, à l'exception des droits de plaidoirie. / (...)/ Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par l'Etat ". Aux termes de l'article 42 de la même loi : " Lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75. / Le juge peut toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat. / Dans le même cas, le juge peut mettre à la charge du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle, demandeur au procès, le remboursement d'une fraction des sommes exposées par l'Etat autres que la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle des avocats et des officiers publics et ministériels.". Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat./ Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties./ (...) ".

8. Par décision en date du 26 août 2013 le bureau d'aide juridictionnelle a accordé aux requérants le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 70 %. Les frais de l'expertise ordonnée par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, avancés par l'Etat en application des dispositions de l'article 40 de la loi du 10 juillet 1991, ont été mis à la charge provisoire de l'Etat. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu, en application de l'avant- dernier alinéa de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991, de laisser les dépens à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. Il y a donc lieu de mettre les frais d'expertise tels qu'ils seront liquidés par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise à hauteur de 100 % à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Sur les frais liés au litige :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que la commune d'Argenteuil, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. A...B...et Mme E...et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise une somme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...B...et Mme E...le versement à la commune d'Argenteuil de la somme que celle-ci demande sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1209787 du 18 mai 2017 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et l'appel de M. A...B...et Mme E...sont rejetés.

Article 3 : La demande de première instance et l'appel de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise sont rejetés.

Article 4 : Les frais d'expertise tels qu'ils seront liquidés par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise sont mis à la charge de l'Etat à hauteur de 100 % au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 17VE02259 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE02259
Date de la décision : 11/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Enseignement et recherche - Questions générales - Responsabilité à raison des accidents survenus dans les établissements d'enseignement - Organisation du service public de l'enseignement.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services publics communaux.


Composition du Tribunal
Président : M. GUÉVEL
Rapporteur ?: Mme Brigitte GEFFROY
Rapporteur public ?: Mme ROLLET-PERRAUD
Avocat(s) : SELARL PHELIP et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-07-11;17ve02259 ?
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